Il n’a pas eu à chercher bien loin : l’objet qui lui sert de gri-gri est toujours rangé dans son porte-monnaie.
Il aime le faire rouler entre ses doigts. Il s’agit de la douille d’une balle de gros calibre, du 38 spécial. Étrange ? Pas pour qui connaît la passion qu’Alain Declercq entretient pour les secrets et les crimes d’État. Pour les zones grises du Droit et les failles des systèmes de sécurité. Aussi, ce petit cône de métal constitue-t-il à la fois le marqueur d’une étape décisive dans son travail et le symbole de la résistance, mot qui a une résonance particulière dans sa famille. Sa possession ? Toute une histoire ! Il raconte : « Pour l’ouverture du Palais de Tokyo en 2002, j’avais imaginé une œuvre inédite qui résultait de l’intérêt que je portais alors à l’itinéraire de Mesrine. Il avait été tué par les flics en pleine rue, dans sa voiture, à Paris, porte de Clignancourt. Et en avançant dans mon enquête, j’avais pu rencontrer l’un des flics qui avaient tiré sur l’ennemi public n° 1. Il était devenu l’un des principaux commandants de la brigade criminelle de Paris. Il avait répondu favorablement à ma curieuse demande… »
Résumons : un artiste, pour qui l’art reste un sport de combat, imagine une palissade en bois sur laquelle s’inscrit le titre du livre écrit par Mesrine, Instinct de mort, grâce à l’impact laissé par des tirs en direction de ce support. Et Declercq de demander au flic de réaliser ces tirs : « Il était très intéressé par mon idée. Des années après, il se posait encore la question de savoir si l’État a le droit de tirer sur quelqu’un, quasiment à bout portant, et en pleine rue. Ma proposition constituait pour lui une sorte d’exutoire. Il a sollicité l’autorisation de sa hiérarchie, qui a dit non. Passant outre, il a alors utilisé des armes et des balles non répertoriées que l’on peut trouver au Quai des Orfèvres »… Deux nuits de travail intense et 650 tirs ont été nécessaires pour venir à bout du processus. L’artiste charge les armes et les passe au fur et à mesure au flic devenu l’exécuteur technique de l’œuvre. Et, contrairement à ce qui se fait habituellement, celui-ci laisse les douilles des balles au sol. Declercq en mesure vite les conséquences : « Le soir de l’inauguration, il y avait une foule compacte, et toutes les douilles ont été volées. J’avais eu l’instinct de ramasser la toute première. Celle que j’ai avec moi, partout et tout le temps, en souvenir. Auparavant, je n’avais jamais utilisé une arme à feu. Désormais, je réalise régulièrement ce type d’œuvre et je tire moi-même. Depuis cinq ans, j’ai bien dû utiliser 600 000 balles ! » Au bout du compte, un épisode clé de sa recherche formelle : « Finalement, cette douille constitue mon outil au même titre que le mètre enrouleur et le crayon », explique-t-il. Il évoque aussi l’iconographie des douilles gravées, art populaire s’il en est. En le poussant plus loin dans ses retranchements, une raison, plus intime, surgit. Celle de la fierté d’appartenir à une famille qui a tenu tête à l’ennemi. En toute modestie : « Je viens d’une famille où on ne parle pas beaucoup, sauf de politique. Durant la Seconde Guerre mondiale, mon grand-père a été fait prisonnier par les soldats allemands, il s’est évadé trois fois. Il a fini par être envoyé dans un camp de concentration en Ukraine d’où il est sorti assez amoché physiquement. Pendant ce temps-là, ma grand-mère, qui vivait à Moulins, ville située sur la frontière entre zone libre et zone occupée, faisait passer des messages aux résistants. Elle a été arrêtée et a fait plusieurs mois de prison. J’ai ces histoires dans la tête depuis l’enfance. » La douille ? Un hommage au courage de ses aïeux et une façon de ne pas oublier la violence du monde.
« Blast », à la galerie Loevenbruck, jusqu’au 12 octobre 2013
« Pléiades, les 30 ans des Frac », aux Abattoirs de Toulouse, du 28 septembre 2013 au 5 janvier 2014
« Au-delà de cette frontière votre ticket n’est plus valable », Pavillon Vendôme, Clichy (92) ; jusqu’au 5 janvier 2014
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La douille d’Alain Declercq
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : La douille d’Alain Declercq