Né en 1944, diplômé d’Harvard et de Yale, William Christie a largement contribué au renouveau de la musique baroque, comme claveciniste et chef d’orchestre. Installé en France depuis 1971, il a fondé les Arts Florissants, ensemble avec lequel il se consacre à la redécouverte des patrimoines musicaux français, italien et anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. Avec Atys ou plus récemment Les Indes galantes, ceux-ci ont connu de remarquables succès, tant à l’Opéra qu’au disque. Auteur également d’un ouvrage sur Purcell, naturalisé Français depuis 1995, William Christie commente l’actualité.
Votre attachement au patrimoine est connu. Vous devez donc être sensible à la remise en cause du périmètre de protection autour des monuments historiques, – les fameux 500 mètres – envisagée dans le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains (le JdA, n° 111).
Je vais me faire des ennemis mais je ne suis pas tout à fait sûr que Gaston Defferre ait eu raison de concevoir des lois de décentralisation accordant un pouvoir un peu démesuré, à mes yeux, aux maires. Le patrimoine est très fragile, plus que la maison qui va être construite demain ou le lotissement envisagé par un conseiller municipal. Le patrimoine doit être soigné, restauré, aimé, en dépit de beaucoup de choses. Je réalise cela tous les jours à Thiré, cette petite commune agricole en Vendée où je suis propriétaire d’une maison protégée. Les gens sont très heureux des efforts réalisés pour que cette maison revive et devienne un lieu qui attire les visiteurs ; ils sont très contents de pouvoir faire leur promenade dominicale dans mon jardin et de visiter le château qui, il y a quinze ans, était une simple ferme bonne à raser. Mais en même temps, parfois, les gens considèrent que je suis un homme du passé, à la mentalité un peu rétrograde ; un homme qui refuse d’accepter toute notion de progrès. Le progrès est souvent défini par de nouvelles constructions et, chez nous, par le refus de vouloir désigner une partie du village comme une zone à protéger. Certains veulent recycler nos terres agricoles en terrains à bâtir et, à tout prix, pousser les habitants de cette commune et des environs à adopter d’horribles pavillons. Ils préfèrent construire plutôt que de restaurer une vieille bâtisse, l’habitat ancestral. Je ne suis pas contre, mais il faut vraiment tempérer les choses. Nos élus agissent souvent de façon démagogique car il est plus facile d’avoir l’approbation des électeurs en optant pour du neuf. Mettre en danger les monuments en réduisant leur périmètre de protection est absurde, épouvantable et inadmissible. Si la France, d’ici cinquante ou cent ans, veut vraiment se différencier des États-Unis, elle pourra le faire grâce à son patrimoine. Ce patrimoine est important non seulement parce qu’il est beau mais aussi parce qu’il contient une certaine moralité. On ne détruit pas bêtement pour remplacer du vieux avec du neuf. Aujourd’hui, trop de villes en France commencent à ressembler à celles que j’ai vues aux États-Unis il y a trente, quarante ans. Les banlieues sont devenues laides, horribles. Elles puent les affaires (parfois pas très nettes), en tout cas le gain à court terme. C’est chacun pour soi et je le déplore. Je voudrais croire que la France est plus intelligente… Pourquoi transformer, par exemple, l’arrivée de Luçon en Vendée en une sorte de caricature d’une banlieue d’Atlanta. Il y a d’autres moyens, d’autres possibilités. J’ai vu détruire au bulldozer tout un ensemble de bâtiments en bordure de la route nationale sous prétexte d’améliorer la circulation. Quelle stupidité ! Il y avait certainement d’autres solutions…
François Pinault veut installer sa collection d’art contemporain sur une partie de l’île Seguin. Lui conseilleriez-vous de conserver le bâti existant ?
Je ne sais pas, mais l’apparition de cette sublime collection est absolument merveilleuse pour la France. Elle représente un fabuleux enrichissement pour le patrimoine. L’idée de l’installer dans cette île qui pour le moment n’a aucune mission est excellente. Dans tous les cas, “ça va faire jaser” !
Le Musée de Cluny recrée un jardin médiéval. Qu’en pensez-vous ?
