Affaire Gurlitt

La partie émergée de l’iceberg ?

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · Le Journal des Arts

Le 10 décembre 2013 - 519 mots

Selon l’ancien ministre fédéral allemand de la Culture, il y aurait encore des milliers d’œuvres spoliées chez les particuliers et dans les musées.

BERLIN - Divers experts sont revenus sur l’affaire Gurlitt à l’occasion de l’émission politique « Günther Jauch » du 24 novembre dernier, diffusée par la chaîne de télévision publique allemande ARD. Stefan Koldehoff, journaliste spécialisé dans le domaine des biens spoliés par les nazis, affirme que la découverte du trésor de Munich l’a seulement surpris par l’ampleur du nombre d’œuvres retrouvées. Mais, avance-t-il, Gurlitt ne serait pas un cas isolé : « des centaines de domiciles allemands renferment des milliers d’œuvres » spoliées après 1933. C’est également l’avis de Michael Naumann, qui a été le premier ministre fédéral de la Culture après la création de ce poste par le chancelier Gerhard Schröder en 1998. Selon lui, de nombreux biens spoliés aux juifs trônent encore dans les salons allemands. Mais il dénonce également le rôle des marchands d’art, galeristes et maisons de ventes aux enchères qui, jusque dans les années 1970, se préoccupaient peu de la provenance des œuvres. Lui-même avait retrouvé la trace d’un [Max] Liebermann spolié à sa famille, qui avait été vendu aux enchères en Suisse en 1952. Il se prononce en faveur d’une restitution rapide à Anne Sinclair du Matisse ayant appartenu à son grand-père Paul Rosenberg. Mais il ajoute que ces biens spoliés ne sont pas seulement l’affaire de personnes privées : les institutions allemandes seraient également concernées.

« 4 000 caisses d’œuvres »
Michael Naumann était en poste au moment de la signature de la déclaration de Washington en 1998, qui prévoit notamment plus de transparence et la restitution de biens spoliés aux ayants droit légitimes par les institutions publiques des pays signataires de la déclaration. À la suite de la signature de la déclaration, il avait écrit aux grands musées allemands, les priant de lancer des recherches sur la provenance des œuvres. Sa lettre est restée sans réponse, hormis celle de Klaus-Dieter Lehmann, à l’époque directeur de la Fondation pour le patrimoine culturel de Prusse, qui gère les musées étatiques de Berlin. Celui-ci avait été par la suite critiqué par ses pairs pour avoir répondu aux injonctions du ministre.

Michael Naumann pointe les limites du fédéralisme en Europe : il aurait fallu adopter une loi fédérale obligeant les musées à examiner leurs collections. Chose impossible, étant donné que la politique culturelle relève des Länder. Les musées regorgent pourtant de biens spoliés, et pas seulement aux juifs, assure-t-il. Certains proviennent des pays anciennement occupés, dont la France : « Un train de 120 wagons transportant quelque 4 000 caisses d’œuvres d’art provenant de France » a été acheminé en Allemagne, déclare-t-il. « Je connais des cas qui sont d’énormes scandales et seraient relativement simples à élucider », souligne-t-il, mais ne le sont pas en raison du fédéralisme culturel. Par ailleurs, les experts s’accordent sur l’estimation de la collection Gurlitt, au regard des œuvres publiées sur le site www.lostart.de , au nombre de 311 début décembre. Dans un premier temps évaluée à un milliard d’euros, elle ne dépasserait finalement pas 50 millions d’euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°403 du 13 décembre 2013, avec le titre suivant : La partie émergée de l’iceberg ?

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