Né en 1956 à La Guerche de Bretagne, Alain Passard a obtenu sa troisième étoile au mois de mars 1996, dix ans après l’ouverture de son restaurant L’Arpège en lieu et place de l’ancien Archestrate d’Alain Senderens, chez qui il avait fait ses classe il y a vingt ans. Chaque samedi, il tient une rubrique cullinaire dans Le Figaro. Il commente l’actualité.
La victoire de la Gauche aux élections législatives vous a-t-elle surpris ?
Oui. Quand un chef d’État prend une décision comme celle que Jacques Chirac a prise, en général c’est qu’il est sûr du résultat… L’Hôtel Matignon est à deux pas, nous allons apprendre à connaître son nouveau locataire ! De tous les premiers ministres qui se sont succédé, Balladur était le plus gourmet. C’est un passionné d’abats et de cigares, un très bon convive. Il me commandait même des plats qui n’étaient pas à la carte, comme le gigot de sept heures, mijoté dans un fonds de sauce assez court : la viande devient fondante et se mange presque à la cuiller.
Qu’attendez-vous du nouveau ministre de la Culture ?
Pour parler de mon domaine, j’aimerais qu’il mette en place des aides pour certains grands chefs qui ont en charge l’image de la cuisine française aux yeux du monde. Par exemple, personne ne s’est jamais soucié des cinq trois étoiles de la capitale. Il y a dans cette ville magique des endroits merveilleux qui sont inutilisés et qui pourraient, selon des modalités à définir, être offerts à des chefs comme Bernard Pacaud (L’Ambroisie, place des Vosges) et moi, qui exerçons dans des espaces minuscules.
Que pensez-vous du prix record atteint pour une caisse de Mouton-Rothschild 1945 – 520 000 francs – lors de la vente d’une partie de la cave Maxim’s par Me Tajan le 4 juin ?
C’est pour le moins excessif. Aucune bouteille de Bordeaux, si exceptionnelle soit-elle, ne justifie un tel prix. Personnellement, je ne serais pas acheteur à ce prix là !
Vous arrive-t-il d’acheter du vin aux enchères ?
Uniquement quand je connais la provenance des bouteilles et quand la cave a été parfaitement climatisée. Sinon… Pour la vente des 8 000 bouteilles de la cave Maxim’s, par exemple, vous aurez remarqué au catalogue le grand nombre de lots suivis des abréviations LB, MB et même B [légèrement basse, moyennement basse et basse], qui sont probablement la marque d’une cave à la température un peu trop élevée. Ces abréviations indiquent le niveau de vin dans la bouteille, qui peut parfois descendre sous les épaules [Vid. pour vidange] lorsque l’évaporation a été trop importante. Cet accroissement du volume d’air a naturellement tendance à fatiguer le vin. Voilà pourquoi le vin conservé dans de grands flacons comme le magnum, où proportionnellement la quantité d’air est plus réduite que dans une bouteille, est toujours meilleur.
Après la pénurie de l’année écoulée, treize nouveaux modules de Havane viennent d’être introduits sur le marché français.
C’est une bonne et grande nouvelle. Sachez que cet hiver, lorsqu’un de mes clients sortait de sa poche un Upmann Sir Winston ou quand, miraculeusement, j’étais parvenu à m’en procurer une boîte, c’était un événement ! De nombreux amateurs ne fumant qu’un seul type de cigare, beaucoup d’entre eux venaient alors me poser mille questions pour savoir où en acheter. Depuis un an, ce module ne se trouvait guère que chez les collectionneurs les plus prévoyants. De même que le Partagas Lusitania, ou encore le double corona Hoyo de Monterrey qui prolonge idéalement un dîner grâce à ses extraordinaires accords de saveurs.
De plus, pour la première fois depuis trente ans, deux nouvelles lignes ont été créées, les Cuabas et les Vegas Robaina.
Je suis d’un naturel méfiant, mais j’en attends surtout qu’ils aient une bonne combustion, qu’ils aient été roulés dans les règles de l’art, avec ce qu’il faut dans le pressage des feuilles. Il n’y a rien de plus désagréable que d’avoir à aspirer comme un forcené un havane dont les feuilles ont été roulées trop serrées : la première qualité d’un cigare, c’est d’être aéré.
Vous êtes collectionneur. Où achetez-vous ?
J’achète depuis quatre ou cinq ans, principalement à Drouot, dont j’adore l’ambiance. Je suis sensible au mouvement et mes goûts m’orientent plutôt vers le contemporain et le Trente.
Qu’avez-vous pensé des expositions consacrées aux Années 30 dans les musées de la colline de Chaillot ?
La peinture de cette période ne m’habite pas particulièrement. En revanche, j’ai été ému par la section consacrée au mobilier, avec les très belles pièces de Printz et de Chareau. J’ai d’ailleurs meublé mon appartement en Art déco, et j’y ai exposé une composition qu’Arman a réalisée à ma demande à l’aide d’une vieille presse à canard en ma possession. Il l’a "éclatée" en la mêlant avec un violoncelle et l’a intitulée Sang de violon. Comme j’ai toujours ce besoin de produire quelque chose avec mes doigts, je pratique moi-même et je rêve d’acheter une ragosse sur pied, un tronc d’arbre mort, afin de réaliser une grande sculpture. La nouvelle Maison du Japon à Paris m’a par ailleurs contacté afin d’exposer un de mes tableaux au sein de l’exposition "Les peintres du dimanche" qu’elle a programmée pour la rentrée. Nous devrions être une dizaine – un cuisinier, un couturier, un homme politique… – à exposer chacun une toile. Je n’ai pas encore pris ma décision…
L’Arpège, 84 rue de Varenne, 75007 Paris, tél. 47 05 09 06. Fermé le samedi toute la journée et le dimanche au déjeuner.
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L’actualité vue par Alain Passard, chef du restaurant L’Arpège à Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°40 du 13 juin 1997, avec le titre suivant : L’actualité vue par Alain Passard, chef du restaurant L’Arpège à Paris