Avec son frère Dominique, Pierre Chevalier est propriétaire de la galerie Chevalier, située quai Voltaire, au cœur du Carré Rive gauche, passage obligé de tous les amateurs de tapisseries anciennes. Il est également à la tête de la société Chevalier Conservation, spécialisée dans le nettoyage et la restauration de tapisseries et tapis anciens. Ses ateliers de Courbevoie, Aubusson et Baugé emploient plus de 100 personnes. Au printemps dernier, Pierre Chevalier a été nommé président de la SEMA (Société d’encouragement aux métiers d’art). Il commente l’actualité.
La formation des jeunes aux métiers d’art constitue le thème des tables rondes européennes du Salon du Patrimoine. Est-ce une voie à explorer par le gouvernement dans le cadre de sa lutte contre le chômage ?
Le domaine des métiers d’art est très vaste ; il y a certainement beaucoup à faire. Nous faisons partie, avec l’Italie, des pays qui jouissent d’une réputation mondiale en la matière, et nous devons nous efforcer de conserver nos parts de marché. Toutefois, la notion de métier d’art recouvre des professions tout à fait différentes ; les perspectives d’emploi varient selon les cas. Pour la restauration et la reconstitution d’œuvres anciennes, ce sera nécessairement limité. Il s’agit en effet de métiers à petits effectifs, qui nécessitent un long apprentissage, et je ne vois pas comment l’on pourrait former des milliers d’ébénistes, de restaurateurs de bronzes ou de tapisseries. De plus, le secteur connaît actuellement des difficultés. Il faudrait commencer par réduire les charges considérables qui pèsent sur les PME. Mais, surtout, les artisans sont confrontés à la concurrence des pays de l’Asie du Sud-Est. Comment faire face à des salaires mensuels de 500 francs ?
Mais les pays asiatiques disposent-ils des mêmes savoir-faire ?
Certes, les Chinois n’ont pas des savoir-faire aussi variés que les nôtres, mais ils apprennent très vite. Un exemple : il y a dix ans, un dirigeant américain a monté des ateliers de tapisserie en Chine ; aujourd’hui, 700 employés y travaillent de manière remarquable, alors qu’il n’y a plus qu’une quarantaine de personnes à Aubusson. La solution n’est évidemment pas de fermer nos frontières, on irait à contre-temps. Je crois en revanche que le rebond de nos métiers d’art pourrait venir de la création qui, elle, nécessite une culture particulière : autant un artiste occidental peut faire comprendre ce qu’il veut faire de la matière à un artisan européen, autant il aura du mal à le signifier à un Chinois ou à un Vietnamien qui n’a pas du tout la même sensibilité. Il y a donc davantage de perspectives d’emplois dans le domaine de la création. Hélas, celle-ci n’est pas très encouragée à l’heure actuelle. Et cela fait des années que l’on nous promet le fameux 1 %...
Lors de sa première conférence de presse, Catherine Trautmann a annoncé l’achat par l’État du château de Ferney-Voltaire. Qu’en pensez-vous ?
J’ai passé une partie de ma jeunesse à Thonon-les-Bains et je connais bien le château de Ferney-Voltaire. Un grand personnage de la culture française a vécu à cet endroit, et c’est effectivement du ressort de l’État de décider un tel achat. Toutefois, je souhaiterais que celui-ci s’occupe du patrimoine dans toute sa diversité. Je suis affolé par la disproportion entre les fonds investis dans le patrimoine immobilier par rapport à ceux dévolus au patrimoine mobilier. Ce dernier est trop souvent mis de côté, alors qu’il constitue une partie inhérente à notre culture.
Avez-vous d’autres attentes du nouveau ministre de la Culture ?
À mon avis, l’une des premières choses à réformer est l’inaliénabilité des biens culturels acquis par l’État ou les collectivités territoriales. Les réserves des musées sont encombrées d’œuvres dont on regrette l’achat. Il faut pouvoir revendre à un moment donné, en s’entourant évidemment des précautions nécessaires : délais de réflexion suffisants, réunion préalable de commissions d’experts... Cela permettrait de libérer des fonds tout en faisant la joie des petits collectionneurs.
Catherine Trautmann a également annoncé la décision de débloquer des fonds pour consolider le Grand Palais. Que doit devenir cette institution : un musée des arts premiers, comme on l’avait suggéré il y a quelques temps ?
Très honnêtement, je trouverais dommage que cet espace fabuleux, en plein centre de Paris, ne retrouve pas sa vocation initiale. Rappelons tous les événements qui s’y déroulaient : Musicora, la Biennale des Antiquaires, la Fiac... ll nous manque aujourd’hui, à Paris, un grand espace d’exposition. Le quai Branly est certainement très intéressant, mais ce ne sont tout de même que des tentes... Ce n’est pas très prestigieux pour accueillir les étrangers. Quant au projet de musée des arts premiers, d’autres emplacements pourraient convenir tout aussi bien. Il est toutefois vrai que celui de la porte Dorée pâtit de sa localisation très excentrée.
Quel événement culturel récent vous a le plus marqué ?
La très belle exposition "Histoires tissées" que j’ai vue en Avignon l’été dernier. En tant qu’homme de la tapisserie, je trouve évidemment qu’on ne montre pas assez ce type d’œuvres. Je regrette un peu qu’il y ait un tel brassage médiatique autour de la peinture, au détriment des autres expositions. On se laisse trop aller à la facilité. L’État a pourtant un rôle d’apprentissage en matière de culture, et celle-ci est multiple : bronzes, porcelaines, tapisseries, orfèvrerie ne doivent pas être négligés.
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L’actualité vue par Pierre Chevalier
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°44 du 26 septembre 1997, avec le titre suivant : L’actualité vue par Pierre Chevalier