Né en 1958, cofondateur de la compagnie de Théâtre du Lion et auteur de plusieurs romans et essais, Olivier Poivre d’Arvor a été conseiller littéraire aux éditions Albin Michel et Balland (1982-1987) avant d’embrasser une carrière diplomatique. Il été directeur du Centre culturel français à Alexandrie et directeur de l’Institut français de Prague, avant d’être conseiller culturel à l’ambassade de France au Royaume-Uni (1994-1998). Il dirige l’Association française d’action artistique (Afaa, ministère des Affaires étrangères) depuis le 1er février 1999 et commente l’actualité.
L’Afaa vient d’annoncer le choix de Pierre Huyghe pour représenter la France à la Biennale de Venise l’an prochain. Un mot sur cette sélection qui met en avant une jeune génération plutôt que celle d’artistes très confirmés.
C’est, effectivement, le choix d’une certaine jeune génération fait par un comité de dix personnalités du monde de l’art. Nous souhaitions que soit retenu un artiste dont la carrière est ascendante sur le plan national et surtout international. De tous les artistes évoqués par le comité de sélection, Pierre Huyghe est celui qui correspond le plus à ce critère. Il travaille avec une galerie installée à New York comme à Paris. Il n’y a pas un pays à l’étranger où je n’entende pas parler de son oeuvre. Participer à la Biennale de Venise demande une très grande disponibilité et implique un énorme investissement de temps et je sais que Pierre Huyghe dont j’apprécie beaucoup le travail va s’y consacrer pleinement. Nous avons annoncé cette année la sélection plus tôt que d’habitude, nous comptons pour la prochaine édition avancer encore le calendrier de façon que l’artiste retenu ait effectivement le temps d’envisager sa participation au Pavillon.
D’autres biennales existent, d’autres se développent au Japon, en Corée, en Australie, à La Havane… Quelle force garde Venise ?
Venise c’est le Festival de Cannes, plus la Mostra, plus les Awards américains ! C’est une compétition dans laquelle les pays, les nations ont une implication forte. Les autres biennales n’ont pas du tout la même fonction. Cette compétition internationale est essentielle pour la France : c’est l’occasion pour un artiste d’être vu par tous ceux qui comptent dans le monde de l’art. Quatre ou cinq créateurs français, appartenant à une génération encore plus jeune que Pierre Huyghe, seront également sélectionnés dans le cadre d’une exposition qui se tiendra en même temps. Si l’on veut que le marché international porte les artistes français, il faut vraiment les montrer à des conservateurs, aux critiques, aux galeristes... Lorsque des conservateurs étrangers viennent en France, j’ai toujours du mal à leur conseiller des expositions d’artistes français. La France a un incontestable génie pour exposer des artistes étrangers – sauf lors de grandes et magnifiques expositions comme “Voilà” – à la différence des États-Unis ou de la Grande-Bretagne où la scène locale est présentée en abondance, sans complexe.
François Pinault a confirmé son intention d’ouvrir une fondation d’art contemporain sur l’île Seguin.
C’est bien, très bien, c’est tellement peu français, tellement rare... C’est une vraie révolution qui pourrait amener l’État à repenser un certain nombre de projets. La nouvelle était connue le matin même aux quatre coins du monde : au Guggenheim, à la Tate Gallery... Le fait qu’un collectionneur de cette envergure s’installe à l’île Seguin, près de Paris, me paraît très bénéfique pour notre pays. De plus, il était temps que cet espace ait un projet, même s’il ne s’agit que d’une partie de l’île. Le choix de l’architecte et du conservateur de cette fondation sera également déterminant . J’ai insisté auprès de François Pinault pour qu’ils soient français. En lui suggérant des noms d’architectes... Ce serait dommage qu’un conservateur français n’en prenne pas la direction ! Mais le choix, c’est normal, revient totalement au collectionneur... je lui fais confiance.
L’Union européenne a décidé de lever les mesures restrictives prises contre l’Autriche depuis la participation de ministres d’extrême droite au gouvernement. La politique de l’Afaa va-t-elle être modifiée ?
