Âgé de quarante-huit ans, Jean-Jacques Aillagon est directeur des Affaires culturelles de la Ville de Paris depuis 1993, après avoir été en particulier administrateur au Musée national d’art moderne et directeur général de la Vidéothèque. Il commente l’actualité du mois.
Le Mois de la Photo bat son plein. En dehors de toute appréciation critique sur la qualité des quatre-vingt-treize expositions présentées, ne faut-il pas redéfinir cette manifestation, créée il y a quatorze ans alors que le paysage de la photographie était tout autre ?
De façon générale, j’aime à penser que rien n’est jamais définitif, que tout peut et doit à tout moment être "révoqué en doute", avec le souci de faire encore mieux, de mieux répondre aux besoins du moment, aux données sans cesse mouvantes de l’environnement. Cela vaut pour la culture, dont le panorama ne peut être considéré comme figé, comme défini une fois pour toutes et immuable. Les festivals, à leur création, répondent de toute évidence à des nécessités de la vie culturelle. Ces nécessités peuvent évoluer, parfois s’amplifier, parfois s’émousser. Il convient alors d’adapter les choix. C’est ce qu’a fait, par exemple, la Ville de Paris avec son Festival international de danse, dont la formule a évolué pour prendre en compte l’extraordinaire mutation de la scène chorégraphique parisienne.
Le Mois de la Photo a, de ce point de vue, rempli sa mission. Créé en 1980, il a été, grâce au dynamisme d’Henri Chapier et de Jean-Luc Monterosso, l’un des instruments les plus efficaces de l’affirmation de la photo dans le champ culturel. Il a fédéré les initiatives, rassemblé les photographes, les "médiateurs", le public, dans une passion commune. Il a servi de modèle à d’autres initiatives, en France, à l’étranger. Il a permis, à échéance régulière, de découvrir la diversité des pratiques, des esthétiques que permet le médium photographique ; il a aussi ouvert nos yeux, notre culture, nos cœurs, à des expériences, à des propositions venues des quatre coins du monde.
Peut-être sommes-nous aujourd’hui à la fin d’une époque, celle des initiatives de plus en plus nombreuses, de la profusion ? Peut-être faut-il encore plus structurer le "Mois" ? Peut-être lui manque-t-il un "vaisseau amiral" ? Cela dit, l’ouverture de la Maison européenne de la photo, à l’Hôtel Hénault de Cantorbe, en 1995, modifiera les données du problème puisque l’équipe du "Mois" disposera alors de ce lieu central qui lui fait aujourd’hui défaut. Je suis persuadé que le Mois de la Photo y trouvera la base d’un "New Deal".
L’hommage à Arago de Jan Dibbets vient d’être inauguré. Vivons-nous également, pour la commande publique, la fin d’une période ?
Cette commande, fruit d’une collaboration entre la Ville de Paris et le ministère de la Culture, est d’une nature différente de celles passées jusqu’alors. Elle récuse la monumentalité ou l’anecdote. La proposition de Jan Dibbets matérialise la méridienne de Paris, tracée par Arago, par l’implantation de 135 médaillons de bronze. Elle repose sur l’idée, le concept, mais aussi la rêverie poétique et l’invitation à regarder la Ville avec un regard autre, un regard neuf. L’expérience des dernières années, particulièrement riches en commandes publiques, a montré les limites et les difficultés de l’exercice, les risques aussi d’artifice. L’implantation d’œuvres contemporaines en milieu urbain est difficile, pour des raisons techniques, réglementaires et psychologiques. Ce sont ces dernières qui sont les plus lourdes à surmonter.
Elles tiennent aux lacunes de la culture plastique du grand public. Ce sont elles qui expliquent les phénomènes de rejet ou d’incompréhension. Elles trouvent leur origine dans la longue parenthèse qu’a subie la commande publique, parenthèse qui a interrompu les fils de la culture artistique à un moment où la création vivait des expériences et des ruptures majeures. Il est, dans ces conditions, difficile, on le comprend, pour le public de passer de Maillol à Richard Serra. Les points de repère, les références dont il a besoin pour comprendre, pour apprécier, ne lui ont pas été donnés. C’est donc aujourd’hui au public, à sa capacité à "lire" les œuvres contemporaines qu’il faut s’intéresser, sinon la commande restera une prouesse magnifique des pouvoirs publics réservée au "monde de l’art".
Cela dit, des projets sont en cours de réalisation. Ils concernent Étienne-Martin, Loustal, Jeanclos, Erro, Dodeigne… Françoise de Panafieu les présentera au cours de sa conférence de presse annuelle sur les affaires culturelles de la Ville.
Je suis, pour ma part, préoccupé par les lacunes "historiques". Paris n’a pas de grand Picasso comme Chicago, Dubuffet est hors son territoire, Calder sur le domaine de l’Unesco.
Décembre est le mois du budget de votre direction. Comment se présente-t-il ?
Le budget qui sera soumis au vote du conseil de Paris s’inscrit dans un contexte de très grande rigueur. Il préserve, néanmoins, les acquis, et donne même des moyens importants en matière d’investissement. Un arbitrage personnel du maire, Jacques Chirac, a en effet permis à la direction des Affaires culturelles d’obtenir des moyens très supérieurs à ce que prévoyait le cadrage budgétaire de l’été dernier.
La suite des choses sera naturellement marquée par les échéances électorales du printemps prochain, puisque le mois de juin sera celui des élections municipales. Pour ma part, je ne peux que souhaiter que, nous appuyant sur le travail prodigieux accompli sous l’impulsion de Jacques Chirac au cours des dix-huit dernières années, nous puissions consolider l’existant : nos quinze musées, notre soixantaine de bibliothèques, nos dix-huit conservatoires… Il me semble incontournable que le Petit Palais soit désigné comme une priorité. Le principe de son aménagement et, de ce fait, le projet culturel dont il doit être porteur, retiennent dès à présent notre attention. Il faudra, par ailleurs, intensifier les initiatives en faveur des lieux de création. Paris, prodigieuse source internationale de la diffusion de toutes les expressions de la culture, doit rester, devenir encore plus, une ville de création, une ville pour les créateurs.
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Le mois vu par Jean-Jacques Aillagon
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°9 du 1 décembre 1994, avec le titre suivant : Le mois vu par Jean-Jacques Aillagon