Vingt ans après la disparition d’Alfred Hitchcock (1899-1980), ses films continuent de susciter l’exégèse, plus que bien d’autres cinéastes, tandis que les artistes contemporains, de Douglas Gordon à Victor Burgin, ne cessent d’en exploiter les infinies richesses. Mettant en lumière les correspondances qui unissent l’œuvre hitchcockien et les artistes symbolistes et surréalistes, l’exposition montréalaise « Hitchcock et l’art » dévoile les ressorts de cette passion singulière.
Alors que l’auditorium du Louvre consacre un cycle à la “mémoire de l’Antiquité au cinéma”, dans lequel Sueurs froides (Vertigo) vient revivifier le mythe de Pygmalion, la démarche iconographique appliquée aux films confirme son étonnante fécondité. “Hitchcock et l’art”, organisée par Guy Cogeval et Dominique Païni, au Musée des beaux-arts de Montréal, pourrait en apporter une nouvelle preuve. Si cette exposition ne néglige pas l’évocation de sa carrière, à l’aide d’extraits de film, de photographies de tournage, d’affiches, de scénarios annotés ou de maquettes de décors, elle propose parallèlement une lecture originale – et souterraine – d’une filmographie riche de 55 titres, en multipliant les confrontations avec peintres et photographes. Pour Dominique Païni, “les films d’Alfred Hitchcock, tout en demeurant des divertissements que l’on ne peut entamer, se sont imposés comme les résultats d’une conception du cinéma élargie aux autres arts et aux mystères de l’âme”. Considérant que Hitchcock “procède à une réactivation subtile – parfois clandestine – de la culture victorienne, décadente et symboliste de la fin du XIXe siècle”, Guy Cogeval souhaite interroger “sa perméabilité aux mythes et aux arts plastiques de son temps”.
Né en 1899, l’année où Freud publiait L’Interprétation des rêves, le réalisateur britannique est aussi un enfant de la psychanalyse. Et un film conjugue ostensiblement les leçons de Freud et la culture plastique contemporaine : La Maison du Dr Edwardes (Spellbound), avec ses séquences oniriques dont les décors ont été conçus par Salvador Dalí. Toutefois, le plus souvent, la référence à la peinture ne s’affiche pas avec une telle évidence ; Hitchcock n’a jamais cédé à la facilité de la citation, de la même façon, les commissaires de l’exposition s’abstiennent de parallèles forcés. Le terme de “correspondances”, au sens où Baudelaire l’entendait dans son poème éponyme, semble plus approprié. “Comme de longs échos qui de loin se confondent/ Dans une ténébreuse et profonde unité,/ Vaste comme la nuit et comme la clarté,/ Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.” Dans Sueurs froides, Kim Novak, semant des roses dans l’océan sous le Golden Gate Bridge de San Francisco avant de se jeter à l’eau, incarne une moderne Ophélie, dont John Everett Millais avait livré l’archétype au milieu du XIXe siècle. Plus largement, Hitchcock privilégie, d’Ingrid Bergman à Grace Kelly, une image de la femme froide et inaccessible, parfois vénéneuse, chère aux préraphaélites (Rossetti) et aux symbolistes (Khnopff). Tourment, angoisse, terreur, pulsion, fantasme, obsession, morbidité, autant de termes propres aussi à Hitchcock qu’à la mouvance symboliste. De façon plus ludique, il est piquant qu’un collectionneur de Rodin ait filmé “le plus long baiser de l’histoire du cinéma”, entre Ingrid Bergman et Cary Grant dans Les Enchaînés (Notorious).
De l’expressionniste Cabinet du docteur Caligari de Robert Wiene à la Partie de campagne impressionniste de Jean Renoir, de l’imagerie pop de Jean-Luc Godard au Barry Lyndon de Stanley Kubrick, l’histoire est riche de ces affinités électives entre arts plastiques et cinéma. Imprégné de la culture romantique et symboliste, le réalisateur de Rebecca tisse des liens avec la littérature, et apparaît comme le fils spirituel d’Edgar Allan Poe : l’auteur des Histoires extraordinaires n’aurait sans doute pas renié le climat de terreur qui baigne Psychose ou Les Oiseaux. L’Expressionnisme allemand découvert auprès de Murnau, en Allemagne, a également sa part dans ses choix esthétiques. “Comme de longs échos qui de loin se confondent/ Dans une ténébreuse et profonde unité.”
Rêvée par la génération de Wagner, l’œuvre d’art totale, le Gesamtkunstwerk, a définitivement pris corps avec le passage du cinéma au parlant. Il était naturel que l’art majeur du XXe siècle résonne de cet écho symboliste.
- HITCHCOCK ET L’ART, CO�?NCIDENCES FATALES, jusqu’au 18 mars, Musée des beaux-arts de Montréal, 1380 rue Sherbrooke Ouest, Montréal, tél. 1 514 285 2000, www.mbam.qc.ca, tlj sauf 25/12 et 1/01, 11h-18h, le mercredi jusqu’à 21h. Catalogue, éd. Mazotta.
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Hitchcock Correspondances
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°115 du 17 novembre 2000, avec le titre suivant : Hitchcock Correspondances