En décembre prochain, tous les yeux seront rivés sur Lens, dans le Pas-de-Calais, qui inaugurera la première antenne en région du Musée du Louvre. Entre désir et inquiétudes…
En mai 2003, le ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon, et le président du Musée du Louvre, Henri Loirette, créent l’événement en annonçant la création d’une antenne régionale du grand musée parisien ; un établissement sans collections propres, alimenté par des dépôts de longue durée et orchestrant des expositions prestigieuses. La collection semi-permanente y sera présentée de manière inédite, selon un parcours transversal, offrant une vision exhaustive et pédagogique de l’histoire de l’art.
La situation géographique, économique et sociale du Nord-Pas-de-Calais l’impose rapidement comme le lieu idéal où construire ce musée d’un genre nouveau. Un choix également motivé par le volontarisme de la Région, qui consent à assumer 59 % des 150 millions d’euros du plan de financement. Six villes font acte de candidature : Lens, Arras, Valenciennes, Boulogne-sur-Mer, Calais et la voisine picarde, Amiens. En 2004, Matignon, la Rue de Valois et le Louvre votent à l’unanimité pour Lens.
Un levier pour la mise en valeur des patrimoines miniers et artistiques
Lens présente de nombreux avantages. Contrairement aux autres candidates, la ville dispose d’une très grande surface constructible : 20 hectares de friche industrielle situés sur un ancien carreau minier. Lens est aussi la seule des six villes à ne pas posséder de musée. Enfin, elle jouit d’une situation géographique privilégiée : sur la ligne de TGV Paris-Dunkerque, elle est facilement accessible depuis plusieurs capitales européennes, dont Bruxelles et Londres, mais également depuis les principales villes de la région.
S’il est pragmatique, ce choix se révèle aussi éminemment symbolique. Au cœur du bassin minier, Lens est une ville meurtrie par la récession consécutive à la fermeture des puits de fosse et des usines sidérurgiques. « Nous sommes très fiers, notre ville va être associée au plus grand musée du monde et non plus au chômage de masse », s’enthousiasme Marie, voisine du site d’implantation du musée. Ce changement d’image de la ville passe aussi par un important programme de rénovation urbaine, engagé par Euralens, une association fédérant plusieurs acteurs locaux.
Les premiers effets de cette modernisation sont déjà visibles dans la transformation des abords de la gare SNCF et dans l’aménagement d’une promenade reliant la gare au musée qui permet, en outre, de découvrir le patrimoine minier de la cité. Un tourisme de niche que l’arrivée des 700 000 visiteurs attendus au Louvre-Lens et le récent classement du bassin minier par l’Unesco devraient doper.
« L’ouverture du Louvre-Lens est une opportunité exceptionnelle pour la ville, mais aussi pour les autres musées de la région », se réjouit Philippe Gayot, conservateur des musées de la Porte du Hainaut et président de l’Association des conservateurs des musées du Nord-Pas-de-Calais. Afin de contribuer au dynamisme du réseau des musées, le Louvre-Lens va participer aux manifestations collectives organisées par l’association et promouvoir dans ses murs les collections d’autres institutions, grâce à des expositions réalisées à partir d’œuvres issues des collections régionales.
