« La Mort d’un soldat républicain », célèbre photo de presse de Robert Capa, est l’objet d’un incessant travail d’enquête retracé par l’historien de la photographie Vincent Lavoie.
C’est un monument qui est au centre de ces pages, un monument iconique et un monument contesté : la photographie intitulée La Mort d’un soldat républicain de Robert Capa, datée du 5 septembre 1936 et publiée dans le magazine Life en juillet 1937. Vincent Lavoie, historien de la photographie et universitaire canadien, prolonge avec ce livre-ci une démarche engagée avec son Photojournalismes. Revoir les canons de l’image de presse paru chez Hazan en 2010 (lire le JdA no 342, 4 mars 2011).
À partir de ce corpus protéiforme de la photo de presse et du photojournalisme, il s’intéresse au statut de l’image, au « régime de vérité » de la photographie. Le cas Capa constitue un terrain riche en controverses, et c’est là le centre de l’essai : non pas rajouter une thèse, une solution ou une opinion quant à l’authenticité de la scène captée ou prétendument captée par le photographe, mais bien plus écouter les arguments des uns et des autres dans la polémique. Ceci afin de nourrir une analyse de l’attente vis-à-vis du document photographique et de la valeur probatoire des images.
C’est à l’occasion d’un procès plus large fait à la presse dans un livre signé d’un journaliste, Phillip Knightley, en 1975, que la photo de Capa devient l’objet d’un soupçon, soupçon distillé en particulier par la légende qui l’accompagne. On cherche un temps des témoins de la scène pour appuyer les faits. Mais la mémoire est-elle meilleure garante que l’épreuve photographique ? Puis « la photographie est réinstallée par Richard Whelan [le biographe de Robert Capa] dans ses vertus probatoires en vertu de ses attributs documentaires, archivistiques ou génétiques (p. 26) », ceci au gré d’une confrontation de témoins tentant de déconstruire l’hypothèse selon laquelle la photo est une mise en scène.
Le statut probatoire de la photographie évolue, dans le cadre de son usage juridique par exemple. II est encore subalterne autour de 1900 pour la justice américaine. Mais il est vrai aussi que Capa, en 1936, est tout juste en train de s’inventer en photographe de renom, au prix parfois de stratagèmes peu glorieux. « La réalisation de Falling Soldier survient ainsi à un moment charnière de l’histoire professionnelle de Capa, où celui-ci doit se forger une réputation, tout juste après s’être inventé une image de marque (p. 57). »
Vincent Lavoie poursuit l’enquête sur les pas des auteurs qui ont contribué à forger cette image en icône, au travers de ses diverses parutions : la photo est rapprochée d’une séquence d’images où l’on retrouve le même personnage en pleine action. À la suite de la redécouverte de négatifs (en 2007, les quelque 4 500 films de la guerre d’Espagne réunis dans ce qu’il est convenu d’appeler la « valise mexicaine ») et par le travail du biographe du photographe, elle fait l’objet d’un incessant travail d’enquête, de recoupement. La reconstitution de planches-contacts donne parallèlement une vision de la continuité du travail du photographe. Les archives éclairent le travail du créateur, ainsi que les expositions et publications de l’ICP (International Center for Photography), fondé par Cornell Capa, le frère de Robert. Mais au-delà de la recherche appuyée sur le travail documentaire, c’est une autre nature d’arguments fourbis par les tenants de la sincérité de l’image : la médecine légale. La criminalistique constitue une forme exacerbée de l’enquête, auréolée d’une réussite techno-scientifique inespérée dans les fictions télévisuelles et de la littérature. Et la photographie y a historiquement partie liée, après Bertillon et avec le Suisse Rodolphe A. Reiss.
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Le procès d’un symbole
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : Le procès d’un symbole