Depuis près de dix ans, le projet d’une Fondation Giacometti ne parvient pas à aboutir. L’Association de préfiguration en conclut que le ministère de la Culture préférerait bénéficier d’une dation. L’héritage Giacometti est estimé à plus de 700 millions de francs.
PARIS - “Il y a des freins sérieux dont on ne peut déterminer la nature”, explique Me Jean-Robert Bouyeure, avocat de l’Association Alberto et Annette Giacometti présidée par l’ancien ministre des Affaires Étrangères, Roland Dumas. “Le projet de fondation a été initié en 1989 par Annette, poursuit l‘avocat, et la demande officielle auprès du ministère de l’Intérieur est intervenue dans l’année qui a suivi”. En 1994, après le décès de la testatrice, l’Association entamait une seconde démarche officielle et, depuis, plusieurs demandes complémentaires ont été déposées, toujours sans succès.
Le legs de la veuve d’Alberto en faveur de la future fondation comportait quasiment tous ses biens : un immeuble Cour de Rohan (Paris VIe), des valeurs financières, des bijoux évalués à quelques dizaines de millions de francs, et surtout près de sept cents œuvres estimées, elles, à plus de 700 millions de francs, dont une centaine de sculptures jugées très importantes. En 1995, un jugement de la Cour d’appel de Paris confirmait Roland Dumas, grand collectionneur de Giacometti, en tant qu’exécuteur testamentaire d’Annette afin de créer la fondation, considérée par le Juge comme légataire universel. Mais en cas de non réalisation de la condition du legs, l’héritage irait en Suisse pour revenir à Bruno Giacometti et aux consorts Berthoud, neveux d’Annette, titulaires du droit moral selon le même jugement. Dans cette dernière hypothèse, l’État prélèverait 45 % au titre des droits de succession, soit près de 400 millions de francs, ou, par le biais de la dation, l’équivalent en œuvres.
Jack Lang s’était déclaré favorable au projet mais, depuis, Philippe Douste-Blazy, la Direction des musées de France et le Centre Pompidou, se fondant sur les expériences malheureuses des Fondations Arp, Hartung, Vasarely... n’ont pas fait mystère de leur hostilité à un tel dessein, jugé non viable financièrement. De son côté, la Fondation fait valoir que “plusieurs œuvres multiples, donc aliénables, pourraient être vendues” de façon à augmenter la dotation en capital. En juillet 1994, à l’initiative de Roland Dumas et sous le marteau de Me Jacques Tajan, une vente d’œuvres de la succession avait rapporté 42 millions de francs, “destinés à couvrir les frais d’inventaire et de notaire”.
Détournement de pouvoir ?
Jugeant opportun de répondre à l’Association et reconnaissant ne pas “être impliqué juridiquement”, le Centre Pompidou a rappelé son opposition au projet, qui comporte même, selon lui, une “menace pour la préservation des œuvres”. Pour l’Association, cette attitude des Musées de France vise à orienter la succession Giacometti sur la voie de la dation plutôt que sur celle d’une fondation testamentaire autonome. Quoique envisagée en deux annuités égales de 200 millions par le ministère de la Culture, une telle dation pourrait cependant être refusée par les Finances. Pour convaincre les musées, l’Association avait prévu statutairement la possibilité de prêts d’œuvres aux grands musées français tous les trois ans.
Conforme à celle défendue auparavant par Germain Viatte, ancien directeur du Musée national d’art moderne, et encore aujourd’hui par Françoise Cachin, directeur des Musées de France, l’attentisme de l’administration de la Culture comme le manque de diligence de la place Beauvau à signer le décret de création de la Fondation pourraient poser problème. En effet, informé de l’affaire, le ministère de la Justice ne cache pas que, s’il était saisi, le juge administratif pourrait qualifier les atermoiements des ministères de l’Intérieur et de la Culture de détournement de pouvoir.
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La Fondation Giacometti est en panne
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°53 du 30 janvier 1998, avec le titre suivant : La Fondation Giacometti est en panne