Jean-Jacques Aillagon, parcours royal

Par Jean-Christophe Castelain · L'ŒIL

Le 23 janvier 2009 - 1891 mots

De tous les costumes qu’il a revêtus, celui de président de l’établissement public du château de Versailles est probablement celui qui lui sied le mieux.

Vous avez occupé des postes prestigieux dans la culture : lequel a le plus marqué votre parcours professionnel ?
Jean-Jacques Aillagon : Je suis un généraliste de la culture, j’ai exercé toutes les responsabilités dans ce domaine. À la direction des Affaires culturelles de la Ville de Paris, j’étais aux manettes du deuxième opérateur public français après le ministère de la Culture, avec un budget représentant un dixième de celui de la rue de Valois et se déployant dans tous les secteurs artistiques. Quand j’ai dirigé le Centre Pompidou, l’interdisciplinarité était au cœur des missions de cet établissement.
Aujourd’hui, à la tête du Domaine de Versailles, je ne me contente pas de conserver un patrimoine : nous avons un centre de recherche sur les lieux et expressions du pouvoir aux XVIIe et XVIIIe siècles, abritons le Centre de musique baroque, accueillons des spectacles vivants avec notre filiale Versailles Spectacles, organisons des expositions d’art contemporain comme récemment Jeff Koons [lire L’œil n° 607]. J’ai tenu à renforcer cette diversité, non par passion personnelle, mais parce qu’un grand établissement culturel doit se déployer dans de multiples directions, une fois son cœur de mission accompli. Cette mission, nous ne la sacrifions pas : nous avons mené des acquisitions d’œuvres exceptionnelles l’an passé, pour un montant de douze millions d’euros, un record historique !

Vous vous destiniez au professorat. Qu’est-ce qui vous a fait emprunter une autre voie ?
Après mon doctorat d’histoire de l’art, je suis devenu professeur d’histoire-géographie en Corrèze. Puis, lors d’un festival d’Avignon, j’ai rencontré chez un ami le secrétaire d’État à la Culture, Michel Guy ; celui-ci m’a demandé si j’aimerais travailler pour son ministère, je ne l’avais pas planifié, mais j’ai dit oui tout de suite. C’était une suite logique : le principal espace de familiarisation avec la culture, c’est l’école ! En France, on réduit trop la culture aux beaux-arts et au spectacle vivant. Mais l’histoire, la géographie, la littérature… toutes ces matières permettent à la culture de s’enraciner, d’ouvrir la curiosité, l’appétit pour les arts en général.
Ainsi, pourquoi ne pas proposer une écoute musicale liée au siècle que l’on étudie ? Lully a contribué à créer le culte monarchique à Versailles, à chanter les louanges de Louis XIV. Un jour, un inspecteur d’académie m’a dit : mais vous ne feriez pas mieux de faire un vrai cours ? Mais quand je parle de Monet, Poussin, Stravinsky, Schubert, c’est ce que je fais, ai-je répondu !

Êtes-vous favorable à un grand ministère regroupant la Culture et l’Éducation ?
Éloigner le ministère de la Culture de celui de l’Éducation reste un problème. L’enseignement artistique est peu développé dans les établissements scolaires, mais le ministère de la Culture n’a pas prise sur lui. Quelle est la solution ? Une fusion ? Il y a là une symbolique que l’on a du mal à assumer. L’espace d’acculturation, c’est pourtant bien l’école et la télévision, cette dernière étant d’ailleurs aujourd’hui rattachée au ministère de Christine Albanel. La culture est l’objet même de l’Éducation nationale. Une leçon d’histoire est un acte de partage de la culture.
Je crois par ailleurs à un service public audiovisuel avec une offre exigeante, qui donne le désir de la connaissance. Bien sûr, à l’exception du cinéma, la télévision ne donne jamais accès à l’œuvre elle-même, qu’il s’agisse de théâtre, concert, exposition, mais elle peut convaincre d’aller voir. Il faut peut-être abandonner certains programmes lourds, plus forcément adaptés, « D’art d’art » est à cet égard une bonne initiation…

Le ministère de la Culture a 50  ans : que pensez-vous des réformes en cours le concernant ?
La révision générale des politiques publiques doit clarifier de grands pôles, des superdirections, au sein du ministère. Espérons que cela n’engendrera pas une simple accumulation de directions, mais au contraire aboutira à des choix radicaux et utiles.
La Culture est un ministère fragile, pas du fait de ses ministres, mais de son histoire. Malgré le caractère assez marginal de son budget, il occupe une place assez importante et a suscité une abondante production littéraire, scientifique, politique. À chaque campagne présidentielle, on s’interroge sur sa nécessité ou pas. Aucun autre ministère ne suscite ce type de débat.
Le ministère se délecte de lui-même, trop peut-être, alors qu’il n’est qu’un instrument au service d’une action politique. L’action culturelle de l’État est antérieure à la création du ministère, elle existait déjà sous les régimes précédents. La Bibliothèque nationale de France était royale avant d’être impériale. L’Opéra Garnier est emblématique du second Empire.

