Dans un entretien accordé au Journal des Arts, le maire, Alain Juppé, reconnaît que \"la situation financière de la ville contraint, malheureusement, à marquer une pause dans l’effort culturel\". Il estime que \"le CAPC n’est pas encore assez ouvert sur la ville, ses étudiants, ses artistes\". Le maire confirme par ailleurs que \"Dominique Perrault reste l’urbaniste conseil\" du projet des Deux Rives, mais estime que le doublement envisagé du Pont de pierre \"ne résolvait pas un certain nombre de problèmes\".
Le Journal des Arts. Jusqu’à présent, la Ville de Bordeaux semble avoir préféré une politique culturelle privilégiant les équipements importants (CAPC) et les festivals (Mai Musical, Sigma) au développement d’un tissu artistique local. Qu’en pensez-vous ? Cette politique "d’image" est-elle adaptée aux difficultés économiques actuelles ?
Alain Juppé. Effectivement, la Ville de Bordeaux a privilégié, depuis une quinzaine d’années, des structures qui sont devenues de véritables institutions culturelles municipales.
Comme toutes les "grosses machines", elles sont grandes consommatrices de personnel et d’argent, et elles ont pesé si lourd sur le budget que les "indépendants", les créateurs locaux, se sont trouvés un peu marginalisés. Il est très important qu’une ville se dote d’outils culturels forts ; c’est le cas avec le Grand Théâtre, l’Orchestre national de Bordeaux-Aquitaine et les musées bordelais. Mais il est tout aussi important qu’une ville soit ouverte à toutes les initiatives de ses artistes.
Je crois donc nécessaire de rééquilibrer la politique culturelle de Bordeaux. La situation financière de la ville nous contraint, malheureusement, à marquer une pause dans notre effort culturel. Il faut enrayer la spirale infernale qui conduit fatalement à aggraver la pression fiscale. Mais il faut parallèlement modifier nos orientations culturelles, afin de ne pas pénaliser le tissu vivant des initiatives individuelles. C’est pourquoi je souhaite aider davantage les créateurs indépendants, les professionnels comme les amateurs.
Comment voyez-vous l’avenir du CAPC ?
Le CAPC est un musée nationalement et internationalement reconnu, dont les collections sont actuellement expertisées par le ministère de la Culture. Le CAPC n’est pas encore assez ouvert sur la ville, ses étudiants, ses artistes, malgré l’effort de pédagogie qu’il fait en direction des scolaires. Je souhaiterais un CAPC au cœur d’un réseau dense de galeries, de petits lieux indépendants, d’initiatives spontanées. J’ai fait part de mes vœux au directeur du CAPC, Monsieur Jean-Louis Froment. Je sais qu’il travaille en ce sens.
Et celui d’arc en rêve ?
Le travail remarquable de ce centre d’expositions consacrées à l’architecture doit se poursuivre dans deux directions : une mission pédagogique en direction des enfants de Bordeaux, mais aussi, je l’espère, des enfants de l’ensemble de l’agglomération, et une mission d’expositions et de conférences, tournée à la fois vers les architectes nationaux et internationaux, mais aussi vers les architectes bordelais de qualité, et ils sont nombreux.
L’agrandissement de l’école des beaux-arts va-t-il se concrétiser rapidement ?
Il est inscrit dans le plan État-Région. Il se fera dans le cadre de l’aménagement de l’îlot Renaudel, qui regroupera divers établissements d’enseignement, dont l’IUT de journalisme. Nous aurons là, très vite, un quartier étudiant vivant. Dès 1996, nous lancerons une étude de faisabilité de l’extension de l’école.
Allez-vous mettre en place des mesures de soutien en faveur des artistes installés à Bordeaux ?
Je crois avoir répondu à cette question. Les premières mesures de soutien concerneront les compagnies théâtrales locales. Nous réfléchissons également à l’ouverture de divers lieux consacrés aux arts plastiques. Mais, budget oblige, il faudra sans doute attendre 1997.
L’urbanisme est du ressort de la Communauté urbaine. Pour un projet aussi important que celui des Deux Rives, la Ville entend-elle se doter d’un outil spécifique ?
