BRUXELLES / BELGIQUE
À Bruxelles, les organisateurs du festival culturel arabe refusent d’aborder les aspects politiques de leur programmation syrienne et se replient sur des arguments de façade.
Bruxelles.« Nous estimons que sur le plan politique tout a été dit », lâche le directeur du festival Moussem, Mohamed Ikoubaan, pour motiver son refus (*) d’accorder un entretien au Journal des Arts. Selon lui, poser des questions politiques ou s’interroger sur les orientations politiques des artistes syriens sélectionnés risque « de mettre en danger la sécurité de certains d’entre eux ». Une attitude également adoptée par les directeurs des lieux associés au festival bruxellois (Palais des beaux-arts et Kaaitheater) pour refuser tout entretien.
Au vu de l’actualité et de la programmation du festival, ces justifications relèvent de la posture et du double langage. Pour mémoire le festival Moussem met à l’honneur chaque année en février une capitale arabe et donne de la visibilité à ses artistes : choisir Damas en 2019 plutôt que Bagdad ou Amman n’est en rien anodin. Mohamed Ikoubaan, lui-même, rappelle que « 80 % de la scène artistique syrienne est partie [de Syrie] » depuis 2011. Refuser d’évoquer le contexte politique du festival est donc un contresens, d’autant qu’il avait mentionné ce contexte dans la presse belge en janvier. Dans le quotidien Le Soir du 18 janvier 2019, il expliquait les difficultés de sélectionner des artistes à Damas, car « théoriquement c’était possible d’y aller, mais accompagné par les services secrets ou surveillés de loin » par les services de renseignement…
Plus largement, les œuvres programmées (pièces, performances, œuvres d’art) donnent tort aux organisateurs, car plusieurs abordent des questions politiques. Parmi les cinq pièces de théâtre et performances, l’une fait le parallèle entre la guerre du Liban et la Syrie contemporaine, une mise en perspective fort intéressante sur les conflits au Moyen-Orient (Temporary Stay, de Waël Ali et Chrystèle Khodr). Une autre s’attaque frontalement au régime dictatorial syrien : dans Damascus café, la comédienne Lubna Abukhair raconte son emprisonnement arbitraire et les tortures infligées aux femmes dans les prisons du régime. Ici le contexte local est primordial pour appréhender la pièce de théâtre, d’autant qu’elle a été jouée à Damas avant l’exil de la comédienne, dans des conditions non précisées.
Les autres pièces préfèrent une approche sociologique ou psychologique de la guerre, mais le contexte élargit le point de vue. Des éléments pourtant souvent manquants, car les textes de présentation des pièces semblent hésiter à recontextualiser les œuvres. Ainsi, plusieurs textes s’en tiennent-ils à des généralités comme « la violence de la guerre » ou « la relation de l’être humain avec les bombardements et la mort », des termes qui ne rendent pas compte des spécificités du conflit syrien depuis 2011. Mohamed Ikoubaan assume de n’avoir pas organisé de débats politiques pendant le festival, affirmant que « le festival n’a pas d’agenda politique ». Il concède cependant que « cela ne veut pas dire que tous les projets sont apolitiques » et ajoute ne pas avoir cherché à connaître les orientations idéologiques des artistes : une position qui ne tient pas face aux œuvres.
C’est particulièrement évident dans les deux petites expositions présentées en marge du festival. Au Palais des beaux-arts la commissaire Alma Salem a sélectionné des œuvres liées aux oiseaux et à la métaphore de la ville vue du ciel, et elle expose une de ses œuvres. Le public y voit un montage d’images des destructions infligées aux villes syriennes par les bombardements, images récupérées dans des reportages des chaînes télévisées Russia Today et CNN : Alma Salem écrit dans sa présentation qu’il s’agit de « destructions photogéniques » et renvoie ainsi dos à dos Russes et Américains. On ne saurait faire plus politique. L’autre exposition présente une sélection de documents rassemblés par Sana Yazigi et ses collaborateurs pour Creative Memory of the Syrian Revolution. Ce site internet recense depuis 2013 les traces artistiques et créatives de la révolution avortée de 2011, et à ce jour le site en compte plus de 6 000. Dans l’exposition les documents (affiches, graffitis, dessins) sont présentés avec tout le contexte géographique et historique nécessaire (lieux, dates, succession des événements, artistes impliqués). C’est toute une production visuelle nourrie d’activisme qui s’y déploie, un activisme anti régime assumé : comment les organisateurs peuvent-ils l’ignorer ?
Malgré le large soutien de la Ville de Bruxelles et des autorités flamandes, les organisateurs de Moussem ont préféré afficher une neutralité de façade plutôt que d’enrichir le débat sur la Syrie : in fine cette attitude nuit aux artistes.
(*) Le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar) apporte la précision suivante : « Le directeur de Bozar Monsieur Dujardin n'a pas refusé d'accorder un entretien au JdA, mais a estimé que c'était à Mohamed Ikoubaan de répondre aux interviews puisqu'il était à l'initiative du festival. »
Un colloque aux beaux-arts
DÉBATS. Organisé à l’initiative d’un collectif franco-syrien le colloque « L’art contemporain syrien, histoire d’une révolution visuelle » s’est déroulé à l’École des beaux-arts des Paris (Ensba) le 1er mars 2019. Il a rassemblé des artistes syriens en exil, des commissaires d’expositions et des militants. Parmi les intervenants se trouvaient Alma Salem et Sana Yazigi, toutes deux exposées à Bruxelles dans le festival Moussem. Elles ont abordé des questions liées à l’exil des artistes syriens et à l’activisme artistique comme acte de résistance, soit des sujets hautement politiques. D’autres tables rondes concernaient la censure d’État ou l’art contemporain au Moyen Orient, sans occulter la complexité du contexte local.
Olympe Lemut
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Le festival Moussem Damascus nie la réalité de son propos
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°518 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Le festival Moussem Damascus nie la réalité de son propos