Après avoir été éditeur à Oxford University Press pendant six ans, John Nicoll est depuis 1973 directeur des éditions Yale University Press à Londres, filiale de Yale University Press à New Haven, Connecticut. Cette maison publie des ouvrages d’art, d’architecture, d’histoire, de politique et de philosophie. John Nicoll commente l’actualité du mois.
Le dernier du Salon du livre avait pour invités les éditeurs américains, qui ont présenté une sélection de près de 10 000 livres dans un stand-librairie. Qu’en pensez-vous ?
John Nicoll : L’importance de l’accueil réservé aux éditeurs de langue anglaise au Salon reflète une réalité. L’anglais est aujourd’hui la langue internationale, le français a perdu beaucoup de son importance. Les éditeurs français ont besoin du vaste marché anglophone pour organiser des collaborations internationales et faire connaître leur production.
Les livres français, mal distribués dans les pays anglophones sont peu lus en édition originale? Faut-il traduire plus ?
Je pense qu’il s’agit à la fois d’un problème de langue et d’argent. Peu de lecteurs lisent le français, seul un très petit public, composé essentiellement d’universitaires, est capable de lire dans l’édition originale. Quelques librairies spécialisées permettent de trouver les ouvrages les plus importants, et il est toujours possible de commander sur catalogue. Je pense que tous les ouvrages de valeur sont traduits et se vendent bien. Nous collaborons régulièrement avec Gallimard et Flammarion. Il arrive aussi parfois que nous choisissions de traduire des livres importants, dont nous n’attendons pas de bons résultats commerciaux. Mais traduire un ouvrage coûte cher, ce que l’on ignore généralement. J’ai reçu récemment une liste établie par la Fondation de France de livres d’histoire de l’art publiés il y a plus de cinquante ans en Angleterre, en Allemagne, en Italie et qui méritent d’être réédités ou traduits. Je serais heureux de recevoir un document répertoriant les ouvrages français.
L’édition électronique a été l’un des axes majeurs du Salon du livre. Les éditeurs de CD-Rom, les fabricants de matériel et les producteurs de logiciels initient le public à ces nouvelles technologies. Quels rôles ces nouveaux médias jouent-ils dans l’édition d’art ?
Les CD-Rom sont à mes yeux surtout des jeux pour de grands enfants. Ils ne présentent pas d’intérêt pour l’histoire de l’art. Si l’on doit faire appel à ces nouvelles technologies, seuls les ouvrages de référence, les catalogues raisonnés ou les dictionnaires sont plus facilement utilisables sur CD-Rom et justifient un tel investissement. Il faut aussi que le public et les bibliothèques disposent du matériel nécessaire pour y avoir accès. Mais je pense qu’il s’agit d’un phénomène de mode et que ces nouveaux médias n’apportent rien de neuf.
Les catalogues qui accompagnent les grandes expositions jouent un grand rôle dans l’édition d’art. Yale University Press publie des catalogues. Quelle importance ont-ils pour votre maison d’édition cette année ?
Les grandes expositions qui attirent les foules sont devenues une activité de loisir très importante. On se rend au musée comme autrefois on allait à la messe le dimanche. Et pour beaucoup de visiteurs, l’achat du catalogue, luxueux et superbement illustré, fait partie du plaisir de la visite. Les catalogues offrent aux éditeurs, aux musées, aux distributeurs, un public nouveau, "captif". Cette année, Yale University Press est l’éditeur de l’édition anglaise de l’exposition "Menzel 1815-1905, la névrose du vrai", qui se tient au Musée d’Orsay jusqu’au 26 juillet. Cet ouvrage de référence, écrit par des spécialistes, coûteux à réaliser, n’aurait pas pu être édité hors du contexte d’une exposition.
Les catalogues aident-il la vente d’autres livres d’art ?
Le succès de l’exposition "The Glory of Venice" (La gloire de Venise) nous a permis de réimprimer le Tiepolo de Michael Levey et de publier un livre de Svetlana Alpers et de Michael Baxandall sur cet artiste.
En un an, la Loterie nationale anglaise a vendu 5 milliards de tickets de loterie à près de 30 millions de parieurs, sur 44 millions de joueurs potentiels. L’Heritage Lottery Fund reçoit environ 250 millions de livres par an. Que pensez-vous de ce mode de financement ?
Le système de protection du patrimoine anglais par l’Heritage Memorial Fund (cathédrales, églises, monuments historiques, sites naturels…) a souvent été cité en exemple. Et pourtant, peu de grands projets novateurs ont été engagés depuis les années soixante car le budget annuel était modeste. Il est indéniable que depuis la création de la loterie, l’Heritage Lottery Fund participe au financement de nombreux projets [200 projets ont été financés par 100 millions de livres de l’Heritage Lottery Fund]. Mais je pense qu’il y aura une réaction violente à cette politique culturelle, à laquelle participe inégalement les diverses strates de la société. Cette loterie est une forme d’impôt indirect : une grande partie des projets sont financés par les gens les plus pauvres. Peut-être va-t-on être très rapidement forcé de faire des choix. Car que se passera-t-il lorsque, dans un avenir relativement proche, on aura pris en compte tous les besoins des musées, leur organisation et leur modernisation, et que de nouveaux bâtiments auront été construits ? La France a vécu quatorze années de Grands Travaux. Même si nous restons parfois critiques sur les résultats, j’admire la réalisation du Grand Louvre, et en tant qu’éditeur, j’apprécie particulièrement son importante librairie. L’ensemble réalisé est impressionnant, et tout cela a été financé par le gouvernement français.
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Le mois vu par John Nicoll, directeur des éditions Yale University Press
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Le mois vu par John Nicoll, directeur des éditions Yale University Press