Tout embellissement végétal est un plus ! J’aime Paris car les espaces verts, les jardins, les plantations sont soignés. On y consacre du temps de l’énergie, de l’intelligence et surtout beaucoup d’argent. Hier, je suis passé devant le vaste chantier du Bois de Boulogne ; j’admire les gens qui travaillent sur ce qui reste de la terrible tempête du 26 décembre… L’intérêt que nous portons maintenant aux jardins à caractère historique me paraît très positif et la création d’un jardin médiéval est une très bonne idée. La France s’est réveillée sur le plan du “jardinage” et commence à inquiéter les Anglais. En Angleterre, les commentaires de sommités de l’horticulture sont très encourageants : on découvre un nouveau génie à la française. Nous avons effectivement des paysagistes et des créateurs qui sont tout à fait extraordinaires. Il y a un certain recul face à un formalisme qui avait découragé beaucoup de gens, un retour à une fantaisie, une spontanéité et surtout à une utilisation du passé que les Français jusqu’à présent ne voulaient pas reconnaître. Le prieuré d’Ourson, par exemple, est un endroit merveilleux avec des évocations fantaisistes, moins lourdes que Villandry. Il est grand temps que les Français snobs se rendent compte que, même si c’est très bien d’aller découvrir de bons programmes horticoles chez nos voisins anglais, nous avons chez nous de quoi être très fiers. Ainsi, j’adore me rendre à Courson.
Le droit d’auteur est sur la sellette, avec la pétition d’écrivains et d’éditeurs demandant la perception d’une redevance dans les bibliothèques, avec la diffusion des œuvres sur l’Internet.
Je fais de la musique avant tout pour plaire, pour gagner ma vie aussi, mais ce n’est pas la principale raison. J’aime que les gens diffusent mon œuvre. Je ne me soucie pas trop de la question des repiquages ou piratages. Lorsqu’on utilise un extrait de mon œuvre à la radio ou à la télévision, parfois des droits me sont versés, parfois non et, dans ce cas, je ne fais pas de scandale. J’accepte cette situation parce qu’elle fait partie de mon art et je suis très content qu’il soit diffusé, que les Australiens un dimanche matin découvrent un concert ou qu’un habitant de Saõ Paulo puisse écouter un opéra.
Vous avez vu “Méditerranée” au Grand Palais. Vos impressions ?
Cette exposition est longuement réfléchie, à tous points de vue : le choix des tableaux, les citations absolument délicieuses (surtout celle de Maupassant), l’accrochage à la fois intelligent et très reposant. La couleur et l’exubérance de cette peinture sont des sensations que l’on retient. De plus, la proportion de tableaux peu connus est impressionnante. J’ai pris plaisir à les voir comme ce Munch complètement fou réalisé au pastel… Constater aussi que de telles richesses existent parfois dans des collections privées est encourageant ou décourageant selon votre point de vue ! Chapeau en tous les cas à Françoise Cachin et ses collègues !
Cette exposition ne regarde que d’un seul côté de la Méditerranée, elle se borne à une Méditerranée franco-française. Cela ne vous gêne pas ?
Je me suis aussi fait cette réflexion, mais je comprends la nécessité de se limiter. On ne peut pas inclure tout le bassin méditerranéen. Pourquoi s’arrêter à l’Afrique du Nord et ne pas continuer vers l’est, carrément ? De toutes les façons, on ne peut pas plaire à tout le monde… Dès que je frappe une note au clavecin, je suis sûr que quelqu’un va trouver cela moche et me critiquer. Avec une seule note !
Qu’avez-vous pensé de la Biennale des Antiquaires ?
J’adore ce genre de foire et de luxe ; la sensation qu’il y a tant d’objets du passé si bien conservés et surtout disponibles. Je fais du “lèche-vitrines” et je rêve en constituant ma petite collection imaginaire, car il est très rare que j’achète.
Ce faste n’est-il pas trop factice ?
Pourquoi ne pas vivre avec l’illusion ou avec un joli trompe-l’œil ? J’ai reçu une éducation protestante. Je connais des collectionneurs, aux États-Unis ou à Zurich, qui font partie d’un monde protestant et ne pensent pas du tout à cet aspect de la vie. Ils peuvent collectionner merveilleusement bien mais, parfois, dans leurs maisons, des œuvres sublimes se retrouvent dans un contexte totalement rébarbatif, pauvre, fruste. Après avoir longuement vécu en France, je suis loin maintenant de ce “côté protestant”. Je préfère avoir tout un décor avec des objets moins extraordinaires que vivre dans quatre murs nus et avec un petit chef-d’œuvre à peine visible. C’est peut-être le nouveau William Christie !
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L’actualité vue par William Christie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°112 du 6 octobre 2000, avec le titre suivant : L’actualité vue par William Christie