Directeur du théâtre du Palais des Glaces à Paris de 1980 à 1984, Jean-François Millier a organisé de nombreux événements culturels nationaux et internationaux, comme les « Rendez-vous de l’architecture » à la Villette ou la Fête de la musique. Depuis 2002, il est délégué général du Festival international de l’affiche et des arts graphiques de Chaumont (Haute-Marne), dont la quinzième édition se déroule jusqu’au 27 juin. Il commente l’actualité.
Outre des expositions (pour 2004 : « Roman Cieslewicz », « Pierre di Sciullo », « Graphic Thought Facility » et « Paul Elliman »), le Festival international de l’affiche et des arts graphiques de Chaumont est marqué par son concours. Cette année sera organisée une confrontation des images des douze dernières éditions avec le fonds Dutailly d’affiches anciennes. Pouvez-vous revenir sur la spécificité et l’histoire du festival de Chaumont ? En quoi celui-ci a-t-il a suivi l’évolution des arts graphiques ?
Sans le député haut-marnais Gustave Dutailly, à la fin du XIXe siècle, amoureux de l’affiche et de tous les imprimés, le Festival de Chaumont n’existerait sans doute pas… Ami des grands affichistes de l’époque, il crée une collection de 5 000 affiches et d’environ 15 000 imprimés, qu’il lègue à sa ville en 1905. Elle ne sera redécouverte que dans les années 1980. Le maire de Chaumont fait alors appel à Alain Weill, directeur à l’époque du Musée de l’affiche à Paris, qui lui confirme l’intérêt du fonds. Le Festival de l’affiche connaît sa première édition en 1990, construite sur la valorisation du fonds ancien et sur un concours international ayant pour modèle la Biennale internationale d’affiches de Varsovie. Quand Alain Weill quitte la direction du festival début 2002, Pierre Bernard, Alex Jordan, Vincent Perrottet (1) et moi-même avons la chance de pouvoir nous appuyer sur le fonds ancien, sur une collection contemporaine internationale de 15 000 pièces et sur un concours étudiants ancré dans les écoles d’art et de graphisme. Nous avons décidé de conserver ce socle qui fait de Chaumont la ville de l’affiche, en marquant plus fortement encore la dimension internationale. Compte tenu du rétrécissement de la commande d’affiches et des évolutions du métier, il nous a semblé nécessaire de s’ouvrir aux nouveaux territoires du graphisme et de mettre l’accent sur de nouvelles générations et de nouvelles pratiques, incluant les travaux multimédia. Par ailleurs, les deux collections ne couvrant pas la période 1905-1985, nous avons souhaité présenter une exposition « historique » chaque année, en nous appuyant sur une forte personnalité de cette période. Enfin, tout en soutenant, par une exposition qui lui est dédiée, un graphiste ou un studio français, nous provoquons une confrontation positive et enrichissante du travail des jeunes studios européens.
Chaumont fait une large place aux travaux d’étudiants et à l’organisation d’ateliers. Comment percevez-vous l’enseignement du graphisme en France ? N’est-il pas, à l’inverse des pratiques d’autres pays comme la Suisse, trop coupé de la sphère des arts plastiques ?
Maints graphistes que je fréquente œuvrent, en tout cas, aux frontières des deux champs, et sont souvent enseignants. Je dirais que les écoles de graphisme ou les sections spécialisées des écoles d’art ont pour fonction de former à un métier. Dans cet enseignement, l’histoire de l’art est présente, alors que l’histoire du graphisme reste sans doute encore à écrire… Je ressens surtout une difficulté assez française à accepter et à intégrer la recherche contemporaine dans les formations (mais ce n’est pas vrai pour toutes les écoles), et une grande propension à faire perdurer les cloisonnements entre les disciplines, alors que le décloisonnement est à l’œuvre dans les pratiques des créateurs. Musique, mode, graphisme, design, arts plastiques, audiovisuel, édition, théâtre, danse, architecture… y a-t-il aujourd’hui un champ d’intervention qui n’ait pas été croisé avec un ou plusieurs autres ?
Vous êtes à l’initiative des « Rendez-vous de l’architecture ». Redéfinie et désormais clairement articulée en trois pôles (le Musée des monuments français, le Centre des hautes études de Chaillot et l’Institut français d’architecture), la Cité de l’architecture et du patrimoine attend maintenant la nomination de son président (2). Quelles sont vos propres attentes envers une telle institution ?
