Musée - Nomination

Le grand désordre des nominations dans les musées

Par Carole Blumenfeld · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2016 - 1598 mots

Orsay, Versailles, Centre Pompidou, autant d’établissements publics où les procédures de nomination font des remous.

PARIS - Il y a quelques jours, un bon mot circulait dans les antichambres du pouvoir. Lors de sa visite de l’exposition Olafur Eliasson au château de Versailles fin juillet, Ségolène Royal aurait dit devant un parterre d’interlocuteurs médusés : « Versailles rime avec Royal, n’est-ce pas ? » Le château de Versailles n’a pas confirmé cette anecdote, mais il se murmure que le renouvellement de Catherine Pégard à la présidence de Versailles aurait été largement motivé par le désir des édiles socialistes d’éviter une éventuelle candidature de Ségolène Royal qui était, semble-t-il, vivement intéressée. Un tel choix aurait certes fait jaser, mais la nomination des présidents des établissements publics est l’apanage de l’Élysée, et ces choix politiques sont un moindre mal dès lors qu’ils ne portent que sur des postes de présidents et non de présidents directeurs en charge des collections, des acquisitions et de la programmation scientifique comme c’est le cas au Louvre, au Quai Branly, au Musée Picasso ou à Orsay.

Le cas Cogeval
Le processus qui a abouti à la reconduction de Guy Cogeval à la tête du Musée d’Orsay l’hiver dernier est beaucoup plus embarrassant. Nommé président de l’Établissement public du Musée d’Orsay et de l’Orangerie par décret du 28 janvier 2008, Guy Cogeval, a été reconduit dans ses fonctions par décret le 15 mars 2013. Le cadre juridique prévoit en effet un premier mandat de cinq ans, renouvelable pour des périodes de trois ans. Lorsque la question de la prolongation de ses fonctions s’est une nouvelle fois posée l’hiver dernier, il semblerait que ce point ait échappé au ministère de la Culture. Le décret du 9 mars 2016 l’a en effet reconduit dans ses fonctions, donc pour trois ans. Or le communiqué de presse du ministère de la Culture et de la Communication indique en effet que « ce dernier mandat sera abrégé après un an, le 15 mars 2017 : Guy Cogeval quittera alors la présidence des musées d’Orsay et de l’Orangerie, qu’il occupe depuis 2008, pour prendre la direction d’un Centre d’études sur les Nabis » (et conserver son appartement de fonction selon certaines personnes bien informées). Le communiqué contredit donc le décret. Comprenne qui pourra… En réalité, Guy Cogeval aurait été prié de présenter une lettre de démission prédatée à la valeur juridique fort contestable.

L’absurdité de cette situation met à jour une crise du système de nomination à la tête des établissements publics : un fonctionnement à géométrie variable, au cours duquel tantôt des commissions tantôt les conseillers du ministère de la Culture, de l’Élysée et de Matignon, tantôt le ministre de la Culture lui-même auditionne les candidats… lesquels ne sont pas forcément contraints de présenter des projets. Comment expliquer qu’aucun appel à candidatures n’ait été publié pour remplacer Alain Seban à la présidence du Centre Pompidou en 2015 ? Aurélie Filippetti, ancienne ministre de la Culture, s’était d’ailleurs émue de « ce recul » dans Le Journal du Dimanche (1er mars 2015), en déplorant le retour d’une grande opacité alors qu’elle avait cru mettre un terme aux « nominations discrétionnaires ». La fiche de poste publiée cet été pour trouver un remplaçant à Béatrix Saule, directrice du Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, décrit minutieusement les missions du poste et les attentes. Pourquoi alors avait-elle été nommée en 2009 sans appel à candidature ni commission de recrutement ? Il est vrai qu’à cette occasion elle avait tacitement accepté le changement de statut qui lui faisait perdre une partie des prérogatives de son prédécesseur, Pierre Arizzoli-Clémentel qui était directeur général de l’Établissement public du musée et du domaine national de Versailles.

Un système déséquilibré et obsolète
La nomination d’un dirigeant est devenue d’autant plus sensible qu’il n’existe presque plus de contre-pouvoirs au sein des musées. Le poids des conseils d’administration est en aucun cas comparable à celui des boards de trustees aux États-Unis. Un grand familier du milieu des musées rappelle que « l’État ne joue pas son rôle de tutelle dans les Conseils d’administration. Les périmètres d’intervention de ce qui était autrefois la Direction des musées de France (DMF), depuis 2010 services des musées de France au sein de la direction générale des patrimoines, ont été considérablement réduits dans la pratique. Auparavant d’ailleurs, à chaque processus de nomination, elle jouait un rôle crucial en choisissant dans son vivier de conservateurs les personnes les plus susceptibles de répondre aux impératifs des postes à pourvoir, mais là aussi son influence s’est considérablement affaiblie au profit des conseillers ministériels. »

L’ancienne Direction des musées de France semble avoir perdu son rôle d’arbitre et de régulateur. Les dérives, lorsqu’elles apparaissent, sont souvent seulement dénoncées dans la presse après coup, ce qui nuit à la réputation des institutions comme les textes à charge contre Anne Baldassari, Alain Seban ou Guy Cogeval. Le dernier en date, dans Le Monde du 2 février 2016, attaquait le président du Musée d’Orsay tout à la fois sur sa gestion du personnel, mais aussi sur sa santé – une première en France – en citant « une demi-douzaine de chefs de service et de conservateurs du musée ». Cette dénonciation anonyme et cette charge concernant sa vie personnelle étaient si violentes, qu’il n’est d’ailleurs pas impossible que cet article ait joué en faveur de sa reconduction.

