L’actualité vue par José Alvarez

Editeur

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 10 septembre 1999 - 942 mots

D’origine espagnole, José Alvarez a achevé ses études en France. Il y a vingt ans, il a créé les Éditions du Regard qui publient une quinzaine d’ouvrages par an, couvrant tous les champs de la création artistique au XXe siècle. Il commente l’actualité.

L’actualité, c’est tout d’abord la disparition de Leo Castelli.
Il était incontestablement l’un des derniers marchands mythiques de l’art contemporain, avec Ileana Sonnabend. Il a su, non seulement découvrir, mais s’attacher la personnalité d’artistes de très grande dimension. Je me demande s’il pourra y avoir encore des personnages de cette qualité. Il y a bien sûr Anthony d’Offay et Richard Gagosian, qui sont un peu ses émules, surtout le second, mais je crois qu’il n’existe plus aujourd’hui de marchand possédant l’aura de Castelli. Cela tient à sa forte personnalité, mais aussi à l’évolution du marché. Je remarque que beaucoup d’artistes, après les secousses spéculatives qui ont malmené le marché dans les années quatre-vingt, préfèrent prendre leur destinée en mains. Un peu à la manière d’un Picasso ou d’un Warhol, ils décident de gérer eux-mêmes leur carrière et rendent ainsi caduc le rôle des marchands. Les artistes semblent prendre goût à la stratégie commerciale, ce qui n’était pas le cas il y a une quinzaine d’années. Mais une chose m’intrigue chez Castelli. Lui qui a ouvert sa première galerie en France, qui est resté affectivement et intellectuellement très attaché à ce pays, pourquoi ne s’est-il jamais réellement intéressé aux artistes français, alors que certains ne sont pas très éloignés des Américains qu’il défendait ?

Restons dans le marché. Comment voyez-vous la nouvelle Fiac ?
J’aimerais évoquer la Fiac avec beaucoup d’enthousiasme. Malheureusement, les dernières m’ont plutôt déçu, alors que j’ai des souvenirs exaltants des précédentes. Est-ce lié au départ du Grand Palais, à une apathie régnant sur le marché de l’art, ou plus généralement à l’état d’esprit actuel en France ? Il est vrai que depuis longtemps, je n’ai pas ressenti un tel vide sur le plan artistique. J’aimerais croire à la Fiac, mais j’ai du mal quand je vois les galeristes eux-mêmes organiser leur stand sans grande invention, sans prise de risque.

De ce point de vue, vous réjouissez-vous de la création d’un Centre d’art au Palais de Tokyo, à Paris ?
Tout est bon à prendre, mais c’est une demi-mesure. Il aurait été beaucoup plus judicieux de mettre en pratique l’idée proposée par François Barré lorsqu’il présidait le Centre Pompidou : déplacer les collections historiques du Musée national d’art moderne dans un lieu digne de les recevoir et redonner Beaubourg à l’art contemporain, voire extrêmement contemporain. J’aurais préféré cette solution radicale, car la cohabitation fait du Centre une sorte de machine infernale qui a perdu son sens.

Votre maison d’édition fête ses vingt ans, au moment où la nouvelle commission européenne semble vouloir remettre en cause la loi sur le prix unique. Comment voyez-vous l’avenir de l’édition d’art ?
Cette remise en cause serait très dommageable, étant donné l’état actuel de l’édition. Cette loi protège avant tout les libraires, mais sans libraires, il n’y a pas de diffusion et donc, à terme, plus d’éditeurs. Cette année sera celle du changement pour les Éditions du Regard. Nous allons tenter de leur donner un nouvel élan en déménageant et en développant des collections mieux adaptées à la librairie de demain. La crise est réelle, le quasi-abandon de son département Beaux Livres par les Éditions Flammarion en est un signe cruel. Résistons !

Qu’avez-vous pensé de la Biennale de Venise ?
J’attendais beaucoup de cette Biennale, celle du passage du siècle. Elle est indéniablement le point d’orgue de la carrière magistrale d’Harald Szeemann. Mais l’arbitraire de la sélection, l’absence de sens, l’impression d’insincérité qui s’en dégage me font penser qu’il aurait mieux valu en confier la direction à un commissaire plus en phase avec l’art de son temps. J’avais vraiment envie de voir ce qui se crée aujourd’hui dans l’art contemporain, de découvrir des propositions plus inédites. Il aurait fallu sans doute faire intervenir un commissaire plus jeune, comme au Printemps de Cahors où Christine Macel a travaillé avec les artistes de son époque. Le résultat était assez surprenant, même si je n’adhère pas forcément à tout ce qui y était présenté. C’est souvent un art qui me glace, mais il a l’intérêt de me faire réfléchir. Je ne sacrifie pas au “jeunisme”, mais on ne peut pas depuis plus de trente ans continuer de solliciter les mêmes conservateurs. Dans ma profession, je suis obligé aussi de considérer le public auquel je veux m’adresser, et les nouveaux auteurs souvent excellents que l’on fait trop peu travailler.

Quelles expositions vous ont marqué ?
 J’ai beaucoup apprécié les expositions Richard Serra et Chillida au Guggenheim de Bilbao. Elles permettent de voir pour la première fois le lieu dans sa majesté, dans toute l’efficacité de son fonctionnement, car l’accrochage de l’inauguration était très discutable. La monographie Chillida est de très grande qualité, celle de Serra est impressionnante de force. Encerclant The Snake, huit Torqued ellipses sursaturent l’espace, créant une tension extrême, d’ordre tellurique.
J’ai aussi beaucoup aimé “La peinture après l’Abstraction”, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Son sujet est passionnant, très bien traité, et il est remarquable d’avoir programmé cette exposition après la rétrospective Rothko. J’espère qu’elle donnera l’envie de réaliser de grandes expositions monographiques d’artistes tels que Degottex ou Martin Barré.
Enfin, toujours à Paris, je conseillerais l’exposition Helmut Newton-Alice Springs. Je l’avais déjà vue, mais à la Maison européenne de la photographie, elle est parfaitement accrochée. Le lieu correspond mieux à l’aspect intimiste de l’exposition, renforçant une autre image d’Helmut Newton, plus sensible, très différente de celle plutôt provocatrice qu’il aime afficher.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°88 du 10 septembre 1999, avec le titre suivant : L’actualité vue par José Alvarez

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