Après avoir été conseil en communication, Francis Lacloche est depuis 1990 chargé de mission pour le mécénat à la Caisse des dépôts et consignations. Il connaît bien le monde de l’art, car il a autrefois repris la galerie de ses parents à Paris, rue de Grenelle, et a participé à l’organisation de la Fiac. Il commente l’actualité de l’été.
Vous avez vu les grands-messes estivales consacrées à l’art contemporain : Biennale de Venise, Documenta, les sculptures de Münster, la Biennale de Lyon. Votre avis ?
Ces quatre manifestations ont en commun d’avoir des commissaires à forte personnalité, qui défendent depuis longtemps des positions théoriques et ont pris, finalement, plus d’impor-tance que les artistes, ce qui est inquiétant. Ces commissaires ont entraîné les artistes dans un discours qui consiste à faire “histoire”. Sous des appellations différentes, il y a une récurrence des thèmes autour de l’histoire, du politique, de la responsabilité, de la morale, du pouvoir… Certains commissaires ont été très habiles, d’autres plus provocants et, compte tenu des délais, des moyens financiers, le résultat est très inégal. Parfois, le propos ne tient pas toujours la route, s’écrit en pointillé comme à la Documenta, mais je considère les critiques acerbes adressées à Catherine David comme très exagérées, car elle a produit des choses remarquables. On voit bien également les insuffisances de la Biennale de Venise, qui tiennent au peu de temps laissé aux artistes, aux difficultés liées à une organisation menée dans un court délai. Vouloir écrire quatre histoires en même temps tient du démesuré, et la coïncidence de ces quatre manifestations exacerbe encore plus leurs limites. À Venise comme à Cassel, les expositions pèchent souvent à cause des jeunes artistes à qui l’on a demandé des créations dans des conditions difficiles. Cette méthode dessert la génération des moins de quarante-cinq ans, car il est beaucoup plus facile d’exposer une pièce ancienne. Cela me conforte dans la démarche adoptée par la Caisse des dépôts, qui est totalement inverse. Nous ne définissons pas un thème, nous ne convoquons pas les artistes pour remplir des chapitres, mais nous leur laissons l’initiative pour créer dans une totale liberté, dans la confiance, dans le temps, dans les moyens… Cette connivence, cet accompagnement de l’artiste, je ne les ai pas du tout sentis à Venise ou Cassel.
Et le pavillon français à Venise, confié à Fabrice Hybert ?
Je n’ai pas été époustouflé par son résultat, mais je crois que la démarche consistant à en faire un laboratoire a été bonne car elle est très demandée aujourd’hui par les artistes. La force d’une Biennale, face au système très rigide et très cloisonné des Frac, du Fiac, du Fnac des résidences, est de permettre une production sur le mode cinématographique. Les Français ont été très courageux sur le concept.
La mort des ces grandes manifestations est périodiquement annoncée. Qu’en pensez-vous, après les éditions de cette année ?
Je pense qu’elles doivent continuer car on a besoin d’événements. Elles ont la vertu d’être parfois des "laboratoires" tout en donnant la possibilité aux jeunes artistes de créer des pièces importantes. Mais il faut faire confiance à des commissaires plus jeunes. La génération des plus de quarante-cinq ans ne doit pas tout verrouiller, elle doit déléguer. Il faut aussi mettre en pratique d’autres modes de production des œuvres, qui existent déjà dans des lieux différents.
La forte réduction du budget du ministère de la Culture ?
C’est pour moi presque un jeu de théâtre. Je ne peut pas croire que le Premier ministre, son entourage, ne sont pas préoccupés par la culture. J’ai l’impression que, régulièrement, Bercy décide de taxer la culture et que, régulièrement, il y a une levée de boucliers, des gens de théâtre en premier lieu. Au bout de quelques semaines, le ministère finit par récupérer dans la discrétion une partie de ses crédits, et on est presque revenu à la case départ. Le calcul n’est pas stupide, car les ministères qui n’ont pas de défenseurs se font, eux, véritablement ratiboiser. Mais ce qui est sûr, c’est que la création contemporaine est toujours le parent pauvre, parce qu’elle a peu de défenseurs.
L’incendie de Chaillot ?
J’ai été très affecté par ce qui est arrivé à la Cinémathèque, salle mythique hélas détruite. Je l’ai bien connue du temps d’Henri Langlois, personnage merveilleusement "déjanté" qui avait créé un endroit magique, comme l’est d’ailleurs le Musée des monuments français. L’incendie a frappé deux "objets" totalement décalés, réalisés sur un mode muséal qui relève du merveilleux, du Disney cultivé. C’est symboliquement grave, mais la lourdeur de l’administration qui a empêché, freiné leur création, est encore plus grave. Les musées du merveilleux n’ont pas la cote.
Un mot sur les prochaines actions visibles du mécénat de la Caisse ?
Nous allons montrer un état de l’avancement de notre démarche de production depuis trois ans, à travers trois séquences. Une quinzaine de pièces seront présentées en octobre au Musée du Luxembourg, une œuvre de Valérie Favre au Crédac d’Ivry et, à partir du 10 septembre, Opera Bianca, un “opéra art plastique” au Centre Pompidou. Je voudrais citer également notre action dans le Lot-et-Garonne, où nous avons invité des artistes, des architectes, à travailler sur tout le parcours d’une rivière, la Baïse. Les prototypes viennent d’être réalisés, trois objets qui relèvent à la fois de l’usage et de l’esthétique, et qui sont installés en permanence dans le village de Vianne.
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L’actualité vue par Francis Lacloche, chargé de mission pour le mécénat à la Caisse des dépôts
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°42 du 29 août 1997, avec le titre suivant : L’actualité vue par Francis Lacloche, chargé de mission pour le mécénat à la Caisse des dépôts