L’artiste abstraite reconnue sur le tard vient de décéder à l’âge de 94 ans.
PARIS - L’artiste Aurelie Nemours vient de disparaître à l’âge de 94 ans, au terme d’une vie tout entière consacrée à la recherche de la connaissance et à l’étude de la peinture, l’une et l’autre, dans leur mouvement, ayant été indissociables. Dans ces quarante années de labeur, denses et continues, d’où ne sourd aucune distraction, se révèle l’ampleur de l’œuvre, commencé véritablement à la fin des années 1940, achevé pour sa partie matérielle en 1992, quand l’artiste fut abandonnée par sa vue : il s’agit de centaines de tableaux, pastels, gouaches, collages, dessins préparatoires, estampes qu’Aurelie Nemours a montrés dans les salons dès 1944, au Salon d’automne, puis aux Indépendants et à partir de 1949 aux Réalités nouvelles, auxquelles elle demeura fidèle jusqu’en 1992, ainsi que dans les galeries, la première étant celle de Colette Allendy en 1953. Ce à quoi il faut ajouter un œuvre poétique, intense et plein de ferveur, reconnu et publié dès 1949 au Mercure de France par Adrienne Monnier, suivi de son premier recueil de poèmes, Midi la lune paru en 1950, et jusqu’en 2003 dans son livre Bleu bleu noir, écriture en soi, mais qui souvent complète et explicite le travail du peintre.
Son apprentissage, après ses études notamment à l’École de Louvre, a duré, dans les ateliers de Paul Colin de 1937 à 1940 puis d’André Lhote de 1941 à 1944, de Fernand Léger, enfin, de 1948 à 1951. Ses débuts, encouragés par Auguste Herbin, interviennent tard par rapport à son âge : elle appartiendra de fait à la génération des artistes plus jeunes qu’elle, qui se sont révélés après la Libération. Elle s’engage dans l’abstraction et trouve vite sa voie au début des années 1950, en recourant à des formes simples, un petit jeu de couleurs et une composition fondée sur l’horizontale et la verticale, dans le strict respect du plan (Trois personnages, 1952, Museum Würth, Künzelsau). Sa recherche s’accomplit dans la série de compositions intitulée « Demeures », qu’elle exécute de façon inattendue au pastel et avec laquelle elle renouvelle le langage de l’abstraction géométrique et se constitue un répertoire de formes et d’idées. Viennent ensuite des séries poursuivies simultanément au long de plusieurs années, ayant pour titre « Au commencement », « Échiquiers », « Rosaces », « Croix », « Couronnes », où elle fait alterner ses propositions en noir et blanc ou en couleurs, qui savent allier la finesse à la force monumentale. À partir de 1975 débute la réalisation de son grand œuvre, dédié au noir et blanc et constitué de trois ensembles majeurs, le premier intitulé « Rythme du millimètre », où elle explore l’univers du rythme au moyen du nombre, qui se conclura de façon posthume avec la sculpture pour la ville de Rennes, faite de 72 colonnes de granit de plus de 4,50 m de hauteur, qui doit être achevée dans le courant de cette année. Puis commence, à partir de 1982, le cycle « Structure du silence », où elle se préoccupe autant de structure que du rapport entre le fond et la forme, le positif et le négatif. Vient, à partir de 1991, la dernière séquence, où le vide le dispute au signe, qu’elle nomme « Nombre et hasard » et qu’elle poursuivra jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus peindre, jusqu’à son dernier tableau Nombre et hasard 9237 de 1992, qu’elle a voulu donner au Musée de Grenoble et qui atteint à une vraie grandeur.
Aurelie Nemours n’a jamais séparé sa méditation sur la vie de sa pratique de peintre. Elle a privilégié l’usage du noir et blanc, sans jamais délaisser la couleur, comme le montrent encore les vitraux de couleur pourpre qu’elle a réalisés pour la petite église romane de Salagon dans les Alpes-de-Haute-Provence en 1998. Elle a utilisé un petit nombre de formes simples pour occuper le champ pictural, l’organiser en fonction de deux directions essentielles, celles de l’horizontale et de la verticale, afin d’exprimer, parfois jusqu’à la réduction la plus extrême, le rythme, comme le traduit bien son tableau Au commencement I. Le point de 1959, activement composé d’un carré noir disposé dans une vaste étendue blanche, l’élément dans le tout, qui témoigne bien de sa quête spirituelle.
L’œuvre d’Aurelie Nemours a été très tôt vu, reconnu, apprécié, commenté, collectionné par les artistes et quelques marchands, amateurs, critiques, historiens d’art et un cercle de collectionneurs fervents. Mais la consécration est venue de l’étranger avec la Galerie Teufel, qui, à Cologne, célébra avec éclat son 70e anniversaire, avec la Stiftung für konstruktive und konkrete Kunst de Reutlingen, qui lui consacra une première rétrospective magistrale en 1989, suivie d’une grande exposition à Zurich en 1994 à la Stiftung für konkrete Kunst. Ensuite, le Wilhelm Hack Museum de Ludwigshafen lui consacra en 1995 une rétrospective exemplaire, ainsi que l’Institut Valencià d’art moderne de Valence en 1998. En France, il faut certes mentionner que le Musée Tavet-Delacour de Pontoise avait montré son travail en 1984, ainsi que, de façon plus complète, le Centre Noroit d’Arras en 1989. Mais c’est au Musée de Grenoble que ses œuvres ont été exposées en permanence dans les salles – des ensembles entiers constitués par achats, dépôts de l’État et donations de l’artiste, permettant la constitution d’une collection de 91 numéros – et que des expositions ont été organisées, dont la plus importante, en 1996, intitulée « Histoires de blanc et noir. Hommage à Aurelie Nemours », a circulé en Europe. Viendront ensuite le Musée des beaux-arts de Rennes en 1999, celui de Vannes en 2001, où seront montrées les estampes, enfin, en 2002, le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. La « province » avait joué son rôle. C’est en effet bien tard, en 2004, que le Centre Georges-Pompidou et le Musée national d’art moderne, à Paris, décidèrent de lui consacrer un hommage, auquel elle put participer et qui représenta une grande joie pour elle-même, tous ses amis et ses admirateurs, couronné par un extraordinaire succès public.
Aurelie Nemours a maîtrisé sa vie jusqu’à la fin et l’a tout entière consacrée à l’exercice de la peinture, jusqu’à fonder un prix annuel qui porte son nom, destiné à encourager la création dans tous les domaines de l’art et dont les premiers lauréats ont été Julije Knifer, Imi Knoebel et Adalberto Mecarelli. Consciente de ses responsabilités, forte de son engagement, éprise d’absolu, Aurelie Nemours a composé l’un des plus beaux chants de l’art abstrait.
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L’aventure d’Aurelie Nemours
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : L’aventure d’Aurelie Nemours