Patrimoine

Égypte

Le patrimoine égyptien en danger

Sur fond de révolte populaire, le Musée des antiquités égyptiennes, au Caire, et divers sites archéologiques ont été victimes de pillards

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 15 février 2011 - 891 mots

LE CAIRE / EGYPTE

Deux semaines avant qu’Hosni Moubarak accepte de quitter la présidence de la République arabe d’Égypte, des pillards ont profité des échauffourées sur la place Tahrir pour s’introduire dans le Musée du Caire, dérobant des pièces inestimables et occasionnant de sérieux dégâts. Les sites archéologiques, comme celui de Saqqarah, ont également été la proie des vandales.

LE CAIRE - La nuit du 28 janvier a entaché les rassemblements pacifistes, sur la place Tahrir, du peuple égyptien venu, parfois en famille, réclamer le départ du président Hosni Moubarak. Cette nuit-là, des vandales se sont introduits dans l’enceinte du Musée des antiquités égyptiennes du Caire, situé à deux pas de la place, provoquant des dégâts dont le bilan est longtemps resté vague. Dans ses premières déclarations, le secrétaire général du Conseil suprême des antiquités, tout récemment promu ministre des Antiquités, Zahi Hawass, s’est voulu rassurant. Or, au vu des reportages de la chaîne de télévision Al Jazeera, les dégâts constatés dépassaient de loin les premières estimations. Au final, treize vitrines ont été fracturées, et plus de soixante-dix objets plus ou moins endommagés, parmi lesquels une statuette d’Akhenaton, un bateau en bois provenant de la tombe de Meseti à Asyut (2 000 av. J.-C.), ainsi que deux momies qui ont été décapitées. Dans les salles renfermant le trésor de Toutankhamon, deux vitrines ont été éventrées : une statuette du pharaon debout sur une panthère et une autre le représentant sur une barque de papyrus ont été projetées à terre et brisées en plusieurs morceaux ; un éventail en or a été séparé, sans gravité, de son manche en bois.

Valeur inestimable
Le 12 février, le premier bilan dressé par les équipes du musée note la disparition de huit pièces inestimables : une statuette dorée de Toutankhamon porté par la déesse Menkeret ; la partie supérieure d’une statuette dorée de Toutankhamon jetant un harpon ; une statue en calcaire d’Akhenaton portant un plateau d’offrandes ; une statue de Néfertiti faisant des offrandes ; une tête en grès d’une princesse d’Amarna ; une statuette en pierre d’un scribe d’Amarna ; onze statuettes funéraires en bois qui entouraient Yuya, puissant courtisan de la XVIIIe dynastie ; et une amulette représentant un scarabée et appartenant à Yuya. Incidemment, ces pillages n’ont fait que conforter les partisans des « musées universels », opposés à l’idée de restituer des trésors à l’Égypte, et qui pointent du doigt la précarité des conditions de sécurité dans les institutions du pays. Des manifestants sont, quant à eux, venus en aide aux forces de sécurité pour arrêter les voleurs, et des centaines de personnes ont ensuite protégé le musée en formant une chaîne humaine autour de ses grilles. 

Sites abandonnés
Les sites archéologiques n’ont pas été épargnés, comme en a témoigné un membre de la mission archéologique française à Saqqarah (au sud du Caire), s’adressant à une journaliste américaine, sous couvert d’anonymat. Après que les archéologues ont été sommés par le Conseil suprême des antiquités d’abandonner leurs travaux, faute de pouvoir assurer leur protection, la police aurait déserté le site, abandonné aux pillards pendant trois jours, avant l’arrivée en masse de l’armée. En quête de « trésors », les pillards, vraisemblablement amateurs, ont forcé les entrepôts sécurisés de la mission, retournant et brisant les divers reliefs et blocs de pierre qui s’y trouvaient, les vols se limitant au matériel moderne d’excavation. Ne trouvant rien sur le site sécurisé, ils se sont mis à creuser aux alentours, à la recherche de tombes encore non répertoriées. Toujours à Saqqarah, l’entrepôt abritant le résultat des fouilles de l’université du Caire a subi le même sort, alors que le musée de l’ancienne nécropole et ses réserves ont été très vite protégés par l’armée. Les entrepôts du site d’Abusir ont été visités et plusieurs centaines de vandales se sont également attaqué au cimetière. Sur son site Internet personnel (www.drhawass.com), Zahi Hawass se borne à dire que les seuls cambriolages ont été commis au musée du Caire, à l’entrepôt de Morgan à Dahshur et à celui de Qantara-Est, dont 300 objets volés ont déjà été récupérés. Mais il sera difficile d’établir un bilan définitif des dégâts tant qu’apparaîtront des rapports contradictoires d’égyptologues étrangers installés sur différents sites à travers le pays. 

« Actes criminels »
Faisant écho aux inquiétudes exprimées par le Conseil international des musées (ICOM) et l’Unesco, l’Association internationale des marchands d’art ancien (IADAA) a fermement condamné ces pillages : « De tels actes criminels sont non seulement une catastrophe pour le savoir, mais une attaque sur une partie importante du patrimoine culturel mondial. » Outre ses recommandations d’organiser et d’intensifier la surveillance des sites, l’association plaide pour l’obtention et la diffusion d’informations aussi précises que possibles sur les biens dérobés et les dégâts provoqués, voilant à peine sa critique des méthodes de Zahi Hawass. « L’obstruction des journalistes et la fermeture d’Internet mettent en danger aussi bien la liberté de la presse qu’une réponse efficace à ce viol virtuel de patrimoine culturel », déclare-t-elle. Non contente d’offrir son aide pour retrouver la trace des objets et les restituer à leurs propriétaires, l’IADAA plaide pour un échange d’informations au niveau mondial et pour la création d’une base de données accessible en ligne, répertoriant les œuvres volées, avec photographie à l’appui. La solution « la plus adéquate, la moins chère et la plus efficace » pour protéger le patrimoine culturel. 

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°341 du 18 février 2011, avec le titre suivant : Le patrimoine égyptien en danger

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque