Alors que trois des dix-huit tableaux de maîtres anciens volés en 1986 chez le collectionneur Alfred Beit n’ont toujours pas été retrouvés, une enquête de Scotland Yard a mis en évidence les liens étroits existant au niveau international entre le trafic d’œuvres d’art et celui de la drogue.
LONDRES (de notre correspondant) - En 1986, dix-huit tableaux de maîtres anciens étaient dérobés à Russborough House près de Dublin, dans la propriété du collectionneur millionnaire Sir Alfred Beit. Sept peintures furent retrouvées après le vol dans un fossé des environs, les malfaiteurs n’ayant finalement emporté avec eux que onze tableaux, dont un Vermeer. Avec le cambriolage de l’Isabella Stewart Gardner Museum de Boston, il s’agit probablement du vol d’œuvres d’art le plus important de l’après-guerre, évalué à l’époque à plus de 50 millions de livres.
D’après Scotland Yard, le cerveau de l’opération aurait été Martin Cahill, surnommé "The General", un des parrains de Dublin assassiné par l’Ira en 1994 : "Cahill voulait devenir le plus grand pourvoyeur de drogue des îles britanniques. Le trafic d’œuvres d’art volées était censé lui donner les moyens de ses ambitions". Ainsi, la Jeune femme lisant une lettre de Metsu, retrouvée en 1990 à Istanbul par la police turque, était apparemment sur le point d’être échangée contre une importante cargaison d’héroïne destinée au Royaume-Uni. De même, le Portrait de madame Baccelli par Gainsborough a été récupéré en 1992, à l’arrière d’un camion, par des policiers chargés de la lutte contre le trafic de stupéfiants. L’année suivante, deux autres peintures ont pu être retrouvées à Londres : Le concert de Palamedes, abandonné à la consigne de la gare de Euston, et le Portrait d’un moine par Rubens, caché dans une maison de Borehamwood. Mais les quatre plus belles œuvres de la collection Beit avaient été déposées dans un coffre d’une banque luxembourgeoise en garantie d’un prêt consenti par un diamantaire d’Anvers.
L’argent emprunté en échange de la Dame écrivant une lettre avec sa servante, de Vermeer, du Portrait de Doña Antonia Zárate par Goya, du Jeune homme écrivant une lettre, de Metsu, et du Portrait de madame de Lamballe par Vestier, aurait permis à Cahill de prendre des parts dans une banque d’Antigua (Petites Antilles britanniques), la Hanover Bank. Celle-ci devait permettre de blanchir l’argent de la drogue achetée à Marbella (Espagne), puis écoulée sur le marché britannique. Alors que Cahill négociait auprès d’une grande compagnie d’assurances un investissement off shore sur l’île de Man, d’un montant de 30 millions de dollars, des avocats eurent vent de l’opération et décidèrent de geler l’argent qui était en train d’être transféré via Limassol (Chypre).
Trois œuvres manquent à l’appel
En 1993, les malfaiteurs ont tenté de vendre à Anvers les quatre toiles de Vermeer, Goya, Metsu et Vestier, mais une opération secrète de la police a permis d’arrêter trois ressortissants irlandais et un Yougoslave, bientôt relâchés pour vice de procédure. Les peintures n’avaient pas trop souffert, même si la toile de Goya a été roulée et le Vermeer légèrement éraflé. Ce dernier, ainsi que le Goya et les deux Metsu, sont aujourd’hui exposés à la National Gallery of Ireland à Dublin, tandis que les quatre autres tableaux retrouvés ont été restitués à la famille Beit.
Trois œuvres manquent donc toujours à l’appel. Certaines sources non confirmées estiment que la Tête de cavalier de Rubens pourrait avoir été endommagée par un restaurateur protestant d’Irlande du Nord à qui Cahill l’aurait confiée, d’autres soutiennent qu’elle est probablement toujours cachée en Irlande. Les deux Caprices de Guardi auraient, eux, été cédés à un collectionneur de Miami.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’art et la drogue : révélations de Scotland Yard
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : L’art et la drogue : révélations de Scotland Yard