À deux semaines des élections législatives en Italie, Giovanna Melandri tire dans un entretien les conclusions de ses deux années et demie d’action à la tête du ministère de la Culture, sis au palais du Collegio Romano. Succédant à Walter Veltroni, elle a pris ses fonctions au moment où la nouvelle loi permettait enfin de mettre en place les bases de la transformation d’un ministère, jusque-là parent pauvre du gouvernement, en l’une des douze composantes de l’exécutif italien.
Dans votre expérience de ministre, quelle est la réalisation dont vous êtes la plus fière ?
Le bilan global du ministère de la Culture, et non celui de la ministre Melandri, est largement positif à la fin de cette législature. Je ne sais pas de quelle réalisation je suis la plus satisfaite, entre la Cène de Léonard de Vinci, la basilique Saint-François d’Assise, la restauration du cycle de la Légende de la vraie croix de Piero della Francesca à Arezzo, la restauration des temples de Paestum, l’ouverture du Musée de Palestrina, la découverte de la Domus Aurea et de la Villa dei Quintili à Rome, la restauration des fresques de Benozzo Gozzoli à Montefalco, la très récente restauration de l’arc de Trajan à Bénévent (lire p. 21)... En cinq ans, environ soixante lieux ou musées ont été ouverts, rouverts ou partiellement équipés, soit près d’un par mois. Nous avons voulu porter une forte attention au patrimoine où qu’il soit, et pas seulement privilégier les capitales artistiques. Je suis principalement satisfaite de pouvoir restituer, au terme de la législature, un ministère qui a surmonté ses faiblesses et effacé cette marginalité qui était son trait distinctif par le passé. Il fera partie des douze ministères dont sera formé le prochain gouvernement. Après sa réforme, il dispose de compétences élargies et cohérentes. Son but est non seulement de protéger le passé et mais aussi de promouvoir la créativité contemporaine, d’agir tant dans le secteur du patrimoine que dans celui des activités culturelles. Sa nouvelle organisation va dans le sens fédéraliste de mise en ordre institutionnelle de l’État, et lui permet de coopérer avec les Régions, comme le prouve la signature de six accords-cadres en seulement quelques mois. Le dernier, signé avec la Campanie, prévoit des interventions pour près de 1 000 milliards de lires (3,38 milliards de francs) sur cinq grands sites qui attirent particulièrement le public : Pompéi, Herculanum et les champs Phlégréens, le Palais royal de Caserte, la chartreuse de Padula et Paestum. En somme, ce ministère est maintenant capable, au niveau des ressources dont il dispose, de planifier son activité avec une ampleur et une ambition qui n’ont jamais existé auparavant. En 1974, Ranuccio Bianchi Bandinelli constatait avec tristesse l’incapacité de notre pays à sauvegarder son patrimoine monumental, et parlait d’une Italie historique et artistique “en danger”. Depuis lors, trente années se sont pratiquement écoulées, et je crois pouvoir dire que cette image a été corrigée. Nous avons créé les conditions pour passer d’une politique de restauration “d’urgence” à une politique de conservation programmée.
Que regrettez-vous de ne pas avoir fait ? Et que vous engagez-vous à réaliser si vous retrouvez votre portefeuille ?
