LILLE
Douze « Maisons Folie » sont en construction autour de la Capitale européenne de la culture. Ces projets d’architectes ont pour but de perpétuer l’âme de Lille 2004.
Pour l’œil averti, « Lille 2004, capitale européenne de la culture » met l’architecture à l’honneur dès l’affiche officielle. Y apparaît d’emblée une image, certes anodine mais ô combien ancrée dans l’imaginaire lillois : les bottes rouges chaussées par le Petit Poucet ont la même forme que la tour du Crédit lyonnais, érigée en 1995 par Christian de Portzamparc – l’architecte aura d’ailleurs droit à une exposition monographique (1) –, et surnommée depuis par les habitants « la chaussure de ski ». On attendait surtout, au rayon Architecture, le retour sur le devant de la scène d’un bâtiment phare du modernisme : la villa Cavrois, à Croix, construite en 1932 par Robert Mallet-Stevens et classée monument historique en 1990. Rachetée après moult péripéties par l’État en 2001, sa transformation en centre dédié à l’architecture semblait acquise. Or « l’ampleur des travaux à réaliser ne permet pas de prévoir une utilisation de l’intérieur de la villa pour 2004 », précise un communiqué. Des travaux – la restauration est estimée à 7,6 millions d’euros – qui risquent encore de s’éterniser si la tutelle change : l’édifice figure en effet sur la liste des monuments dont la commission Rémond préconise un « transfert souhaitable » vers les collectivités territoriales (lire le JdA n° 182, 5 décembre 2003).
Il n’empêche, Lille 2004 s’est pour l’occasion lancée dans une ribambelle de projets à diverses échelles. À commencer par la plus petite, avec, par exemple, le projet d’« estaminet-dînette » imaginé par le designer François Azambourg, tout auréolé de son Grand Prix de la création 2004 de la Ville de Paris, section Design, qui lui sera remis le 23 janvier. Pas plus large qu’une place de parking, son « micro-restaurant » peut être installé aux quatre coins de la ville. Cette boîte translucide se compose de deux niveaux – les grands devront impérativement baisser la tête –, meublés d’une table et de quatre chaises d’écolier. Entre les deux, un troisième espace, minuscule, est dévolu au cuisinier, en activité jusqu’au 28 novembre 2004.
Moins architecture de poupée, mais pouvant néanmoins être perçue comme un jouet surdimensionné, telle se présente la « Capsule » de Matali Crasset, pigeonnier futuriste planté sur la base de loisirs de Caudry, près de Cambrai, inaugurée le 8 novembre 2003 et néanmoins labellisée « Lille 2004 ». Cette Capsule se compose d’une coque en résine colorée de six mètres de haut sur cinq de large, fixée sur une structure en bois, laquelle repose sur un mât de métal en forme d’arbre. Son originalité : on peut y pénétrer.
Mais le plat de résistance architectural de Lille 2004 est assurément l’ouverture, programmée pour le 6 mars, de douze « Maisons Folie » (2). Ces Folies, jadis maisons de plaisance pour les intendants et les favorites, se veulent aujourd’hui « des lieux phares dans des sites inédits ». D’un côté, sont réhabilités d’anciens bâtiments industriels ou des éléments remarquables du patrimoine architectural (béguinage, église, ferme, fort, couvent, hôtel particulier…). De l’autre, des constructions neuves sont mises en chantier, comme le Colysée, « grande villa contemporaine » conçue par l’architecte Pierre-Louis Carlier, à Lambersart, sur les bords de la Deûle. Les Folies seront des « lieux de convivialité et de rencontres » et favoriseront l’« épanouissement individuel au contact de la création artistique » (dixit le dossier de presse). Bref, elles sont appelées à devenir les « MJC du XXIe siècle »…
Un clin d’œil à la mémoire de l’activité du lieu
De ces douze projets, le plus imposant apparaît comme celui de la « Condition publique », à Roubaix. Ce bâtiment monumental, construit en 1902 pour le conditionnement – d’où son nom – de la laine et des soies, s’étale sur 11 000 m2. L’architecte Patrick Bouchain, auteur de la reconversion de l’usine Lu en centre culturel, à Nantes, associé ici à l’équipe Julienne, prévoit d’y installer, entre autres, une salle de spectacle, une librairie, un bar et un restaurant. Le coût des travaux est estimé à 10 millions d’euros. Ouverture prévue : 15 mai 2004. Autre Maison Folie très attendue : la Brasserie des Trois-Moulins, à Lille, ancienne malterie du XVIIIe siècle, aux façades en brique de style flamand. L’agence Baron et Louguet y a installé, outre une salle d’exposition, des résidences pour artistes, des studios de répétition et une… brasserie.
Mais l’édifice le plus emblématique est sans doute le projet du Néerlandais Lars Spuybroek (agence Nox) et du Français François Andrieux, implanté dans le quartier populaire de Wazemmes, à Lille. Une partie de cette usine, l’ancienne filature Leclercq, bâtie au XIXe siècle et fermée définitivement en 1990, a été démolie pour faire place à un édifice tout neuf : un cube de béton noir habillé d’une immense cotte de maille en inox et qui abrite une salle de spectacle de 250 places. « Cette maille métallique, explique Lars Spuybroek, est un clin d’œil à la mémoire de l’activité qui animait jadis ce bâtiment : la filature. » L’autre partie de l’usine, réhabilitée dans ses murs de brique, accueillera, elle, des espaces pour les habitants du quartier, tels des salles de réunion, une crèche et même un… hammam.
L’architecture, on l’aura compris, s’affiche ici en première ligne. À ces douze Maisons Folie incombera finalement la plus lourde tâche : perpétuer l’âme de Lille 2004. C’est en tout cas le pari culturel (et social) de son directeur, Didier Fusillier.
(1) « Un opéra d’architecture », Palais des beaux-arts de Lille, du 8 septembre 2004 au 5 janvier 2005.
(2) En France : l’usine Leclercq (Wazemmes) et la Brasserie des Trois-Moulins à Lille, la Condition publique à Roubaix, l’hospice d’Havré à Tourcoing, la Ferme d’en haut à Villeneuve-d’Ascq, le Colysée à Lambersart, le fort de Mons-en-Barœul, l’hôtel de Guines à Arras, la Porte de Mons à Maubeuge. En Belgique : le séminaire de Choiseul à Tournai, les Arbalestriers à Mons et l’île Buda à Courtrai.
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L’architecture... à la folie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°184 du 9 janvier 2004, avec le titre suivant : L’architecture... à la folie