Pendant six mois, les collections permanentes de quatorze musées nationaux
seront librement accessibles au public.
PARIS - La seule promesse de campagne de Nicolas Sarkozy en matière culturelle aura donc été tenue, au moins temporairement. Appliquant les injonctions de la lettre de mission que lui a adressée le président de la République le 1er août dernier, la ministre de la Culture fera l’expérience de la gratuité dans les musées nationaux, malgré ses réticences initiales sur le sujet. Le 23 octobre, dans le frigidarium du Musée de Cluny – toujours en attente de travaux –, la ministre a officiellement présenté la liste des musées participant à cette opération (lire l’encadré) qui a pour but d’attirer de nouveaux publics, particulièrement les 18-25 ans. L’expérimentation se déroulera sur six mois, de janvier à juin 2008, période durant laquelle une enquête sera réalisée par un prestataire extérieur (choisi début novembre) pour analyser les impacts d’une telle mesure. Aux termes de cette étude, le ministère décidera, si oui ou non, la gratuité d’accès aux collections permanentes sera appliquée aux musées nationaux. Cette mesure est toutefois à relativiser puisque la gratuité se pratique déjà le premier dimanche de chaque mois et en direction de publics ciblés (chômeurs, mineurs). De source ministérielle, pour 2006, la gratuité représente environ 35 % de la fréquentation totale des musées nationaux. Au Louvre, ce taux atteint 32 %, tandis que dans un établissement comme le Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, plus de 60 000 des 78 250 visiteurs annuels ne paient pas leur billet.
Le ministère a, semble-t-il, pris en considération le manque à gagner de cette gratuité, d’un coût estimé à 2,2 millions d’euros sur six mois. Il s’est également engagé à consentir un effort plus important si besoin était. Car, au-delà des pertes sèches liées aux recettes de billetterie, la mesure doit s’accompagner d’un ensemble de dispositifs pédagogiques et techniques, qui n’ont pas l’heur d’avoir été envisagés. Au Musée de Cluny, par exemple, l’entrée des expositions temporaires et celle du parcours permanent paraissent difficilement dissociables. Par ailleurs, l’établissement accueille déjà 300 000 visiteurs annuels dans des espaces exigus. Une fréquentation trop forte pourrait mettre en péril les œuvres et la sécurité même des visiteurs.
La pertinence du choix des musées se pose également. La liste proposée évite ainsi soigneusement les établissements publics, pour lesquels la mesure serait trop coûteuse. Interrogée sur la possibilité d’une généralisation à tous les musées nationaux, Christine Albanel est restée très évasive, soulignant la difficulté d’une application aux établissements publics. Seul le moins visité d’entre eux, le Musée Guimet, devra mettre au pot pendant les six prochains mois. À condition toutefois que son conseil d’administration avalise cette décision pour laquelle il n’a, semble-t-il, pas encore été consulté. Orsay, le Musée national d’art moderne et le Quai Branly de Paris, qui réalisent des records en termes de fréquentation, n’ont pour leur part cédé à la Rue de Valois qu’une soirée gratuite par semaine pour les 18-25 ans afin d’expérimenter la « gratuité ciblée », le Louvre pratiquant déjà une nocturne jeune hebdomadaire.
Même si Christine Albanel répète que la gratuité ne doit pas « être vécue comme une punition », certains chefs d’établissements concernés semblent encore abasourdis par la nouvelle. D’autres s’interrogent également sur la réaction des mécènes face à ce changement quantifiable en termes de contreparties. Quant au public, on peut se demander s’il adhérera à une mesure qui, en excluant les grands établissements les plus chers, manque sérieusement de lisibilité. Le choix de la gratuité des musées nationaux doit relever d’une volonté politique forte pour parvenir à l’objectif annoncé : celui de la démocratisation culturelle. Mais la collectivité a-t-elle aujourd’hui les moyens de se l’offrir ?
La restitution par la Ville de Rouen d’une tête de guerrier maori momifiée à la Nouvelle-Zélande a été suspendue le 24 octobre en urgence à la demande de la ministre de la Culture. Christine Albanel estime que les collections du Muséum de Rouen (où est conservée la tête) sont « protégées par un régime juridique particulier, destiné à garantir l’intégrité du patrimoine de la nation » et, selon la loi Musée de 2002, une restitution doit passer par une commission scientifique qui n’a pas été consultée. Pour la mairie, la tête de guerrier n’est pas juridiquement une pièce de collection, mais fait partie des « restes humains qui répondent à la loi de la bioéthique et ne font donc pas l’objet d’un droit patrimonial quelconque ». De son côté, la Ville de Rouen a affirmé sa détermination à mener à bien sa démarche, tandis que le groupe interparlementaire d’amitié entre la France et la Nouvelle-Zélande a fait part de son soutien à la démarche du Muséum de Rouen. Cette affaire intervient alors que le ministère de la Culture veut s’attaquer au sujet tabou de l’inaliénabilité des œuvres du patrimoine national.
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°268 du 2 novembre 2007, avec le titre suivant : La gratuité à l’essai