L’aménagement des Deux Rives ? Depuis trop d’années, les projets se sont succédés, créant des espoirs vite déçus. Les études passées, y compris celles qui n’ont pas abouti, n’ont pas été faites en pure perte, car les opérations d’urbanisme sont à penser sur le long terme. On a commencé à réfléchir au devenir de Mériadeck... en 1939 ! Il faut séparer clairement les choses. D’un côté, il est indispensable d’avoir une méthode de travail et des outils adaptés.
Je me suis attaché dès mon élection à cette première phase, et elle est aujourd’hui terminée. J’ai créé un comité de pilotage, que je préside chaque mois, relayé par un comité technique qui regroupe l’ensemble des compétences ; la Communauté urbaine de Bordeaux, l’Agence d’urbanisme (AURBA), la Ville, et Bordeaux Métropole Aménagement, société d’aménagement privilégiée de la CUB. Certes, l’urbanisme est de compétence communautaire. Mais le projet des Deux Rives est un projet bordelais, même si ses implications débordent le cadre de la commune.
C’est pourquoi le pivot central de l’opération est la Direction générale de l’aménagement urbain, à la Ville. Celle-ci a constitué une cellule d’urbanisme qui coordonne l’ensemble des intervenants. Dominique Perrault reste l’urbaniste-conseil du projet et travaille en liaison étroite avec les collectivités et l’agence d’urbanisme. Il s’agit donc d’un travail collectif, concerté mais dirigé. C’est à cette seule condition que nous pourrons passer du projet à l’opérationnel.
Il semblerait que le projet de Dominique Perrault de doubler le Pont de pierre soit remis en cause. Où en est le projet d’un nouveau pont sur la Gironde ?
Le doublement du Pont de pierre ne résolvait pas un certain nombre de problèmes, et notamment celui de la circulation automobile sur les quais. Or l’aménagement des quais, leur transformation en lieux de vie, suppose bien entendu la fluidité de la circulation et la quasi-suppression de la circulation industrielle. Je ne dis pas que le doublement du Pont de pierre est abandonné, je dis seulement qu’il entre en concurrence avec d’autres franchissements possibles que le schéma des déplacements urbains – et donc les itinéraires du futur transport en commun en site propre – nous proposera. Il y a actuellement plusieurs emplacements possibles. Dès janvier, nous serons à même de les arrêter.
La reconquête des quais a commencé. Quelles sont les prochaines échéances de réalisation ?
Il faut bien comprendre que ce que vous appelez la reconquête des quais est une entreprise très ambitieuse. Il ne s’agit pas en effet de quelques aménagements d’ordre esthétique mais bien de créer un nouvel axe urbain, celui de la Garonne, de la gare Saint-Jean jusqu’aux bassins à flot. Le long de cet axe, s’accrochent à la fois des quartiers prospères et des quartiers défavorisés.
Aménager les quais, c’est relier la gare Saint-Jean au quartier du Lac, c’est veiller au développement des quartiers Belcier, Bastide et Bacalan, c’est restaurer le patrimoine architectural des quais Rive gauche, c’est recréer autour de la gare d’Orléans un vrai quartier de ville, c’est mettre en lumière la Garonne, c’est organiser les quais, y créer des marchés, des lieux d’expositions, des guinguettes, des animations, c’est enfin réconcilier les deux rives et donner envie de traverser la rivière.
C’est un projet à long terme, qu’il faut savoir fractionner. Dans l’immédiat, nous allons démolir le Hangar 11, libérer la place de la Bourse du stationnement automobile, mettre au propre les quais Rive gauche et nettoyer les abords de la gare d’Orléans. D’ici deux ans, l’ensemble des hangars sera démoli, libérant ainsi les quais et créant, en plein centre historique, dix hectares de promenades et d’animations. La ZAC Bastide aura démarré, et le chantier du futur transport en commun sera bien avancé.
À plus long terme, ce sera l’université "Bordeaux IV - Montesquieu" sur la Rive droite, des ponts ou des tunnels, et une vie nouvelle à La Bastide mettant ses futurs habitants, face à la plus belle façade du monde, à 5 minutes du centre-ville.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
« Il est nécessaire de rééquilibrer la politique culturelle de Bordeaux »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : « Il est nécessaire de rééquilibrer la politique culturelle de Bordeaux »