Peintre, sculpteur, graveur, Georg Baselitz est l’un des artistes allemands les plus reconnus à l’étranger. Au-delà de son propre travail, il est depuis de nombreuses années un collectionneur passionné. Il a ainsi présenté, jusqu’au 5 avril, un ensemble exceptionnel de ses gravures maniéristes à l’École nationale supérieure des beaux-arts, à Paris. Georg Baselitz commente l’actualité.
Vous avez montré à Paris, à l’École nationale des beaux-arts, sous le titre “La bella maniera”, votre collection de gravures maniéristes. Quels sont les rapports entre cet ensemble et votre propre travail ?
Chaque génération subit des influences nouvelles. En tant que jeune étudiant, j’ai été confronté à la peinture informelle d’après-guerre en Europe. L’Expressionnisme allemand, le Bauhaus, le Surréalisme, le Dadaïsme faisaient partie du passé. On disait que tout était différent dorénavant, que toutes les portes étaient ouvertes, que l’on était libre. C’était une position inédite, mais elle avait tout de même des modèles classiques. C’était quelque chose qui me faisait douter. Le livre de Gustav René Hocke, Le Maniérisme dans l’art européen, paru dans ces années, m’a permis de chercher d’autres sources, d’autres pères. Du point de vue formel, le Maniérisme n’a pas eu d’influence directe sur mon œuvre. Les thèmes abordés par ces créateurs étaient plus mythologiques que d’ordre religieux, mais c’était des œuvres très intimes. C’était à leur époque des formulations tout à fait inédites, inhabituelles. J’ai été attiré par ces acrobaties nouvelles. Je viens d’Allemagne de l’Est, et à Paris, où j’ai séjourné pour la première fois en 1960, malgré la destruction de toutes les vieilles formules picturales, par Chaissac, Fautrier, contre Picasso, tout paraissait petit. Les tableaux étaient petits, les cadres aussi. Cela me rendait très méfiant et je me disais qu’il fallait introduire quelque chose de plus archaïque. Aussi, je ne me suis jamais servi de cette élégance maniériste, de cette belle manière, mais j’ai plutôt travaillé comme un paysan.
Cette exposition est présentée alors que s’achève le Salon du dessin. Quelle est la place qu’occupe cette technique dans votre travail ?
Je n’ai pas trouvé de nouveau médium. J’ai pris ce qui existait, la peinture, le dessin, la gravure ou la sculpture. Le papier et le trait que l’on y porte sont la forme la plus prégnante, la plus immédiate pour formuler une création. Je peins ou je dessine, mais je n’effectue pas de dessin préparatoire pour mes peintures. D’habitude, si je dessine d’après une peinture, c’est pour réaliser une gravure. Mais je fais tout moi-même. Je ne délègue pas. Pour moi, c’est très important. Le fait de tout faire soi-même, de ne rien déléguer, permet de transmettre les traces les plus sensibles, les plus intimes qui, sinon, seraient perdues.
À côté des œuvres de Spranger, Juste de Juste, Rosso, etc., vous avez également une collection d’art africain. Quelle est votre position vis-à-vis de la convention Unidroit ?
C’est un problème exclusivement politique. De mon point de vue, l’art agit là où on peut le voir et non pas où il a été créé. Un Musée du Louvre qui ne comporterait que des toiles de peintres français ou parisiens serait extraordinairement ennuyeux. Une nouvelle république, un nouvel État, s’ils sont très puissants, peuvent toujours revendiquer un pied ou un nez. Mais il s’agit là d’un problème politique. C’est totalement éloigné de ce qu’est l’art. C’est même contradictoire. Je ne travaille pas pour mon pays, et aucun artiste ne le fait. On dit : “les chansons font le tour du monde”. Néanmoins, je continue à collectionner l’art africain mais un peu moins. J’ai commencé il y a trente ans, et parfois la passion se perd. Je ne me suis pas intéressé à l’art africain classique mais, sans en connaître précisément la raison, à l’art des morts chez les Bembé. J’ai essentiellement collectionné ces poupées en tissu, très fragiles et que j’ai essayé de réunir avec, je crois, de très bons résultats. Ce sont des divinités des ancêtres.
Un rapport sur le marché de l’art européen vient d’être rendu public par Tefaf. Il pointe notamment le droit de suite comme obstacle à son développement. En tant qu’artiste, êtes-vous favorable au droit de suite ?
On m’a demandé mon avis sur le droit de suite il y a vingt ans en Allemagne. Comme tous les artistes qui ont été interrogés à l’époque, j’étais contre. Mais le gouvernement l’a quand même introduit. Le droit de suite fait partie de contraintes multiples qui pèsent sur le marché de l’art, des restrictions qui sont pour la plupart d’ordre syndical. C’est pénible. Je ne trouve pas normal que l’artiste profite de la plus-value de ses travaux. L’artiste vend ses œuvres, son travail est payé et, après, les œuvres poursuivent leur vie. Comme d’autres artistes, je n’ai pas les moyens de racheter mes propres œuvres, parce qu’elles sont trop chères. Si un artiste travaille pendant vingt ans, sa cote connaît des hauts et des bas, un mouvement oscillatoire. Déjà, en 1960, Picasso vivait encore, mais il n’était pas du tout en vogue. Je trouvais cela ridicule.
Le fait que vous soyez originaire de l’Allemagne de l’Est, comme Polke ou Richter, a-t-il, selon vous, contribué à votre succès aux États-Unis ?
On peut toujours spéculer. Je me suis par exemple interrogé sur les changements à Paris depuis les années 1960. Pourquoi Paris n’est plus le centre du marché de l’art ? Cependant, c’est un fait établi que les artistes que vous citez ont du succès aux États-Unis. Mais, je ne travaille pas comme Richter ou Polke. Peut-être y a-t-il une raison : nous travaillons plus durement. Nous sommes très disciplinés. Je suis aujourd’hui enseignant dans une école des beaux-arts et mes étudiants disposent généralement d’un héritage, d’argent, qui leur assurent un avenir. Ma situation était complètement différente. Il fallait vraiment travailler. C’était aussi le cas de Polke, de Palermo, de Richter...
Une exposition vous a-t-elle particulièrement intéressé dernièrement ?
J’ai vu à Londres, à la Hayward Gallery, l’exposition “Spectacular Bodies”. C’est une exposition qui est proche de celle qui s’est tenue à Paris et qui s’est intéressée à la mort. À côté des gravures de Juste de Juste, des dessins de Léonard de Vinci, étaient présenté un grand nombre d’objets du Musée de Florence qui conserve des modèles d’anatomies. Il y avait des tableaux d’anatomies, à commencer par Rembrandt. J’ai trouvé que c’était une exposition bouleversante, parce que c’était de l’art, mais avec un rapport immédiat aux choses. L’art qui a un rapport concret aux choses, c’est important, comme le portrait, la représentation d’un métier, la décoration dans une église, Jésus-Christ, la Crucifixion... J’aime aussi les tableaux de bataille parce qu’ils représentent quelque chose de concret. Mais cela tourne toujours très mal lorsque les œuvres quittent le chemin de l’art et tournent à la propagande. À ce moment-là, elles se démasquent toutes seules.
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Georg Baselitz
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°146 du 5 avril 2002, avec le titre suivant : Georg Baselitz