Nous resterons vigileants quant aux partenariats institutionnels avec un souci permanent de protéger les artistes de toute manipulation. Jusqu’à présent, l’Afaa n’intervenait plus dans des manifestations majoritairement soutenues par le gouvernement autrichien. Cette décision a eu en fait peu de portée, pour nous. Les opérations à caractère institutionnel avec l’Autriche sont relativement peu nombreuses et, d’autre part, les villes, dont certaines sont à gauche, ont fait preuve récemment de nombreuses initiatives au niveau culturel. En revanche, nous soutenons beaucoup – peut-être plus qu’avant même – des projets d’artistes en Autriche. Je constate que plasticiens et gens de théâtre se sont beaucoup plus mobilisés après l’arrivée du parti de Jörg Haider au pouvoir que les danseurs, les musiciens ou les cinéastes. Je regrette néanmoins que cette mobilisation ne mette pas assez en avant l’existence de valeurs européennes... tolérance, respect de la création, indépendance des artistes vis-à-vis des pouvoirs...
L’été a connu deux grandes “faillites” : celle du Dôme du Millénaire à Londres et celle de l’Exposition universelle de Hanovre…
Pour le Dôme, c’était une faillite programmée. Tony Blair a repris le projet lancé par le gouvernement conservateur et a voulu en faire une sorte d’emblème du “blairisme” de la “New Britain”. Cela a été une catastrophe sur tous les plans car ce projet n’avait pas de contenu. C’est bien fait pour eux ! Le premier voyage des concepteurs a été pour… Disneyland, en Californie. Ils auraient mieux fait d’aller à La Villette... Au lieu de bâtir un projet culturel, ils ont imaginé un projet de “distraction”( entertainment), typiquement anglo-saxon. Hanovre n’avait pas plus de concept. Ces grands rassemblements artificiels n’ont aucun sens comparés à ce que j’ai vu cet été, “les 500 ans de rétrospective de l’histoire du Brésil” à São Paulo, pour laquelle 1 500 000 visiteurs étaient attendus. L’événement réunit treize expositions différentes, réparties sur 60 000 mètres carrés, avec un budget de 250 millions de francs presque entièrement levé par un banquier de génie : Edemar Cid Ferreira. Une attention très particulière a été portée envers le public, à l’égard des enfants des favelas, avec l’organisation d’un système de bus, la gratuité pour les écoles... La France ne témoigne pas assez de telles préoccupations éducatives. Qu’un pays puisse se donner à lui-même une telle image est extraordinaire.
Est-ce à dire que vous regrettez que la France n’ait pas eu une telle ambition dans le cadre des célébrations de l’an 2000 ?
Oui, mais je ne suis pas sûr que le projet aurait été bien accueilli. Il aurait plutôt été perçu comme une vision étroite de notre pays. Nous avons ce péché de toujours envisager la France en relation au monde entier, ce qui est franchement trop ambitieux aujourd’hui. Contentons-nous de ce que nous connaissons, essayons d’avoir une vision de ce que nous sommes aujourd’hui, avec toutes nos migrations, nos diverses influences... Curieusement, ce sont les Américains (Guggenheim) et les Britanniques (British Museum) qui ont le mieux répondu aux invitations de São Paulo et la France accueillera uniquement quelques artistes brésiliens, au Jeu-de-Paume et au CAPC (Centre d’art contemporain de Bordeaux), ce qui ne rendra absolument pas compte de l’ampleur de cette exposition. Je regrette que les responsables des grands musées français n’aient pas été plus impliqués.
Y a-t-il d’autres expositions qui vous aient marqué récemment ?
“L’art dans le monde”, au pont Alexandre-III, mais l’Afaa y participe aussi je n’en parlerai pas. “Voilà”, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. J’y suis allé trois fois et y ai appris énormément de choses. C’est une occasion formidable pour repérer quelques grandes tendances de l’art contemporain en France, de l’art le plus actuel, le plus inventif. J’attends aussi avec beaucoup d’impatience l’exposition d’Annette Messager chez Marian Goodman.
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L’actualité vue par Olivier Poivre d’Arvor
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°111 du 22 septembre 2000, avec le titre suivant : L’actualité vue par Olivier Poivre d’Arvor