Président de La Cinquième, Jérôme Clément est également président de la chaîne de télévision franco-allemande Arte. De 1981 à 1984, il a été le conseiller pour la Culture et la Communication de Pierre Mauroy à Matignon, puis a dirigé pendant cinq ans le Centre national de la Cinématographie (CNC). Il commente l’actualité de 1998.
Quelles réflexions vous inspire la politique d’acquisition des musées en 1998 ?
L’entrée d’un nouveau Manet, Berthe Morisot au bouquet de violettes, à Orsay, a certainement dû faire plaisir aux conservateurs de ce musée. Mais j’ai lu que ce tableau avait coûté 80 millions de francs... C’est beaucoup d’argent. Les collections nationales sont déjà riches en Manet. Certes, il est normal et souhaitable que les musées mènent une politique d’acquisition. C’est leur rôle et leur mission. Mais ne faudrait-il pas, en priorité, compléter le patrimoine national là où il y a des lacunes ? Par ailleurs, la politique des musées pourrait avoir d’autres priorités.
Quelles devraient être ces priorités ?
La France souffre actuellement de graves problèmes de cohésion sociale. Il faut en priorité favoriser l’accès des catégories les plus défavorisées à la culture, et notamment aux musées. Prenons garde aux risques d’exclusion culturelle. Ils existent autant que l’exclusion sociale. Il faut par exemple que les scolaires et les étudiants trouvent des lieux d’accueil appropriés pour les aider à se familiariser avec la peinture et les œuvres d’art. Un effort considérable doit être consenti en faveur des enseignements artistiques.
C’est un serpent de mer !
C’est vrai, je m’occupais déjà du dossier quand j’étais avec Pierre Mauroy à Matignon, entre 1981 et 1984 ! Nous n’avons pas réussi suffisamment dans cette tâche. Claude Allègre, qui initie beaucoup de transformations nécessaires, s’y intéresse, mais pas assez. Comme cela se pratique dans d’autres pays en Europe, on doit en France, pour l’initiation à l’art, faire plus et mieux. L’art offre un réel potentiel de richesses et de joies personnelles et sociales, mais il doit être offert à tous.
Pour les musées encore, l’un des principaux sujets d’actualité a été le dossier des MNR, les “Musées nationaux récupération”.
Le pillage des œuvres d’art par les nazis a été une abomination, parmi d’autres encore plus infernales. Il faut rechercher chaque fois qu’on le peut les filières par lesquelles les œuvres ont été volées à leurs propriétaires légitime et s’efforcer d’aboutir à une réparation du préjudice subi. La démarche suivie aujourd’hui aurait dû être initiée bien plus tôt. Mais il est aussi indispensable, par ailleurs, d’établir des règles internationales. Le cas du tableau d’Egon Schiele, saisi lors d’une exposition à New York, doit demeurer une exception. On ne peut pas systématiquement employer une procédure aussi brutale. Quant à l’idée de vendre aux enchères les MNR, comme l’a demandé le Congrès juif mondial, et dans la mesure où l’identification des propriétaires originels est et demeurera le plus souvent impossible, cela me paraît, spontanément, une bonne formule. Un tel dispositif aboutirait à une réparation, certes tardive et incomplète, mais compréhensible.
Que pensez-vous de la décision de construire le Musées des arts premiers quai Branly ?
Je suis tout à fait favorable à la création d’un tel musée. Il permettra de mettre en valeur des trésors venus d’autres civilisations ; il enrichira notre connaissance de ces cultures et nous aidera à mieux les apprécier. Il nous ouvrira les yeux sur ces arts qui ont déjà séduit les plus grands artistes, comme Picasso, Modigliani et tant d’autres parmi les contemporains. Personnellement, j’aurais plutôt imaginé ce musée au Palais de Tokyo, dont on ne sait plus trop quoi faire maintenant, qu’au quai Branly où il faut construire un bâtiment. Mais j’espère que cette création donnera l’occasion aux architectes d’imaginer un espace où le plaisir de voir et celui de comprendre iront de pair. Je pense par exemple au Musée anthropologique de Mexico, dont le parcours est lumineux pour l’esprit. Quant au Musée des arts d’Afrique et d’Océanie, il va être lui aussi vidé de son contenu… Il faudra réinventer.
Quelles expositions vous ont marqué ?
