Dans un climat politico-religieux très tendu, le Bangladesh a annulé l’exposition prévue au Musée national des arts asiatiques-Guimet sur le patrimoine bangladais.
PARIS, DACCA - La fin de l’année 2007 aura été particulièrement éprouvante pour le Musée Guimet. Différée à plusieurs reprises, l’exposition que l’établissement parisien devait inaugurer le 9 janvier dernier sur les chefs-d’œuvre du patrimoine bangladais a bel et bien été annulée. Cette décision prise par le Bangladesh, le 25 décembre, est intervenue après le vol de deux statuettes constaté à l’aéroport de Dacca alors qu’elles s’apprêtaient à rejoindre la France, où une quarantaine d’œuvres avaient déjà été réceptionnées. Les deux petites terres cuites à l’effigie de Vishnu ont finalement été retrouvées en très mauvais état dans l’une des nombreuses décharges de la capitale bangladaise. Cet épisode malheureux marque la fin d’une longue série de malversations et manipulations destinées à faire échouer le projet. « Le vol aurait dû être constaté en France et il est clair qu’il s’agissait de faire porter le chapeau à Paris. Heureusement, mon homologue bangladais a voulu faire une ultime vérification et c’est là qu’il a réalisé qu’il manquait une petite caisse », précise Vincent Lefèvre, conservateur au Musée Guimet et responsable du projet. Après ce délit, le gouvernement provisoire bangladais avait décidé d’envoyer les douze caisses restantes en France, avant de se rétracter, cédant à la pression des opposants au projet.
L’idée de l’exposition a germé en 2002 dans le cadre de fouilles archéologiques menées depuis 1992 sur le site de Mahasthan par des équipes franco-bangladaises. La collaboration entre les deux pays comprenait, outre l’exposition, la formation de personnels des musées bangladais – initiative pour l’heure annulée, de même que la mission archéologique est suspendue pour 2008. Le projet se concrétise en 2005, mais il est pris dans les tourmentes politico-religieuses qui affectent le pays.
Indépendant depuis 1971, le Bangladesh, qui se heurte à un niveau élevé de corruption, a adopté un régime parlementaire dans lequel deux partis nationalistes opposés dominent : la Ligue Awami (LA), à l’idéologie socialiste, et le Bangladesh Nationalist Party (BNP), plus conservateur. Ce dernier, au pouvoir jusqu’à la fin 2006, a ensuite cédé la place à un gouvernement provisoire (soutenu par l’armée). Prévues initialement en janvier 2007, les élections n’ont cessé d’être reportées sur fond de manifestations meurtrières et grèves paralysant l’ensemble du pays. Et l’état d’urgence a été proclamé. C’est dans ce climat extrêmement tendu que le Musée Guimet s’est attiré les foudres de certains universitaires et personnalités du monde de l’art, proches des deux partis au pouvoir. Il s’est vu qualifié d’organisation privée et a été accusé tantôt de piller le patrimoine du pays, tantôt de copier dans ses ateliers les œuvres bangladaises. Ce, dans un contexte où le trafic d’œuvre d’art rapporte gros. Largement méconnues, les œuvres pillées transitent habituellement par Bangkok où les trafiquants les font passer pour des pièces indiennes.
Dédommagement
L’exposition aurait pourtant permis de mettre en lumière le patrimoine bangladais et de dresser un premier inventaire de ses chefs-d’œuvre. « Nous devenions aussi gênants pour certains trafiquants », note Vincent Lefèvre. L’aventure n’aura toutefois pas été vaine, puisque le catalogue réalisé à l’occasion est édité par la Réunion des musées nationaux en français et en anglais (lire p. 14).
Actuellement, le Quai d’Orsay examine les démarches à entreprendre. Le Musée Guimet souhaiterait être dédommagé pour les 400 000 euros déjà dépensés. « Nous ne voulons pas que la population paie pour un groupe aux pratiques terroristes. Mais nous devons marquer le coup, ne serait-ce que pour ne pas laisser entendre que les accusations dont nous avons été la cible étaient fondées. C’est avec le gouvernement en place que nous devons discuter », a précisé le président du Musée Guimet, Jean-François Jarrige, lors de la présentation à la presse du catalogue, le 9 janvier. Il s’agit aussi de rendre au Bangladesh les 42 pièces (sur les 188 que devait retenir la manifestation) parvenues sur le territoire français, opération délicate à entreprendre à l’heure où Air France a suspendu ses vols et où le convoyage n’est pas sans risques.
Fortement ébranlé, Jean-François Jarrige a toutefois rappelé que d’autres expositions périlleuses avaient finalement été des réussites, à l’instar de celle consacrée au patrimoine d’Afghanistan, et a conclu en évoquant la tenue, au printemps 2008, d’une vaste rétrospective sur Hokusai.
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Guimet dans les eaux troubles du Gange
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°273 du 18 janvier 2008, avec le titre suivant : Guimet dans les eaux troubles du Gange