Les choix audacieux des créateurs du mobilier liturgique, soutenus par l’archevêque de Paris, contrastent avec l’esprit de Viollet-le-duc qui imprègne la restauration des murs de la cathédrale.
Paris. Comment un lieu de culte et monument célèbre peut-il maintenir l’équilibre entre tradition patrimoniale et ancrage dans la modernité ? Si la restauration du bâtiment s’est faite « à l’identique » de l’état antérieur, le diocèse (affectataire du lieu) et l’archevêque ont souhaité renouveler intégralement le mobilier liturgique, largement détruit dans l’incendie. C’est le designer Guillaume Bardet qui a été choisi à l’été 2023 pour créer l’autel, l’ambon (support de lecture des Évangiles), le baptistère, le tabernacle et la cathèdre (siège réservé à l’archevêque qui marque le statut de cathédrale de l’église). Autant d’objets indispensables à la liturgie qui ne sont pas tous amovibles et participent donc au parcours de visite dans la cathédrale. Celui-ci est légèrement modifié car, dès l’entrée, les visiteurs voient, dans l’axe central de la cathédrale, le baptistère en bronze patiné et à couvercle en miroir poli scintillant [voir ill.] : au bout de cet axe se tient l’autel, massif, en bronze patiné lui aussi. Guillaume Bardet explique avoir choisi des formes « simples » identifiables par des non-chrétiens, comme la coupe (calice) du baptistère qui rappelle « les poteries que l’on trouve dans presque toutes les civilisations ». L’autel [voir ill.] concentre quant à lui le regard au croisement du transept et de la nef ; il est encadré par l’ambon en forme de « T » et la cathèdre inspirée du siège curule romain, positionnés au pied des piliers nord et sud. Le designer insiste sur l’importance de la position du mobilier, qui doit « parler du sacré » aux visiteurs comme aux fidèles, « aux enfants comme aux adultes ». Une patine sombre contraste avec la pierre claire restaurée, qui trouve un écho dans les socles en pierre des pièces du mobilier : Guillaume Bardet estime que ses pièces peuvent être vues comme des « sculptures », et qu’elles doivent conserver « une présence » au-delà de leur statut liturgique.
Loin d’être cantonné aux rites, ce mobilier cumule donc plusieurs statuts. D’après l’anthropologue Gaspard Salatko (laboratoire de recherche Héritages), membre du groupe « Émotions et mobilisations » du chantier scientifique de Notre-Dame, « le clergé s’est saisi du chantier de l’aménagement liturgique pour repenser la circulation dans le monument, du point de vue cultuel et culturel ». Il indique que le clergé trouvait incompatible avec les formes contemporaines de la célébration catholique (après le concile Vatican II) une restauration du mobilier liturgique « à l’identique ». Le choix de placer le baptistère à l’entrée, par exemple, affirme ainsi dans l’espace la première étape de la vie d’un chrétien, le baptême.
L’archevêque et le diocèse ont donc fait des choix très modernes pour marquer la réouverture, ce que confirme Guillaume Bardet : « Il fallait marquer l’événement de l’incendie dans le nouveau mobilier. » Le diocèse lui a d’ailleurs demandé de créer la nouvelle vaisselle liturgique, pour marquer jusque dans les rites la mémoire de l’incendie et de la restauration. L’aspect mémoriel reste donc omniprésent, et selon Gaspard Salatko le nouveau mobilier incarne « la spatialisation de la mémoire chrétienne dans la cathédrale », qui devient « un mémorial chrétien » tout en conservant sa dimension patrimoniale et politique.
Le débat houleux sur les vitraux de Notre-Dame illustre cette superposition de symboliques et de statuts, avec des partisans de vitraux contemporains dont le diocèse (huit artistes sont encore en lice), et des partisans des vitraux en grisaille de Viollet-le-duc (classés au titre des monuments historiques) du côté des spécialistes du patrimoine. En revanche, ni les chaises créées par la designer Ionna Vautrin ni la commande de sept tapisseries contemporaines n’ont fait débat. Il en est de même de la nouvelle châsse reliquaire (créée par le designer Sylvain Dubuisson) qui accueillera la couronne d’épines du Christ à partir du 13 décembre 2024. La cathédrale restaurée et son nouveau mobilier participent à des degrés divers aux « émotions patrimoniales » selon Gaspard Salatko, qui ajoute que « la modernité dans ce cas se situe du côté de l’Église plus que de spécialistes du patrimoine ».
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Le nouveau mobilier revendique sa modernité
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°645 du 13 décembre 2024, avec le titre suivant : Le nouveau mobilier revendique sa modernité