Une crainte subsiste : que le Louvre s’accapare les visiteurs et le mécénat de la région
Ces opérations de valorisation devraient rassurer certains conservateurs. Car si officiellement tous les acteurs locaux soutiennent le projet, sous couvert d’anonymat, certains administrateurs font part de leurs craintes. Notamment celle que le « Louvre-Lens ne fasse de l’ombre aux institutions plus modestes. Attirés par la marque Louvre, les visiteurs risquent de délaisser les musées moins célèbres », confie le conservateur d’un musée du département du Nord. Pour Xavier Dectot, nommé directeur du Louvre-Lens en 2011, cette peur est infondée : « En positionnant Lens sur la carte des musées internationaux, nous allons drainer un flux considérable de touristes. Un public qui actuellement fréquente peu, voire ne connaît pas du tout, les autres établissements. Son passage à Lens aura, au contraire, pour effet de l’inciter à découvrir les autres musées. »
Outre une baisse de fréquentation, on appréhende aussi un impact négatif sur le mécénat. « Les entreprises vont vouloir associer leur nom à ce musée très médiatique, cela peut avoir des conséquences désastreuses sur les autres établissements », redoute le conservateur d’un musée de la région. Sur ce point aussi, la direction du Louvre-Lens se veut rassurante : « Nous ne sommes pas en concurrence avec nos confrères ; nos besoins de financement ne sont pas les mêmes. Nous développons deux axes de mécénat : les grands mécènes, des multinationales capables de supporter des projets financièrement très lourds, qui ne sont pas engagées dans le mécénat des autres musées et, parallèlement, nous voulons initier les PME de Lens au mécénat, nous visons ainsi le tissu économique local, pas les entreprises que sollicitent nos voisins. »
Hormis ces quelques réserves, la grande majorité des acteurs locaux attend avec impatience l’ouverture du Louvre-Lens et ses retombées économiques. Si son impact sur la région ne sera mesurable qu’après quelques années, on peut, en revanche, déjà constater l’important effet de levier que le projet a exercé sur d’autres opérations de décentralisation. Dans le sillage du Louvre, le château de Versailles a ainsi signé un partenariat avec la Région pour organiser des expositions hors les murs au Musée des beaux-arts d’Arras, et l’Institut du monde arabe va ouvrir une antenne à Tourcoing d’ici à 2014.
Le Carrosse postmoderne imaginé par Xavier Veilhan pour le château de Versailles en 2009, rejoint jusqu’au 25 mars 2013 l’écurie des véhicules hippomobiles de la collection versaillaise, actuellement présentée dans l’exposition « Roulez Carrosses ! » au Musée des beaux-arts d’Arras. Cette exposition inaugure le programme de décentralisation décennal des collections du château de Versailles qui prévoit l’organisation de cinq expositions de longue durée, d’environ 18 mois, au musée arrageois. Un accord de coopération a été signé en 2011 entre Versailles, Arras et la Région Nord-Pas-de-Calais, sous l’impulsion de son président, Daniel Percheron, déjà à l’origine du Louvre-Lens. Pour son instigateur, ce partenariat devrait accroître le dynamisme d’Arras en permettant à la cité de former, avec sa voisine Lens, un nouveau pôle d’attractivité culturelle et touristique. De nombreux projets et défis attendent donc Anne Esnault, la nouvelle directrice du Musée des beaux-arts d’Arras en poste depuis tout juste un an.
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Le Louvre fer de « Lens » de la région Nord-Pas-de-Calais
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Abonnez-vous dès 1 €Évelyne-Dorothée Allemand
Depuis 1986, conservatrice en chef et directrice du Musée des beaux-arts de Tourcoing, devenu MUba Eugène-Leroy en 2009. Précédemment, elle a occupé le poste de conservatrice en chef adjointe du Musée des beaux-arts et de la dentelle de Calais de 1983 à 1986.
Aude Cordonnier
Successivement conservatrice adjointe chargée de l’action culturelle au Palais des beaux-arts de Lille et conservatrice du Musée de l’hospice Comtesse, cette ancienne diplômée de commerce (EDHEC) et d’histoire de l’art assure, depuis fin 1998, la conservation en chef des musées de Dunkerque (LAAC et Musée des beaux-arts). Elle a présidé aussi l’Association des conservateurs des musées du Nord-Pas-de-Calais entre 2006 et 2011.
Xavier Dectot
Ancien élève de l’École nationale des chartes et de la Casa de Velázquez, également docteur en histoire de l’art, le directeur du Louvre-Lens a été, durant dix ans, conservateur au Musée de Cluny à Paris, en charge des collections de sculptures, d’ivoires et de faïences.
