TOURISME : Le marché des voyagistes culturels se recompose

Le nouveau paysage du marché des voyagistes culturels

Face à la concurrence sur Internet et les bouleversements engendrés, les agences de voyages culturels Arts et Vie, Intermèdes et Clio affichent des dynamiques différentes

Menacés par la désintermédiation que permet Internet, concurrencés par de nouvelles agences ultra-spécialisées, les trois leaders du secteur ne réalisent pas les mêmes performances.

Paris. Pour qui a fait un voyage culturel en Égypte, Italie, au Pérou ou au Cambodge, la marque Clio s’impose dans les esprits. En 2000, l’agence de voyages spécialisée était la seule à concurrencer l’association Arts et Vie, pionnière du secteur depuis 1955. Mais aujourd’hui, Clio a vu un concurrent plus récent, Intermèdes, le doubler en chiffre d’affaires. Dans le même temps, de nouveaux acteurs plus petits, souvent plus spécialisés, ont déboulé sur un secteur modérément affecté par la déferlante technologique qui a révolutionné le secteur du tourisme.

3 agences leaders
Arts et Vie est le leader du marché. Plus de cinquante ans avant la création du site de voyage TripAdvisor ou du site de réservation d’hôtel Booking, et alors que le tourisme organisé se démocratise, des professeurs de l’Éducation nationale créent « Arts et Vie », une association qui propose des circuits culturels à travers le monde. Les ingrédients sont simples : prise en charge intégrale du voyage et organisation d’un séjour axé sur les visites culturelles, accompagnées par des guides bénévoles – généralement des professeurs et des guides locaux.

En 1976, Christian Marquant fonde l’association « Clio », qui en 1979 devient une société. Les guides sont le plus souvent français, indépendants et rémunérés pour l’organisation logistique du séjour autant que pour la prestation culturelle qu’ils assurent du lever au coucher. Quand Arts et Vie propose une offre hôtelière équivalente à 3 étoiles en moyenne, Clio offre un standing un peu plus élevé. Le client type est une femme, jeune retraitée, d’une catégorie socioprofessionnelle supérieure. Pendant vingt ans, Clio et Arts et Vie constituent un quasi-duopole sur le marché français.

En 1994, Michel Olivier fonde « Intermèdes », sur un modèle très proche de celui de Clio, à peine plus haut de gamme (mais encore loin des standards anglo-saxons). Après des années de fort développement interne et une relative croissance externe, Intermèdes atteint en 2016 les 30 millions d’euros de chiffre d’affaires, quand Clio, après une légère baisse, stagne entre 15 et 20 millions depuis cinq ans. « Les aléas du marché », commente sobrement Jean-Pierre Respaut, directeur général de Clio, semblant ignorer la recomposition du marché. Arts et Vie reste loin devant, avec 50 000 voyageurs par an (contre environ 15 000 pour les deux autres) et près de 60 millions d’euros de chiffre d’affaires. Les trois organismes représentent les deux tiers d’un marché francophone évalué à environ 150 millions d’euros, soit l’équivalent du volume d’affaires de Voyageurs du Monde (LA référence du tourisme sur mesure), qui possède notamment Terre d’Aventure.

Influence des facteurs géopolitiques et financiers

Comme tout le secteur touristique, le marché des voyagistes culturels dépend de plusieurs facteurs conjoncturels, géopolitiques. Longtemps, le Moyen-Orient proposait les destinations les plus prisées. Depuis les guerres en Irak puis en Syrie, la donne a changé. Si l’Égypte repart lentement depuis cette année, la Syrie, la Libye et même la Turquie sont abandonnées. À l’inverse, la levée d’une partie des sanctions diplomatiques a immédiatement relancé l’engouement pour l’Iran, redevenu en deux ans une destination phare pour Clio, avec un millier de voyageurs par an, soit 7 % de leur activité.
Il existe ausssi des facteurs financiers, les taux de change peuvent fortement influer sur les prix, donc la compétitivité de certaines destinations. « En Amérique, la hausse récente du dollar par rapport à l’euro a rendu moins compétitives les destinations du continent », note François Pouchucq, chez Arts et Vie.

Dans le même temps, un changement structurel se produit : des agences se spécialisent pour répondre à de nouvelles attentes. Ainsi Mondes et Merveilles est-elle axée sur les jardins et La Fugue est spécialisée sur les voyages musicaux : Bayreuth, Aix-en-Provence… La plupart ne dépassent pas la dizaine de salariés, quand les leaders sont des PME qui peuvent jouer sur les économies d’échelle. En réponse, ces derniers trouvent de nouveaux relais de croissance, comme les croisières en compagnie de « super-conférenciers », tels les philosophes Michel Serres ou Luc Ferry.
Mais la question qui taraude le secteur est évidemment technologique. La désintermédiation imposée par Booking et les comparateurs de vols a fait disparaître des centaines d’agences de voyages généralistes, n’apportant d’autre valeur ajoutée que logistique. De l’autre côté de la chaîne, une multitude de micro-agences ultra-spécialisées se créent, en particulier dans les grandes villes ; elles offrant un nombre infini de services allant des visites gastronomiques aux circuits patrimoniaux effectués avec des experts locaux.

Une valeur ajoutée précieuse

Dans le haut de gamme, les conciergeries de luxe assurent le lien avec les institutions culturelles locales. Si les circuits nationaux souffrent de la concurrence d’Internet, les voyages à l’étranger sont encore protégés par la barrière de la langue et permettent de conserver aux voyagistes culturels une valeur ajoutée précieuse. Laurent Lanfranchi a créé « Terra Nobilis » à Strasbourg il y a onze ans sur le modèle de Clio, au sein de laquelle il avait fait ses premiers pas dans le secteur. « Internet n’est qu’un canal de réservation comme un autre. Regardez Voyageurs du Monde, dont les outils numériques sont performants. Ils continuent d’ouvrir des agences partout en France, ce qui prouve que le contact client reste primordial. » Malgré un site nettement plus moderne, la clientèle de Terra Nobilis est en effet surtout locale. Le design suranné des sites Internet de Clio et Intermèdes serait donc trompeur. « Nous avons porté nos investissements sur le “back-office”, plus que sur le “front-office”, c’est vrai », sourit Michel Olivier, d’Intermèdes. Jean-Pierre Respaut est tout aussi pragmatique : « La majorité de nos clients sont attachés à notre excellence, pas à notre image, et choisissent encore davantage sur nos catalogues papier que sur Internet. » Une composante générationnelle qui explique aussi cette prudence.

Pour le directeur de Clio, « le marché est arrivé à une certaine maturité ; la pyramide des âges augure d’une certaine stabilité à moyen terme ». Pourtant, le recrutement est toujours dynamique : ces dernières années, tous voyages confondus, environ un client sur deux est nouveau. Cette statistique plaide pour une vision plus optimiste. Michel Olivier estime que « les marges de croissance existent. Les nouvelles offres comme le “trekking culturel” ou les croisières le prouvent ». L’attention croissante portée par les villes à la restauration de leur patrimoine pourrait lui donner raison… si Booking, tenté d’investir le secteur des circuits organisés, ne compromet pas trop vite leur position dominante.

Légende photo

Groupe visitant Cracovie, en Pologne © Clio

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : Le nouveau paysage du marché des voyagistes culturels

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque