TAIPEI / TAÏWAN
Des millions d’internautes chinois expriment leur colère contre le prêt de cette œuvre dotée d’une lourde charge symbolique.
Ce qui aurait dû être un prêt d’œuvre comme les autres est en train de devenir un scandale pour l’opinion publique chinoise. Dans le cadre d’une exposition consacrée au calligraphe chinois Yan Zhenqing, le Musée national de Tokyo accueille une œuvre majeure de l’artiste, prêtée par le Musée national du Palais à Taïwan. Cet échange a fortement déplu sur les réseaux sociaux chinois, où il est vécu comme une trahison de la part de Taïwan, un état dont la République Populaire de Chine (RPC) ne reconnaît pas l’indépendance.
La nature de l’œuvre en question explique en partie l’importance de l’émotion observée sur le web chinois. Il s’agit d’une ébauche de calligraphie, réalisé par Yan Zhenqing peu après le décès de son neveu. Cette œuvre datée de 759 ap. J.C. présente un intérêt historique, puisqu’elle permet d’observer les traces de travail d’un maître de la calligraphie. Elle est surtout l’œuvre d’un artiste dont le nom est familier en Chine, et incontournable lorsque l’on s’intéresse à l’histoire de l’art du pays. Ce symbole national vieux de 12 siècles a été soigneusement conservé en Chine jusqu’aux années 1940, avant d’être transféré sur l’île de Taïwan par les nationalistes du général Tchang Kai Check défait par les communistes, parmi de nombreuses autres œuvres d’art.
Sur le réseau social Weibo (l’équivalent de Twitter), on dénombrait plus de 260 millions de réactions liés au mot-clef « Requiem pour mon neveu » (du nom de l’œuvre) moins de deux jours après la parution de l’information. Beaucoup de ces réactions évoque l’occupation de la Chine par le Japon durant les années 1930, qui aurait fait, selon le chiffre des autorités chinoises, 300 000 morts. Les netizens chinois voient dans la décision du musée taïwanais un affront à la mémoire des victimes de ces occupations. « Savent-ils [les taïwanais] seulement ce qu’est le massacre de Nanjing ? » se demande un utilisateur du réseau, faisant ici référence à un épisode sanglant de l’occupation nippone. Pour un autre, le prêt de cette « œuvre qui représente le cœur et l’âme de la Chine » est « une insulte à nos ancêtres ».
Les autorités et médias officiels chinois n’ont pas encore réagi officiellement. En revanche, un article du journal d’Etat Global Times s’est inquiété des conditions de transport et d’exposition de l’œuvre au Japon, s’alarmant de la bonne conservation d’une œuvre qui serait en « danger durant son déplacement » selon un expert en objets anciens. A l’inverse, pour Ling Lizhong, responsable du département calligraphie et peinture au Musée de Shangaï, ce prêt est tout à fait normal. Dans les colonnes du site d’information chinois Thepaper.cn, il estime que « l’exposition de calligraphies chinoises anciennes au Musée national de Tokyo témoigne de leur amour et de leur respect pour la culture chinoise ».
L’agitation autour de ce prêt d’œuvre trouve aussi son explication dans un contexte diplomatique dégradé entre la RPC et Taïwan, exacerbé par les récentes déclarations de Xi Jinping. En ce début d’année 2019, le président de la RPC a en effet remis sur la table la question de la réunification de Taïwan à la Chine, une question épineuse puisque l’état insulaire considère quant à lui qu’il est toujours la République de Chine légitime depuis 1949. Souhaitant un scénario « pacifique » à la Hong Kong (un état, deux systèmes), Xi Jinping n’a néanmoins pas écarté l’usage de la force pour mener à bien ce processus de réunification. La tension diplomatique montant d’un cran, l’épisode de la calligraphie apparaît à certains comme la goutte d’eau faisant déborder le vase, comme en témoigne ce commentaire associé au hashtag « Requiem pour mon neveu » sur Weibo : « C’en est trop. Forçons Taïwan à la réunification ».
A Taïwan, la question des prêts d’œuvres dans le jeu diplomatique régional n’est pas une première. En 2011, la Chine et Taïwan collaboraient pour réunir les deux parties d’une œuvre majeure, Séjour dans les monts Fuchun de Huang Gongwang, exposée au Musée national du Palais. L’œuvre séparée en deux moitiés, l’une dans la capitale Taïwanaise et l’autre à Hangzhou (RPC), devait symboliser la réunification entre les deux Etats pour les officiels chinois. Le match retour en Chine n’eut jamais lieu, tant le Musée national du Palais craignait de ne pas voir revenir ses œuvres.
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Le prêt d’une calligraphie au Japon par Taïwan indigne l’opinion publique chinoise
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