Henri Jobbé-Duval a été galeriste à Rennes au début des années 1970, avant de rejoindre Paris et de lancer en février 1974, à la Bastille, la première édition de l’ancêtre de la FIAC (Foire internationale d’art contemporain). Il s’associe ensuite avec Patrice Trigano et Pierre Nahon pour créer la galerie Beaubourg 2 (1976-1978). Il rejoint en septembre 1979 l’organisation de la FIAC – et, dans les années 1980-1990, des salons Saga et Découvertes – qu’il quitte en 2001. Il est depuis 2002 directeur de la foire Art Paris. Henri Jobbé-Duval commente l’actualité.
Le mois d’octobre est le mois des foires avec Frieze Art Fair, Art Paris, la FIAC, Art Cologne. Pourquoi autant d’événements sont-ils organisés à ce moment précis de l’année ?
Il y a toujours eu à la rentrée économique des événements liés au marché de l’art, notamment les ventes de New York qui donnent le ton du démarrage du marché. Cologne, qui existait avant Bâle, a pris ces dates probablement parce que cela correspondait à une rentrée économique. Bâle, ne pouvant pas avoir lieu à la même période, a décidé de clôturer la saison. Quand nous avons créé la FIAC à la Bastille, nous avons choisi février. Puis nous avons très vite constaté que, pour qu’une manifestation de ce type en France se développe et puisse avoir un rayonnement international, il fallait aller au Grand Palais. Mais ce dernier était inutilisable l’hiver parce qu’impossible à chauffer. Bâle était, déjà à l’époque, tellement puissante que nous nous sommes décidés pour octobre, soit au tout début du mois, soit à la fin en fonction de la Biennale des antiquaires. Frieze a, selon mon analyse, été lancée pour capter le marché lié à la création très contemporaine, en attaque frontale, très stratégique, de la foire française. Enfin, Art Paris a fait ce choix pour donner plus de représentativité au marché français en un temps donné. Art Paris a été décidée au moment où la FIAC était encore quai Branly sous la tente et manquait cruellement d’espace ; beaucoup de galeries intéressantes étaient refusées. Art Paris a pu alors jouer son rôle et rendre un certain nombre de services, pour des galeries que l’on a pu considérer comme rejetées de la FIAC. Au bout de six ans, non seulement cette manifestation est toujours là, mais en plus elle rend un réel service à des acteurs de la profession amoureux de leur métier, qui défendent avec enthousiasme et efficacité le travail d’un certain nombre d’artistes. Ces derniers n’occupent pas forcément l’avant-scène internationale actuellement, mais on ne sait pas ce qu’ils seront demain. Art Paris est aussi un tremplin pour un certain nombre de galeries parisiennes ou de province. Et tant mieux si la foire leur permet d’accéder à une lecture plus internationale, si elle leur permet d’évoluer… Par exemple, Suzanne Tarasieve était venue me voir quand elle a ouvert sa galerie à Barbizon, et je lui avais dit à l’époque qu’il n’y avait pas de place pour elle à la FIAC. Aujourd’hui, elle a fait son parcours quelque part grâce à Art Paris. La FIAC lui permet cette année de bénéficier d’une reconnaissance internationale et j’en suis ravi pour elle. C’est important que la profession reconnaisse ce type d’engagement.
Ce développement des foires n’est-il pas symptomatique d’un marché qui demande aux professionnels d’aller chercher les clients parce qu’ils ne viennent plus forcément dans les galeries ?
Il a toujours fallu aller chercher le client, même si les techniques ont évolué. Effectivement, là comme ailleurs, le marché est devenu mondial. Mais lorsque les foires ont démarré, la volonté des galeries était bien d’élargir leurs fichiers, leurs contacts, à tel point que, les premières années, les foires étaient toutes plus ou moins locales, exceptée Bâle. Les galeries ont donc essayé de s’attirer de nouveaux acheteurs, de créer un nouvel outil de communication. Chemin faisant, les galeries ont dû progressivement réaliser un véritable chiffre d’affaires dans les foires puisque les dépenses que génère chaque participation sont relativement lourdes, notamment quand il faut aller à l’étranger. Les frais annexes représentent plus du double du coût du stand lui-même. Aujourd’hui, le simple espace de la galerie ne suffit pas, et, à terme, il ne sera peut-être même plus indispensable. La profession finira par accepter de définir un rôle professionnel à celui qui compose avec une « écurie » d’artistes et les défend sur le marché international par des participations aux foires. Monter une exposition dans sa galerie et faire les foires devient très complexe en termes financiers et de temps. D’où ce nombre de foires de rentrée, auxquelles il faut rajouter Berlin. Et puis, Bologne, Milan, Turin, ARCO à Madrid… Si ces foires existent, cela prouve qu’il y a un marché. Mais il faut que chacune puisse avoir un positionnement clair et rende un réel service, sans mauvaise pensée.
