Ancien dirigeant de Nina Ricci et collectionneur d’art contemporain, Gilles Fuchs est aussi président de l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (Adiaf), qui vient de lancer le Prix Marcel-Duchamp. Il commente l’actualité.
Le Journal des Arts a lancé une enquête sur la politique culturelle des villes avant les élections municipales. Après ce tour de France, les jeunes artistes semblent souvent les parents pauvres des actions culturelles des villes, ils manquent de soutien et d’ateliers pour travailler. Faut-il que les villes investissent davantage ? Que les artistes se tournent vers le privé ? Que soit mis en place un système de bourses ?
Comme dans le domaine de l’éducation et de la formation, la compétence est plutôt au niveau de l’État, de l’institution. Dans un secteur qui est parallèle, celui du design, le Comité Colbert a créé un prix pour aider la jeune création ; c’est sans doute l’une des façons les plus intéressantes d’aider les talents émergents car ce prix donne la possibilité aux jeunes créateurs d’appliquer leurs connaissances, d’être confrontés à la vie économique, de travailler dans des maisons d’une qualité et d’une rigueur extrêmes pour y dessiner robes ou objets, que ce soit chez Hermès, Vuitton...
Pour pallier le manque d’ateliers, le phénomène des squats d’artistes s’est intensifié ces dernières années. Allez-vous en visiter ?
Oui, je vais souvent voir ces squats. Je me suis souvent demandé si, finalement, les jeunes artistes ne cherchaient pas une certaine indépendance, s’ils n’étaient pas au fond assez contents d’aller dans des endroits qui sont sans utilisation et de les squatter pour y concevoir une création en toute liberté. Mais véritablement, il manque aussi des ateliers “officiels”.
Vous avez lancé, avec l’Association pour la diffusion internationale de l’art français (Adiaf), le Prix Marcel-Duchamp qui vient d’être remis à Thomas Hirschhorn. Comment jugez-vous la promotion des artistes français, notamment à l’étranger ?
L’idée de ce Prix Marcel-Duchamp correspond à l’une des facettes de ce que l’Adiaf fait pour défendre la scène française, parallèlement à des expositions à Madrid, à Lisbonne, à Bruxelles. Le but du prix est d’essayer de vitaliser la scène artistique française en portant un accent sur des artistes qui nous paraissent importants. Ce prix s’appuie sur un choix de collectionneurs. La majorité des autres, y compris le Turner Prize, sont, je dirais, “académiques”. Ici, le but est aussi de montrer l’importance sur la scène artistique des collectionneurs. Ce sont eux qui enflamment cette scène tandis que les musées consacrent les artistes. Cet engagement de particuliers peut aussi montrer à l’étranger la vitalité de la scène française. D’initiative privée, le Prix Marcel-Duchamp est décerné par un jury international composé pour moitié de collectionneurs et pour moitié d’institutionnels. Cette année, il était composé de Jean-Hubert Martin, d’Alfred Pacquement, d’Ida Gianelli (directrice du Castello di Rivoli), des collectionneurs Marin Karmitz et Rolf Hoffmann, de Jacqueline Matisse-Monnier (détentrice des droits moraux de Marcel Duchamp) et de moi-même. Enfin, il est consacré par une exposition au Centre Pompidou qui a souhaité soutenir notre action. Nous voudrions également que l’art soit davantage présent dans les grands médias, à la télévision, pour qu’il devienne plus populaire, dans le bon sens du terme. La création est essentielle dans un pays. Matisse vend autant la France que le TGV. Mais à l’heure actuelle, la création ne peut pas vivre comme il y a cent ans, lorsque les artistes étaient soutenus par de petits groupes. Il y a quatre-vingts ans, Borotra était un homme qui jouait seul au tennis. Il est devenu champion du monde. Aujourd’hui, si vous voulez être champion du monde, il faut une équipe, des entraîneurs, sans compter l’argent. C’est la même chose pour les artistes. Ils ne peuvent plus être seuls. L’État fait son travail, mais les créateurs ont besoin d’être portés par un consensus populaire.
Le soutien de la scène britannique par Charles Saatchi vous a-t-il aussi influencé ?
Oui, mais d’une manière différente. Charles Saatchi a fait un grand travail pour la scène anglaise, avec beaucoup d’efficacité. Mais je ne suis pas sûr que je souscrive entièrement à sa manière de faire. Il s’agit un peu du diktat d’une personne. On peut l’accepter, mais on a un peu l’impression qu’il y a une manipulation puisque Saatchi est lui-même indirectement un marchand. Ce n’est plus tout à fait la même chose. Quand nous avons créé le Prix Marcel-Duchamp, nous avons voulu éviter d’établir un prix non commercial, à travers lequel une maison de commerce se met en avant. Nous avons aussi essayé d’éviter un choix trop directif. Nous sommes cent membres dans l’association et la sélection est ainsi plus élective. Un consensus se forme. Nous pensons que les artistes, une fois ce prix reçu, pourront être soutenus par un certain nombre de collectionneurs.
Ces derniers sont, avec les directeurs d’institutions, les principaux destinataires des foires d’art contemporain. Celle de Madrid, Arco, vient juste de fermer ses portes. Que pensez-vous de cette manifestation qui conjugue aussi débats et expositions ?
C’est une très bonne formule pour le contexte dans lequel Arco se déroule. À côté de la foire commerciale sont organisés des débats et des expositions, associés à une réelle convivialité. Tout le monde s’y retrouve. Les gens ont envie d’y aller parce que l’on s’y amuse. On y voit des œuvres intéressantes, on peut se promener dans les expositions des musées organisées spécialement, et les débats sont enrichissants. Je vais très régulièrement à Arco et je dois dire que j’ai une grande attirance pour cette foire.
Balthus est un artiste peu présent sur le marché. Quelle a été votre réaction après son décès ?
Lorsqu’un artiste disparaît, un vide se crée. Les amateurs d’art ont l’impression de perdre un membre de sa famille. Pour moi, il s’agit cependant d’un membre éloigné.
Des expositions vous ont-elles marqué dernièrement ?
J’ai été très intéressé par “Picasso érotique”, mais aussi de voir l’exposition après, avant ou en même temps, que “La vérité nue” et les expressionnistes viennois. D’un côté, c’est le bonheur de vivre, le plaisir et la jubilation ; de l’autre, c’est la torture du corps. Egon Schiele ou Kokoschka ont une force incroyable dans la manière qu’ils ont de s’exprimer ; mais dans la souffrance. Chez Picasso, nous sommes face à la sérénité d’une personne qui a aimé la vie jusqu’à son dernier instant et qui a su rendre, même avec violence, comme dans les scènes de Minotaure, la joie de vivre et la beauté du plaisir. Dans un autre genre, j’ai aussi beaucoup aimé l’exposition “Au-delà du spectacle”
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Gilles Fuchs, collectionneur et président de l’Adiaf
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°122 du 2 mars 2001, avec le titre suivant : Gilles Fuchs, collectionneur et président de l’Adiaf