Le bilan est positif à de nombreux points de vue, mais je considère le “chantier Italie” de la culture loin d’être terminé. Voici les engagements de la prochaine législature : maintenir le rythme de ces dernières années pour les grands projets en cours de réalisation. J’en citerai seulement quelques-uns : le projet d’agrandissement des collections de la Pinacothèque de Brera au Palais Citterio à Milan ; l’agrandissement du Musée égyptien de Turin et la réalisation de la “Machine royale” au Palais royal de Venaria ; le doublement des surfaces d’exposition des galeries de l’Académie de Venise ; le projet du nouveau Musée des Offices à Florence ; le retour du château de Caserte à sa fonction de musée et les deux interventions sur le contemporain en cours à Rome, c’est-à-dire la réalisation du Centre national pour les arts contemporains et du Musée national de l’audiovisuel (lire le JdA n° 125, 13 avril 2001). Il faut aussi terminer le projet de réforme du ministère avec l’institution autonome des Beaux-Arts, pour des projets bien spécifiques dont l’unicité justifie l’introduction de modèles d’organisation spéciaux. Après notre expérience à Pompéi, qui présente un bilan positif trois ans après sa création, nous nous acheminons vers cette transformation, d’abord avec l’archéologie romaine, puis à Venise et à Florence. Maintenant que nous avons fait des musées nationaux des lieux plus accueillants, il convient de consacrer une attention croissante à la didactique et à la communication pour offrir aux visiteurs des parcours cognitifs différentiés, à la hauteur du patrimoine présenté. Il faut faire adopter le projet de loi pour la promotion de l’architecture de qualité, dont l’importance fondamentale est d’inscrire la promotion de la bonne architecture dans les politiques culturelles. Le ministère, ces dernières années, a encouragé le principe du concours d’architecture, soit le meilleur outil pour promouvoir la qualité des projets et former de nouvelles générations d’architectes à la compétition. Nous en avons mis en place pour les grands projets qui nous concernent directement, comme le Centre pour les arts contemporains et le Musée de l’audiovisuel, tous deux à Rome ; puis pour les Offices à Florence et l’intervention sur le Palais royal de Veneria, à Turin. Je crois qu’il serait utile d’en faire une règle respectée par toutes les administrations publiques. Huit ans après son vote, il faut réactualiser la loi Ronchey, qui a largement contribué à ce que le ministère offre de bons services aux visiteurs : il existe aujourd’hui quelque cent six structures d’accueil contre une quinzaine en 1998. Mais, il faut adapter ces prestations aux nouveaux systèmes de gestion des musées.
Si le centre gauche gagne les élections, voudriez-vous retrouver le ministère de la Culture ou préféreriez-vous tenter une autre expérience ?
Tout d’abord, j’ai eu la chance d’être ministre de la Culture, et donc de m’occuper de ce que l’Italie a de plus beau : ses trésors artistiques, son paysage, cette combinaison extraordinaire de l’histoire, de la nature et de la culture, qui rend notre pays unique au monde. Bien sûr, je serais heureuse de mener à bien les autres projets engagés ces dernières années. Peu m’importe que la ministre Melandri soit ou non populaire. Ce qui m’intéresse est de savoir que de 1993 à 1999, les employés du secteur de la culture ont augmenté de 23,8 %, et que les visiteurs des musées nationaux, qui étaient 26 millions en 1996, ont franchi la barre des 30 millions en 2000. Ce gouvernement a un mérite unanimement reconnu et dont j’ai bénéficié : pendant des décennies, les ministres de la Culture se considéraient au Collegio Romano sur une voie de garage, en attendant de meilleures charges. La durée moyenne de leur mandat était inférieure à dix mois. Qui aurait pu réaliser quelque chose de sérieux en si peu de temps ? Les politiques pour le patrimoine et l’industrie culturelle ont besoin de stabilité. Peut-être est-ce aussi à cause de cette tendance historique à l’instabilité politique que l’Italie, à la différence d’autres pays européens, n’a pas assez investi dans son patrimoine culturel.
Comment expliquez-vous que nous n’ayez pas réussi à convaincre le gouvernement auquel vous avez appartenu à prendre des décisions essentielles, comme celle de réaliser les digues mobiles de Venise ?
À Venise, nous n’avons pas le choix. C’est pour cela que lors du Conseil du 17 mars dernier, le gouvernement a décidé, à l’unanimité, d’aller de l’avant dans l’étude du projet Moïse, répondant ainsi à une requête provenant du ministère de la Culture qui n’a jamais exprimé d’avis négatif pour la réalisation des digues mobiles. Elles sont nécessaires tout comme les autres interventions telles que l’élévation des dallages ou le réglage du débit des bouches du port.
La législation en vigueur pour la protection de l’archéologie est inadaptée. Si vous retrouvez votre ministère, comment pensez-vous résoudre ce problème ? Changerez-vous la loi ?