À l’étranger, j’ai été impressionné par la splendide exposition “Bruegel” à Vienne. J’y suis même allé deux fois... Elle m’a beaucoup appris sur Bruegel l’Ancien et sur ses relations avec ses fils, Pieter et Jan. En France, j’ai pris beaucoup de plaisir à l’exposition “Manet/Monet” à Orsay et, tout récemment, à celle “Millet/Van Gogh” qui est vraiment enrichissante. Elle nous montre de façon éclatante les liens entre ces deux artistes, l’influence que Millet a pu avoir sur Van Gogh, et les qualités d’expression de deux artistes de premier plan aux tempéraments et aux styles si différents. Du coup, d’ailleurs, on redécouvre Millet. J’ai été très intéressé aussi par l’exposition “La Tour” au Grand Palais, qui mettait en scène une confrontation inouïe d’œuvres de toute beauté, des tableaux du pinceau de ce maître mystérieux et ceux de copistes, de disciples ou de faussaires... Un vrai bonheur. J’ai été très sensible à la rétrospective “Frida Kahlo” à la Fondation Dina Vierny. Frida Kahlo et son histoire, liée à celle de Diego Rivera et à l’Histoire. Dina Vierny et sa passion pour l’art. Quelles personnalités... J’ai aimé la rétrospective “Alechinsky” au Jeu de Paume. D’une manière générale, j’apprécie beaucoup les expositions de cette institution, comme la rétrospective “César” en 1997, ou l’exposition “Supports Surface” qui rendait bien compte de ce mouvement qui a fait date dans l’histoire de l’art français. Je ne m’étendrai pas sur la Fiac, que je ne manque jamais depuis sa création et où je découvre toujours de nouveaux artistes, même si je regrette que cette manifestation soit trop ouverte aux talents consacrés et pas assez aux artistes nouveaux.
1998 a vu également revenir l’hypothèse d’une imposition des œuvres d’art au titre de l’ISF, qui a suscité un tollé chez les collectionneurs, les conservateurs de musées et les professionnels du marché.
Je suis partisan du maintien de l’exonération des œuvres d’art, même si celle-ci entraîne apparemment une part d’injustice. Le rendement d’un impôt sur les œuvres d’art serait faible. En revanche, il engendrerait un énorme risque d’évasion des œuvres et, bien évidemment, des fraudes importantes. Un tel impôt serait de toute façon extrêmement dangereux pour le patrimoine artistique français, qui partirait s’abriter ailleurs. Par rapport à l’intérêt du maintien du patrimoine en France, l’enjeu n’en veut pas la peine.
1998 a été marqué aussi par le rachat de Christie’s par François Pinault et un nouveau report de l’ouverture du marché des ventes aux enchères aux sociétés étrangères.
Ce rachat est une bonne nouvelle pour la France. François Pinault est un entrepreneur dynamique qui aime l’art, et précisément l’art contemporain. On peut parier qu’avec la puissance et l’image internationale de Christie’s, il donnera un coup de fouet au marché français. Je déplore naturellement le retard pris par l’ouverture des ventes publiques. Si Paris veut retrouver la place qui était la sienne il n’y a pas si longtemps, il faut évidemment que Christie’s et Sotheby’s puissent y vendre. Un marché de l’art puissant est une aubaine. Il fait vivre de très nombreuses personnes : experts, encadreurs, transporteurs, imprimeurs, que sais-je ? Il crée de l’emploi. On ne le souligne pas assez. Il ne sert à rien de retarder cette ouverture, puisqu’il faudra la faire.
Et en 1998, comme au cours des années précédentes, les arts plastiques ont été mal servis par les chaînes de télévision françaises, alors qu’en Grande-Bretagne, par exemple, la BBC n’hésite pas à diffuser des émissions en prime time. Les arts visuels ne peuvent-ils être défendus que par Arte et La Cinquième ?
Je n’ai pas à commenter le travail des autres chaînes de télévision ; même s’il est évident que la question de l’audience est pour elles un critère de choix déterminant. Nous, sur La Cinquième et sur Arte, nous privilégions nos missions, en particulier utiliser la télévision pour faire connaître et aimer les peintres aux téléspectateurs : c’est la possibilité offerte par des émissions comme “Palettes”, “Metropolis”, “le Journal de la création”, “les Écrans du savoir”, etc. Et je vous garantis que de très nombreux téléspectateurs de tous âges, de tous milieux, de Paris et des régions le savent, regardent ces émissions et même en redemandent...
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L’année vue par Jérôme Clément
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : L’année vue par Jérôme Clément