Tout n’a pas commencé avec André Malraux, mais quand même…
Oui, André Malraux et Jacques Lang ont tous deux été aux commandes de la Culture pendant dix ans et ont donc marqué ce ministère de leurs personnalités aussi différentes d’ailleurs que l’Ancien et le Nouveau Testament !
Jacques Lang a bénéficié de moyens budgétaires doublés en 1982, ce qui lui a permis d’engager de grands travaux, de créer des fonds d’acquisition pour les musées, des fonds régionaux d’art contemporain, de nouveaux lieux de diffusion pour le spectacle vivant, de soutenir les tournages, de défendre le livre, l’exception culturelle, de mener des actions à l’international… Le ministère s’est investi dans tellement de domaines qu’il semble aujourd’hui un opérateur universel.
Alors que la réalité est bien différente : les collectivités locales sont devenues les premiers opérateurs culturels ; l’édition, le disque, le cinéma, le marché de l’art relèvent surtout du privé. Les moyens actuels du ministère, ses deux ou trois milliards d’euros, ne lui permettent plus de tout faire ; ses collaborateurs ne sont pas toujours des acteurs décisifs. Cela crée des frustrations. Même si le modèle français a été imité à l’étranger, la situation est à présent inquiétante.

Et le mécénat, vous en avez conçu la loi : quel bilan en faites-vous ?
Je suis très attaché au développement du mécénat. Avec la loi d’août 2003, nous bénéficions d’une des législations les plus intéressantes au monde. Mais le mécénat pèse encore peu. L’initiative privée ne pourra se substituer à l’action publique dans les prochaines décennies.

Que représente le mécénat à Versailles ?
Cinq millions d’euros en 2007, dix-huit l’an passé. En France, le mécénat s’est considérablement développé pour atteindre le milliard d’euros tous secteurs confondus. Mais l’action publique, en ces périodes de crise, a l’avantage de la continuité alors que l’on sent bien les entreprises hésiter, avoir d’autres priorités. L’État a en outre un devoir de neutralité et une volonté d’aménagement territorial de la culture, tandis que le mécène soutient généralement ce qui lui plaît, où il le souhaite.

À propos d’aménagement territorial, êtes-vous toujours conseiller régional ?
Oui, je suis conseiller régional de Lorraine, dans l’opposition, et j’exercerai mon mandat jusqu’au bout. Concernant les prochaines élections régionales, qui seront peut-être reportées en 2011, il s’agit de savoir quelle sera mon activité professionnelle à ce moment-là. Je serai certainement invité à prendre ma retraite des services de l’État, je déciderai alors où je m’installe : Paris, Metz dont je suis originaire, ou la Bretagne que j’affectionne ? Je serai certainement tenté de solliciter un mandat pour rendre service aux citoyens. Ma vie a été faite de hasards, je crois à la force du destin qui vous entraîne là où vous ne l’avez pas prévu !

Metz, vous y êtes très attaché, grâce à vous le Centre Pompidou y ouvrira une antenne…
Le Centre Pompidou-Metz, je l’ai porté à plusieurs reprises. Lorsque j’étais président de Beaubourg, je me suis interrogé sur les moyens de mieux déployer son patrimoine sur le territoire et sur les moyens à mettre en œuvre. Comme ministre de la Culture, j’ai poursuivi cette réflexion et convié le Louvre à faire de même. Le maire d’alors à Metz, Jean-Marie Rausch, s’est montré très volontaire pour obtenir le Centre Pompidou dans sa ville, plus encore que Lille à laquelle j’avais songé également. Metz est maintenant à une heure trente en TGV, c’est une région transfrontalière, et la nouvelle municipalité a autant d’enthousiasme que la précédente.

Quel est votre point de vue concernant un nécessaire second site parisien pour les œuvres les plus contemporaines du Centre Pompidou ?
Les collections du Centre se sont développées extraordinairement, avec beaucoup d’œuvres de grande taille. Le besoin d’un second site est indiscutable, car le Centre ne peut plus les présenter de façon satisfaisante. Il faut un lieu mieux adapté aux installations actuelles. J’avais étudié, quand j’étais au Centre Pompidou, un projet à la centrale électrique désaffectée de Saint-Denis où va s’installer Luc Besson, mais le métro était un peu trop éloigné. Le Palais de Tokyo ? Il faut bien y réfléchir et ne pas oublier l’Histoire. Il faudrait un vaste « hangar » de 15 000 mètres carrés en périphérie pour pouvoir présenter les œuvres dans de bonnes conditions.