Grâce à la réforme du ministère, l’archéologie a aujourd’hui une “maison” au sein du ministère : la Direction générale pour l’archéologie, dont j’ai personnellement voulu la création. La défense de notre patrimoine archéologique passe avant tout par le renforcement et par l’intensification de l’activité de fouilles et de recherches. En outre, le meilleur moyen de s’opposer au saccage est de valoriser les sites, comme le démontrent de nombreuses expériences, surtout dans le sud de l’Italie. Je pense par exemple au cas de Metaponto. C’est précisément pour atteindre cet objectif que nous avons présenté, au début du mois d’avril, le premier Plan national pour l’archéologie, qui affectera environ 370 milliards de lires (1,25 milliard de francs), pour la période 2001-2003, à la poursuite des activités de fouilles dans les zones archéologiques, et à l’ouverture ou au rééquipement des lieux d’exposition.
La protection contre l’agression criminelle dont est victime le patrimoine archéologique a été ces dernières années fortement renforcée par l’action des carabiniers qui, en étroite collaboration avec les Beaux-Arts, agissent sur la base d’une cartographie informatisée. En 2000, les recherches ont privilégié les immenses zones archéologiques terrestres et marines. L’utilisation constante d’Internet a permis d’intercepter des ventes en ligne d’œuvres fausses ou volées. La prévention des vols continue à donner des résultats concrets : en 2000, 2 136 ont été déclarés, contre 2 168 en 1999. Durant la même période, environ 48 % des œuvres déclarées ou volées ont été récupérées. Dans l’ensemble, 31 868 objets ont été retrouvés au cours de l’année 2000, pour une valeur de 258 milliards de lires (874 millions de francs) : beaucoup sont des pièces archéologiques parties à l’étranger. D’ailleurs, en ce qui concerne la collaboration avec les pays tiers, j’ai une grande confiance dans l’application de l’accord signé il y a quelques mois avec les États-Unis en matière de prévention et de répression du trafic de matériel archéologique de provenance illicite (lire le JdA n° 120, 2 février 2000). Il s’agit d’un des derniers actes signés entre le gouvernement italien et l’administration Clinton. La répression, donc, a été renforcée. Mais le retour à la normale nécessite aussi des changements, qu’étudie actuellement une commission que j’ai instituée pour revoir les sanctions proposées par un décret législatif.
À quelques semaines des élections italiennes du 13 mai, les programmes pour la culture des partis de gauche et de droite ne sont pas encore définis. Cette campagne électorale – la plus médiatique de la récente histoire politique italienne, rythmée par la bataille pour le temps de parole et la censure à la télévision – a laissé la culture de côté. Inutile dans ce contexte d’interroger les deux coalitions. À la Maison des libertés (droite), on y travaille, même si la culture n’est pas une priorité. Les impôts, la politique sociale, la sécurité, l’école, voilà les axes du programme de Silvio Berlusconi, qui n’a pas encore revêtu les habits d’ homme de culture. À gauche, on en parle davantage. L’“Italie comme toi�? est l’“Italie riche�?, parce qu’elle “a aussi mis la culture au centre de son développement�?, lit-on sur certains tracts. Et le programme ? “Il y a en un, nous assure-t-on, mais il doit encore recevoir l’approbation des alliés. Mieux vaut donc ne pas se compromettre pour le moment.�? Un militant ou peut-être un simple électeur a écrit sur le site www.rutelli2001.it : “Le thème de la culture est l’un de ceux dans lequel il faut mettre au clair la différence entre eux et nous.�? Peut-être que, pour reprendre les mots du militant électoral de l’Olivier (gauche), la culture est, “en termes d’opportunité, un thème d’intérêt politique mineur par rapport aux impôts, à la sécurité, à l’immigration�?.
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Giovanna Melandri : « Le chantier de la culture est loin d’être terminé »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°126 du 27 avril 2001, avec le titre suivant : Giovanna Melandri : « Le chantier de la culture est loin d’être terminé »