Après des études de gestion, Pierre Staudenmeyer, 44 ans, a travaillé avec l’antiquaire Yves Mikaeloff. Passionné déjà d’art contemporain et de psychanalyse, il s’est alors intéressé aux tapis, aux objets d’art, puis au design des années 50. En 1984, il crée, avec Gérard Dalmon, \"Neotu\", galerie de design et éditeur ayant aujourd’hui quelque 800 modèles à son actif. Il commente l’actualité du mois.
Quels commentaires vous inspire le dernier Salon du meuble ?
Je regrette que ce salon soit devenu une peau de chagrin pour le mobilier contemporain et que les organisateurs ne sachent pas faire la place aux expériences, aux entreprises existantes démontrant que le design français n’est pas si infime qu’on le croit. Des efforts louables ont été faits pour confier des mises en scène à des créateurs, mais celles-ci jouent un peu au détriment du commerce qui, lui, donne un indice de sa vivacité. L’envahissement d’un salon commercial par des espaces de présentation non-commerciale révèle une faiblesse économique. En fait, cette faiblesse n’est pas si réelle, et je regrette ce décalage. Par ailleurs, j’ai toujours l’impression que des institutions ou des pseudo-institutions, comme le Via ou le Salon du meuble, cherchent sans cesse à s’approprier des créateurs et ne savent pas leur donner suffisamment d’indépendance. Les créateurs ne sont la chasse gardée de personne.
L’exposition du Centre Pompidou, "Made in France", dresse un état de l’art contemporain dans notre pays et pose de manière sous-jacente la question de la perception de cet art à l’étranger. Qu’en est-il pour le design ? Neotu a une filiale aux États-Unis.
La situation des designers et des plasticiens est à peu près la même, à ceci près que la valeur accordée au design à travers le monde est moindre que celle de l’art. À l’étranger, deux ou trois noms de plasticiens français confirmés sont connus, un ou deux noms de designers, les jeunes sont inconnus. Les designers doivent apprendre à travailler ensemble, dans un domaine où le travail individuel n’est qu’un maillon de la chaîne d’existence d’un produit. Contrairement à ce qui s’est toujours passé en France, où les créateurs ont toujours eu des tendances extrêmement individualistes, ceux-ci devraient, à l’instar des Italiens, essayer de se présenter sous forme de mouvements, de groupes, ce qui leur donnerait une existence plus dynamique. Les institutions, de leur côté, ont jusqu’à présent travaillé surtout à exaucer un créateur plutôt qu’un esprit français. J’attends donc cette exposition "Made in France" avec beaucoup d’impatience puisqu’elle a, elle au moins, un titre fédérateur.
Que pensez-vous des manifestations annoncées autour des années trente ?
Le Musée d’art moderne de la Ville de Paris a pour cette époque une collection extraordinaire en peinture, sculpture et mobilier. J’espère qu’une place sera faite au mobilier. Cette collection avait été montée à partir d’une politique de commande de la Ville, assez exemplaire de la manière dont une institution pourrait constituer une collection aujourd’hui. L’idée d’une commémoration des années 30 me paraît intéressante, car il s’agit d’une période importante pour la production artistique française et la place de la France dans le monde. Mais je me demande s’il n’y a pas une arrière-pensée autour de la "splendeur de Paris", relativement disparue aujourd’hui. Cette exposition ne va-t-elle pas attirer les foules dans une perspective très nostalgique, ce dont nous souffrons aujourd’hui ?
Quelle exposition vous a particulièrement intéressé ?
"Face à l’Histoire", au Centre Pompidou, qui m’a passionné et que je trouve presque parfaite. Pour la première fois depuis bien longtemps à Beaubourg, le sens, la thèse de l’exposition ne vient pas des commissaires mais du contexte et des artistes eux-mêmes. J’y ai également trouvé une illustration de ce que j’appelle la fonctionnalité de l’art, sujet un peu tabou depuis une vingtaine d’années. L’exposition démontre que l’art a bien une fonction réelle et non pas purement sémantique ou théoricienne. À l’inverse, j’avais très peu aimé "L’Informe", dont le propos était tiré à hue et à dia par rapport aux pièces et à leur contexte. Une seule petite critique, le sida m’a semblé peu présent dans "Face à l’Histoire".
Neotu est à deux pas du Centre Pompidou. Que pense le voisin de la fermeture prochaine de Beaubourg ?
En tant que commerçant, je ne peux que me féliciter de la fermeture. Beaubourg est devenu un quartier dont la force culturelle a eu tendance à se diluer. Cette fermeture pourrait permettre aux responsables du Centre de réfléchir sur la notion de quartier culturel. Du point de vue de la vie culturelle, il va y avoir un manque, même si la fermeture ne sera pas totale. D’autant plus que la vie culturelle parisienne souffre déjà d’un manque de dynamisme des galeries privées. Lors de mon dernier tour des galeries, tant à la Bastille que vers le haut du Marais, j’ai été navré du nombre de galeries fermées, du nombre de celles en instance de rouvrir et qui donc n’exposent rien, et d’autre part, du niveau des œuvres proposées. La vie culturelle est un tissu auquel contribue l’institution, mais je ne crois pas qu’elle puisse exercer le plus grand poids sur le manque de dynamisme de celle-ci. Le tissu est détruit aujourd’hui. Et comme je suis un incorrigible optimiste, j’espère que cette fermeture temporaire va permettre à de nouvelles initiatives de redynamiser le quartier.
Neotu, 25 rue du Renard, 75004 Paris, tél : 01 42 78 96 97
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le mois vu par Pierre Staudenmeyer, directeur de la galerie Neotu
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°33 du 1 février 1997, avec le titre suivant : Le mois vu par Pierre Staudenmeyer, directeur de la galerie Neotu