Concernant votre mission actuelle de patron de Versailles, quelles sont vos sources de financement ?
À Versailles, l’État prend en charge une masse salariale de 26 millions d’euros et apporte des subventions d’investissement, mais plus de subventions de fonctionnement. Le schéma directeur d’aménagement a prévu le lancement en 2003 d’un programme de 350 millions d’euros de travaux étalés sur 17 ans.
Pour 2009, la subvention s’élève à 24 millions d’euros et j’ai demandé au gouvernement de m’accorder 5 millions supplémentaires dans le cadre du plan de relance, pour accélérer certains travaux. Nos ressources propres, billetterie, concessions, locations d’espaces, représentent 45 millions d’euros environ. Et le mécénat, comme je l’ai dit, 18 millions. Les collectivités locales peuvent apporter leur aide pour un projet ponctuel, quelques centaines de milliers d’euros.

Où en êtes-vous des travaux ?
Nous avons déjà mené des restaurations importantes comme la galerie des Glaces, amélioré les conditions d’accueil et de sécurité. En septembre, nous allons rouvrir l’opéra et y organiser des coproductions avec le Centre de musique baroque. La restauration du Grand Commun est en cours, mais seulement la moitié est financée, je souhaite solliciter un emprunt pour accélérer les travaux. Notre musée de l’Histoire de France va être redéployé, car cette composante de Versailles a été occultée, refoulée. Nous proposons déjà une visite virtuelle de ce musée riche de plusieurs centaines d’œuvres.

Habitez-vous à Versailles ?
J’habite une maison de gardien à l’orée du parc, dans 70 mètres carrés, ce n’est pas le Pavillon de la Lanterne !

Amateur d’art, êtes-vous aussi collectionneur ?
Oui, un grand collectionneur. Je collectionne le mobilier du XXe siècle, j’ai dû d’ailleurs revendre plusieurs pièces, je ne savais plus où les mettre ! C’est maladif, et je revends souvent au mauvais moment ! J’ai des passions par « vagues ». En ce moment, ce sont les boîtes en marqueterie dans lesquelles je range mes papiers : je les empile ! En peinture, j’apprécie la figuration narrative et le nouveau réalisme. Je commence à m’intéresser à l’art ancien, il ne faut pas s’enfermer. L’une des grandes conquêtes de notre siècle, c’est l’éclectisme.

Biographie

1946
Naissance à Metz.

1973
Après des études d’histoire et de géographie à l’université de Toulouse puis à Paris, il devient professeur à Tulle (Sud-Ouest).

1978
Sous-directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts.

1993
Directeur des Affaires culturelles de la Ville de Paris.

1996
Président du Centre Georges Pompidou.

2002
Ministre de la Culture et de la Communication.

2007
Président de l’établissement public du château de Versailles.

2009
Exposition sur Louis XIV à partir du 19 octobre.

Le musée de l’Histoire de France sur le net
Le musée, créé en 1833 et installé au château de Versailles, s’est mis au multimédia. Depuis décembre 2008, www.museehistoiredefrance.fr est accessible à tous les internautes. Il présente l’histoire du musée et de ses collections et recense les actualités. Mais ce n’est pas tout. Le site offre l’accès à une visite virtuelle des lieux organisée salle par salle et accompagnée de commentaires écrits et audio.

À Versailles, la renaissance du Petit Trianon
Construit entre 1762 et 1768, le Petit Trianon a rouvert ses portes en octobre 2008 après un an de rénovation. Les restaurateurs ont voulu redonner au palais l’apparence qu’il avait en 1789, après les transformations effectuées par Marie-Antoinette en 1776. Pour la première fois, le château est donc visible dans son intégralité et le visiteur peut découvrir des espaces jusque-là interdits comme le cabinet des « glaces mouvantes », boudoir de la reine.

Le futur Centre Pompidou-Metz
La future institution, dessinée par Shigeru Ban et Jean de Gastines, disposera de 8 000 m2 de surface et sera la première expérience de décentralisation d’un établissement public culturel. Elle présentera des œuvres de la collection du Musée national d’art moderne (Mnam) et des expositions temporaires. En attendant son ouverture fin 2009, l’évolution du chantier est retransmise en direct sur le site www.centrepompidou-metz.fr .

Légende photo :

Jean-Jacques Aillagon (2010) © Photo Benoît Linero pour L'oeil

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°610 du 1 février 2009, avec le titre suivant : Jean-Jacques Aillagon, parcours royal

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