La ville dans laquelle se situe la foire est aussi importante. La vente Levy, chez Tajan, a montré qu’il est encore possible de faire venir beaucoup de collectionneurs américains à Paris. N’est-ce pas un enseignement pour l’avenir ?
Il existe différents acteurs sur le marché qui doivent travailler main dans la main. C’est déjà plus ou moins le cas. Que seraient les œuvres proposées dans les ventes publiques sans le travail des galeries, pendant des années, pour justement les montrer dans leurs espaces, les défendre, etc., et leur donner une valeur culturelle, historique et donc marchande. Les commissaires-priseurs ont une réflexion sur le marché et un comportement qui mérite l’attention. Peut-être que les galeries n’ont pas suffisamment d’égard vis-à-vis du travail qui est fait par leurs confrères. Et pourtant, elles sont les premières à prendre comme point de repère les prix atteints en ventes publiques. Une vente comme la vente Levy, avec l’engagement d’un collectionneur et marchand, l’importance du catalogue, montre un fantastique engagement, même si on n’est pas obligé de tout aimer. C’est ce qui me plaît dans le travail des galeries, c’est de soutenir l’œuvre contre vents et marées, au même titre que l’artiste qui continue son travail, même si on ne s’intéresse plus à lui. Mais quand on est capable de rassembler des choses intéressantes, on attire les acheteurs.
Pour Art Paris, à chaque fois la question se pose : « Vous n’avez pas de ténor, de grande galerie ! » D’accord, mais les galeries vont mettre à disposition des collectionneurs certains travaux qui méritent d’être découverts ou redécouverts. Il faut mettre les amateurs en situation de pouvoir passer à l’acte d’achat, ce qui ne se fait pas comme cela. Pour ce faire, nous nous efforçons de leur créer un environnement qui leur corresponde et qui leur permette de s’exprimer, d’entrer dans ce processus d’échange.
Le fait que la prochaine édition d’Art Paris ait lieu au printemps signifie-t-il que la foire va changer dans son contenu ?
Elle va continuer à évoluer. D’abord, sa vocation est bien de devenir plus internationale. Et cela sera plus évident à une période de l’année où il y a moins de foires. En mars, nous n’aurons pas de concurrence, sachant que Bruxelles se passe en avril, ARCO en février. Nous avons donc une fenêtre. Pour Paris aussi, il est important d’être dans un circuit international à « mi-saison ». De plus, les hôtels sont moins chargés en mars. Nous souhaitons améliorer le contenu d’Art Paris en restant toujours ouverts. J’ai envie qu’il y ait un joli esprit qui se dégage de cette foire. Il y a déjà un esprit « Art Paris », un esprit qui lui est spécifique, dû à sa taille et à sa situation géographique au centre de Paris. Ce n’est pas facile de tenir une foire de cette dimension. Le public parisien a quand même beaucoup progressé au cours des années. Pendant longtemps, rien ne se vendait. Maintenant, il y a un chiffre d’affaires non négligeable généré par le marché français, un chiffre qui a besoin d’être consolidé et porté par le marché international. Le marché français aujourd’hui est capable de faire vivre des galeries et des foires, au moins deux en tout cas à Paris, plus quelques exemples en province.
Quelles expositions vous ont marqué dernièrement ?
Celle qui m’a le plus marqué est l’installation-performance de Nan Goldin à la chapelle de la Sâlpetrière. Je l’ai trouvée formidable. J’en suis sorti bouleversé. La première fois que j’ai vu son travail, j’étais choqué par l’exploitation de la misère ; je trouvais cela facile. Puis j’ai commencé à mieux comprendre sa démarche et vu sa vraie dimension, la valeur réelle de son propos. Si elle n’avait pas trouvé sa voie dans l’art, elle n’existerait peut-être plus. Quand je suis sorti de la chapelle, j’avais envie de posséder une de ses œuvres. J’ai aussi vu l’exposition de Jean-Michel Alberola chez Templon. C’est un vrai bon peintre qui fait référence à Duchamp et à Dalí de manière très personnelle. Au Palais de Tokyo, j’ai apprécié le tunnel de Wang Du. Il est symptomatique du fait que, de plus en plus, les artistes ont besoin de vous mettre en condition pour accéder à l’œuvre. Enfin, j’ai passé une heure et demie au vernissage de « Sons et Lumières » au Centre Pompidou et j’ai trouvé l’exposition si passionnante que j’y retournerai au moins trois heures !
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Henri Jobbé-Duval, directeur du salon Art Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°201 du 22 octobre 2004, avec le titre suivant : Henri Jobbé-Duval, directeur du salon Art Paris