Prisme évidemment déformant de la production mobilière mondiale, le dernier Salon du meuble de Milan, en avril dernier, n’en a pas moins provoqué
un sentiment de malaise :
le design doit-il lui aussi accompagner la tendance actuelle (et hystérique) à la surconsommation ?
À peine le Sommet de la Terre de Johannesburg s’est-il achevé, le 4 septembre, que déjà l’on subodore l’expression qui alimentera les conversations dans les mois à venir : “le développement durable”. Quid alors du “design durable” ? Ce n’est pas le Salon du meuble de Milan, événement mondial dans le domaine, qui fournira la réponse, tant celui-ci se fait un point d’honneur à exhiber chaque année davantage de “produits”, dont moult issus d’un clonage intensif que le designer Enzo Mari, soixante-dix ans, a fort justement baptisé de “concept karaoké” (1) .
Cette année, on frôlait l’overdose. Un sentiment de saturation amplifié par deux phénomènes récurrents. D’abord, une course quasi-boulimique à l’image : les éditeurs n’hésitent pas à inonder leurs stands respectifs de prototypes, pas forcément achevés, “même si je sais pertinemment que, au final, seuls 30 % des projets que nous étudions arrivent au stade de la production”, nous a d’ailleurs expliqué Giulio Cappellini, PDG de la firme italienne éponyme (lire le JdA n° 149, 17 mai 2002). La “stratégie marketing” est claire : il s’agit de collectionner des designers vedettes pour vendre non plus un meuble mais une image d’entreprise, à l’instar du Real Madrid qui s’attache les services de stars du ballon rond pour damer le pion à ses rivales (Manchester United, Milan A.C...).
Deuxième phénomène : le flirt poussé avec le monde de la mode, comme ce fut le cas chez Moroso, avec ces miniatures commandées à une quinzaine de stylistes, dont Tom Ford ou Stella McCartney, ou encore chez Cappellini, avec la collection Mondo dessinée par Paul Smith. Le design aimerait tant revêtir les atours de la mode – son économie, ses méthodes et surtout son aura. Or il est une chose qui s’avère incompressible : le cycle de fabrication. Sur France Inter, le 23 août, Philippe Starck estimait “la mise au point industrielle d’un objet à cinq ans”, bien plus longue donc que celle d’un vêtement, aussi pensé soit-il. Pourquoi alors une telle profusion d’”objets-Kleenex” ?
“Je suis fatiguée de fabriquer des objets pour les shopping victims et je garde plus de secrets pour moi”, avoue Hella Jongerius dans la revue Intramuros qui, pour son centième numéro, en avril, a interrogé cent designers. À la question “Quelles sont les modifications majeures que le design a pu accompagner ou anticiper ?”, certains – trop peu ! – ont livré une réponse en forme de mea culpa : “Le consumérisme, a ainsi répliqué Ayse Birsel. On vous demande de concevoir des projets de plus en plus vite et les produits sont de plus en plus vite passés de mode, c’est un vrai cercle vicieux. L’obsolescence préprogrammée : voici l’un des facteurs économiques majeurs auxquels contribue le design.” “Le consumérisme surtout, a renchéri Tom Dixon, (entre autres) responsable du design chez Habitat. J’en suis coupable moi aussi, et, pour l’instant, nous avons tous globalement échoué.”
Comme l’a dit Gandhi, au siècle dernier, “nous devons apprendre à nous auto-limiter et à freiner le consumérisme”. Sans surprise, les premiers à ouvrir la voie ont été les Hollandais. Passée quasiment inaperçue en 2000 à l’Institut néerlandais, à Paris, mais présentée à nouveau du 16 au 24 novembre prochain à la 3e Biennale internationale de design de Saint-Étienne, l’exposition “Re-F-Use” montre cent cinquante objets imaginés en tenant compte de leurs conséquences sur l’environnement. Le titre de l’exposition, avec un “F” barré, est suffisamment explicite : en anglais “refuse” signifie déchet et “re-use” réutilisation. Autre réflexion : celle menée par la firme Moooi (www.moooi.com), qui propose des idées de recyclage d’objets, comme la suspension Light Shade Shade de Jurgen Bey, enfin éditée, simple film miroir semi-transparent qui peut recouvrir tout lustre démodé, ou encore, les Salvation Ceramics de Constantin et Laurence Boym, série de coupes fabriquées à partir d’anciennes tasses et assiettes de porcelaine.
Le 11 septembre, jour des commémorations du premier anniversaire des attentats terroristes sur le sol américain, a débuté à l’Académie de design d’Eindhoven (www.designacademy.nl) un nouveau mastère qui s’achèvera en juillet 2004. Les deux thèmes choisis sont : “Design humanitaire” et… “Style durable” !
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Le design durable
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°154 du 13 septembre 2002, avec le titre suivant : Le design durable