André Dubuc
Cet ancien professeur, un temps principal de collège à Fouquières-lès-Lens (1987-1990) et attaché culturel de la ville de Tourcoing (1982-1983), est l’initiateur et le directeur du Centre historique minier du Nord-Pas-de-Calais à Lewarde, créé en 1982. Il a œuvré au classement du bassin minier à l’Unesco.
Alain Fleischer
Directeur du Fresnoy-Studio national des arts contemporains dont il a été le créateur en 1997, cet écrivain, cinéaste, artiste et photographe voit son œuvre régulièrement montrée lors d’expositions personnelles ou collectives en France et à l’étranger. En 2003, il a fait l’objet d’une rétrospective à la Mep et au Centre Pompidou.
Didier Fusillier
L’ancien directeur général de Lille 2004 (1999-2004), par ailleurs directeur du Manège
à Mons-Maubeuge (depuis 1990) et de la Maison des arts de Créteil (depuis 1993), officie depuis 2005 comme directeur de lille3000. En 2011, il a remporté par ailleurs le projet de « reconquête » des bords de Seine sur la rive gauche à Paris.
Bruno Gaudichon
Conservateur adjoint du Musée de Poitiers de 1982 à 1990 et spécialiste entre autres de Camille Claudel, il a rejoint Roubaix en 1990 pour reprendre en main la réouverture du Musée d’art et d’industrie de la ville qui était désaffecté depuis 1959. Il œuvre à son développement depuis son aménagement dans l’ancienne piscine municipale et son ouverture en 2001.
Philippe Gayot
Conservateur des musées de la Porte du Hainaut depuis 2004, cet agrégé de sciences naturelles, un temps responsable du service pédagogique du Musée d’histoire naturelle de Lille (1991-2004), assure aussi depuis 2002 la présidence de l’Association des conservateurs du Nord-Pas-de-Calais.
Sophie Lévy
Après avoir réalisé une partie de sa carrière au Musée des beaux-arts de Dijon, rejoint en 2000 le Musée d’art américain à Giverny, puis avoir été en 2008 directrice de l’antenne parisienne de la Terra Foundation for American Art, elle a pris en juillet 2009, un an avant sa réouverture en octobre 2010, la direction du Musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq, devenu le LaM.
Dominique Szymusiak
Conservatrice en 1974 au Musée des beaux-arts de Lille, elle rejoint en 1980 le Musée Matisse au Cateau-Cambrésis. Depuis 32 ans, elle œuvre à son développement et à son rayonnement. Son départ fin novembre clôturera des années d’engagement aussi bien au niveau du musée que de l’Association des conservateurs du Nord-Pas-de-Calais, qu’elle a présidée en 1985-1989 puis en 2000-2002. Le 1er décembre, Carrie Pilto, conservatrice adjointe au Musée d’art moderne de San Francisco, lui succédera à la tête de l’institution.
Didier Vesse
Galeriste pendant 20 ans et organisateur de foires d’art dans le sud de la France et à Grenoble de 1999 à 2009, cet ancien courtier en livres d’art et en estampes dirige depuis 2008 la foire d’art contemporain Lille Art Fair, dont la prochaine édition se déroulera du 7 au 10 mars 2013.
Alain Tapié
Conservateur et directeur du Musée des beaux-arts de Caen de 1984 à 2003, il dirige depuis le Palais des beaux-arts de Lille et le Musée de l’hospice Comtesse. Auteur de plusieurs ouvrages et catalogues, il est actuellement commissaire de l’exposition « Fables du paysage flamand ». En vue de son remplacement prochain, il s’est vu confier le 1er juillet une mission sur le développement et la conservation des collections muséales du Nord.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°650 du 1 octobre 2012, avec le titre suivant : Le Louvre fer de « Lens » de la région Nord-Pas-de-Calais