Alors directeur de l’Architecture et du Patrimoine au ministère de la Culture, François Barré avait souhaité ses « Rendez-vous » et m’avait confié leur mise en œuvre. J’espère que cette structuration en trois pôles de la Cité n’empêchera pas la mise en regard féconde du passé et du présent, du patrimoine ancien ou récent et de l’architecture contemporaine. J’espère également que seront pris en compte non seulement l’architecture et l’urbanisme, mais aussi la question fondamentale des politiques publiques. Enfin, j’ai pu constater à quel point il était difficile de mobiliser à la fois les professionnels et le public. Il serait utile d’en faire un outil de communication et de sensibilisation, un lieu de rencontre et de confrontation, ouvert aux usagers et aux expériences en cours dans d’autres pays.
Avec la réforme du régime des intermittents, la question de l’emploi culturel connaît cette année une remise en cause. Enseignant à l’université de Paris-VIII-Dauphine en management culturel, vous avez, entre autres, signé en 1998 une étude sur « L’économie des filières de production culturelle en Europe ». Comment situer la position française actuelle dans un contexte européen ?
Les études de Pierre-Michel Menger étaient déjà très éclairantes, en 1998, quand on comparaît la situation française à celle des autres pays européens. Le nombre des intermittents du spectacle avait déjà augmenté dans des proportions considérables et les « abus » dont on parle aujourd’hui étaient déjà criants. La question posée à travers cette étude par la direction générale de la Commission européenne était à double tranchant : dans une période où l’adaptabilité, la mobilité professionnelle vont devenir de plus en plus nécessaires, peut-on s’inspirer de l’emploi culturel comme d’un modèle ? La réponse est évidemment non, mais la confrontation de « l’exception française » au fonctionnement des autres pays montre à quel point ce régime des intermittents permet le développement d’un foisonnement créatif dans tous les secteurs du spectacle vivant et favorise l’éclosion des jeunes talents. Les professionnels européens nous enviaient. La fragilité du système est aujourd’hui mise en évidence, et il serait dangereux que la crise actuelle amène à un alignement sur les fonctionnements de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne ou de l’Italie. Mais je ne le pense pas. Ce serait se priver d’une relève dans les secteurs les plus fragiles que sont le théâtre, la danse ou la musique et condamner une génération de jeunes créateurs.
Vous avez coordonné pendant longtemps la Fête de la musique. À une autre échelle, celle-ci a trouvé avec l’organisation de Nuit blanche par la Ville de Paris un écho dans le domaine des arts plastiques. L’événementiel n’impose-t-il pas un rythme et des attentes incompatibles avec des travaux sur le long terme ?
J’ai eu la chance exceptionnelle de coordonner la Fête de la musique pendant huit ans et de participer à son développement européen et international. Cet événement n’est pas de l’« événementiel » au sens du langage publicitaire, pas plus sans doute que ne l’est Nuit blanche. Pour exister, perdurer et se renouveler pendant plus de vingt ans, il faut qu’une manifestation s’inscrive dans la réalité. En ce qui concerne la Fête de la musique, c’est une journée d’émergence des pratiques, tant d’amateurs que des professionnels. Elle permet – dans un contexte festif, certes, celui du passage à l’été – de montrer le travail réalisé tout au long de l’année, qu’il s’agisse des ensembles de musique classique, des chorales, des conservatoires… ou des jeunes groupes de rock, de musiques électroniques ; c’est le fruit d’un travail permanent qui est montré au public. La force de la Fête, c’est aussi un public incroyablement curieux, attentif, réceptif, capable de passer d’un genre à un autre. L’événementiel est un produit fabriqué. On ne peut le confondre avec le produit d’une formation, d’un travail artistique et d’une politique musicale.
Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
Avec trop de franchise sans doute, je vous dirais que je ne suis pas friand des expositions. Je vais, bien sûr, régulièrement, dans les musées et les galeries… J’ai vu récemment, au Musée d’art moderne de Saint-Étienne, l’exposition « Après la fin de l’art », où je me suis arrêté en particulier devant les œuvres de Villeglé, Hains ou Dufrêne, les « lacérateurs d’affiches »… Pour Chaumont, n’étant pas spécialiste des arts graphiques, je travaille en équipe avec la direction artistique du festival, et je privilégie la rencontre personnelle en visitant les studios de création.
(1) composant la direction artistique du Festival.
(2) L’entretien a été réalisé avant la nomination le 21 mai de François de Mazières, chef de la mission de préfiguration de la Cité de l’architecture et du patrimoine.
Jusqu’au 27 juin, tél. 03 25 03 86 80, www.ville-chaumont.fr/festival-affiches
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Jean-François Millier, délégué général du Festival international de l’affiche et des arts graphiques de Chaumont
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°194 du 28 mai 2004, avec le titre suivant : Jean-François Millier, délégué général du Festival international de l’affiche et des arts graphiques de Chaumont