Secoué par une série de couacs – sans même évoquer celui de l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) en 2015 ou de la Villa Médicis en 2008 –, le système mis en place après la Seconde Guerre mondiale et affiné dans les années 1980 et 1990 paraît ainsi obsolète.

La confidentialité, clé de l’efficacité du processus de nomination

Olivier Meslay, aujourd’hui directeur du Clark Institute à Williamstown après une carrière au Musée du Louvre, puis à la tête du département d’Art américain et européen du Museum of Art de Dallas, considère que l’une des clés de la réussite du processus de nomination des directeurs de musées américains est la discrétion. « L’absence de confidentialité est un obstacle à des candidatures de qualité. C’est dommageable pour tout le monde car cela empêche des conservateurs ou des directeurs de postuler par peur de fragiliser leur position au sein de leurs institutions. Ce n’est d’ailleurs pas aux impétrants d’être discrets, c’est à l’institution et aux chercheurs de tête d’empêcher les grands déballages sur la place publique. Aux États-Unis, il y a eu une seule exception à l’occasion de la recherche du successeur d’Anne Poulet à la tête de la Frick Collection en 2011 mais elle a été condamnée par tout le monde. Il ne s’agit pas d’un référendum, c’est une affaire de professionnels entre professionnels ! ».

Préfigurer les postes pour revisiter le musée

La fiche de poste associée à l’ouverture du recrutement d’un directeur de musée n’est pas seulement un document qui permet d’indiquer aux éventuels intéressés comment présenter leur candidature et à qui adresser leurs projets. La définition du rôle d’un responsable d’institution est l’une des étapes les plus riches et les plus indispensables du processus de sélection. « Aux États-Unis, rappelle Olivier Meslay, directeur du Clark Institute à Williamstown, le processus de nomination comporte deux temps très distincts. Avant de songer à d’hypothétiques candidats, la commission des trustees qui connaît parfaitement l’institution se réunit pour définir le profil idéal du futur directeur. Ce temps de réflexion est capital. » Lorsque Philippe de Montebello a quitté la direction du Metropolitan Museum of Art de New York en janvier 2009 après vingt-deux ans et un bilan remarquable en termes de valorisation des collections, d’ouverture de nouveaux départements ou de politique d’éducation, les trustees se sont dans un premier temps interrogés sur la fonction et non sur les personnes. Pierre Rosenberg, président-directeur honoraire du Musée du Louvre, avait été invité par la commission : « Les trustees avaient demandé à un certain nombre de personnalités ce que devait être un directeur de musée et le devenir même de l’institution. Nous avions également donné notre avis sur quelques candidats qu’ils avaient en tête. En France, le système est radicalement différent. Lorsqu’Henri Loyrette a quitté le Louvre, nous avons été consultés au plus haut niveau de l’État, Michel Laclotte, Henri Loyrette et moi-même pour faire connaître quels étaient à nos yeux les meilleurs candidats. » Orsay n’a plus le même visage L’exemple du Metropolitan Museum of Art pourrait s’appliquer au Musée d’Orsay dont le projet a été sensiblement modifié depuis sa création. Après avoir fêté les 30 ans, « il est temps, affirme un ami du musée, de confier à une commission de spécialistes une mission de réflexion sur l’avenir du musée et le profil de son nouveau directeur en faisant peut-être appel à quelques étrangers comme Gary Tinterow, fin connaisseur de la période et aujourd’hui directeur du Museum of Fine Arts de Houston, dont le regard pourrait être fécond ». La politique d’enrichissement menée par Guy Cogeval qui a fait entrer depuis 2008 près de 5 000 œuvres – sans compter la donation Hays qui devrait bientôt être annoncée en exclusivité par François Hollande – a bouleversé la structure des collections et il serait sans doute nécessaire de songer aux périodes artistiques à renforcer. Par ailleurs, les visiteurs du Musée d’Orsay ont profondément évolué en trente ans avec une augmentation récente de la part des jeunes et notamment des Franciliens. « La conquête de nouveaux publics à identifier devrait être au centre de la lettre de mission du nouveau directeur, ce qui attirerait les candidats ayant déjà fait leurs preuves dans ce domaine », ajoute le spécialiste.

Légende photo

Guy Cogeval © Musée d'Orsay

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°465 du 14 octobre 2016, avec le titre suivant : Le grand désordre des nominations dans les musées

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