Objets de musées, nombre d’œuvres dites primitives témoignent pourtant de cultures toujours vivantes, qu’il s’agisse de masques africains, de sculptures aborigènes d’Australie ou des créations amérindiennes. Autant de chefs-d’œuvre à découvrir dans plusieurs expositions, de Paris à Bruxelles.
Les récits des voyageurs arabes du Moyen Âge, précieuses sources pour les historiens, livrent parfois des informations inattendues. Ainsi, au XIVe siècle, le dénommé Ibn Batuta rapporte avoir vu au royaume du Mali des chanteurs et des acrobates porteurs de masques d’oiseaux, illustrant ainsi le caractère ancestral de ces pratiques, et plus particulièrement de la confection des masques. Pourtant, jusqu’à une époque récente, certains peuples ont ignoré ces accessoires, et des formes jugées immuables ne sont apparues que tardivement, parfois par imitation de peuples voisins. Chez les Bamana du Mali, les fameux cimiers-antilopes n’ont pas plus d’un siècle. À l’aide de ces masques, les membres d’une société masculine d’initiation, baptisée tyiwara, exécutaient des danses rituelles afin de rendre les terres plus fertiles.
Loin de témoigner de pratiques désuètes balayées sous l’influence de la civilisation occidentale, l’usage du masque reste assez répandu. Les Songyé orientaux, en République démocratique du Congo (ex-Zaïre), continuent par exemple de porter les masques bifwebe, du nom d’une de ces sociétés secrètes, avec un costume tressé et une longue barbe en raphia. Ils se produisent lors de diverses cérémonies, font la police pour le compte du pouvoir ou effrayent l’ennemi en cas de conflit. Comme chez les Songyé, le masque est presque toujours porté avec divers accessoires et n’est perçu qu’en mouvement. Aujourd’hui, dépouillé de tout élément hétérogène, il se présente dans une énigmatique nudité au visiteur occidental. Mais les recherches ethnographiques ont permis de montrer le rôle socio-culturel de chacune des pièces de la collection Barbier-Mueller présentées à la Fondation Mona Bismarck, dans des cérémonies, des danses, des sociétés secrètes, des croyances.
Sculpter les sons
La danse des masques s’accompagnait évidemment de musique, qui a elle-même suscité la création de véritables instruments-sculptures. Le Musée de la musique, à Paris, ménage avec “La parole du fleuve” une passionnante rencontre de l’art et de la musique, sous la forme de harpes d’Afrique centrale. Associée à la pirogue, car elle a été diffusée le long des fleuves, la harpe s’orne souvent d’une figure sur son manche. Allier les principes de l’acoustique à ceux de l’esthétique relève d’un tour de force, nécessitant la collaboration étroite entre l’artisan et le musicien – celui-ci cumulant les deux fonctions dans le cas des harpes Zandé –, alors que le fabricant du masque n’est jamais celui qui le porte. Le parcours de l’exposition épouse la marche est-ouest des fleuves courant vers l’océan et rassemble cent dix pièces, des Zandé aux Fang. Destinée à une musique plus intimiste que le tambour, la mélopée de la harpe accompagne plutôt des récits que des danses, car, si interprète et luthier ne font souvent qu’un, le harpiste se révèle aussi chanteur, conteur et poète.
Mémoire aborigène
La mise en scène du Mémorial aborigène, prêté au Musée olympique de Lausanne par la National Gallery of Australia, à Canberra, épouse également le cours d’un fleuve, et plus particulièrement celui de la Glyde River, au nord de l’Australie, dans la Terre d’Arnhem. En 1988, deux cents ans après les débuts de la colonisation de leur île, des artistes des clans de la région avaient conçu une œuvre plongeant dans les traditions aborigènes pour commémorer cet événement funeste. À la base de ce travail, il y a le dupun, un tronc de bois naturellement creusé par les termites dans lequel sont placés les ossements des défunts. Deux cents dupuns peints, un par année d’occupation, composent ce surprenant mémorial dans lequel les différents clans se côtoient, chacun avec son style mêlant motifs géométriques et zoomorphes.
À l’instar des Aborigènes, les Amérindiens eurent aussi à souffrir – c’est un euphémisme – de l’arrivée des Européens. L’image véhiculée par ces derniers a quelque peu occulté la prodigieuse diversité des peuples autochtones et l’inventivité de leurs artistes et artisans. Les six cents objets archéologiques et ethnographiques exposés au Musée du Cinquantenaire, à Bruxelles, en offrent un ambitieux panorama, embrassant dans un même élan Inuits et Iroquois, Comanches et Cheyennes, Apaches et Navajos. L’exposition mène le visiteur de l’arrivée des premiers autochtones, il y a 15 ou 20 000 ans, aux réserves d’aujourd’hui et à la difficile préservation de leur identité par les Amérindiens, ou plutôt les Premières Nations.
- L’AUTRE VISAGE - MASQUES AFRICAINS, 21 septembre-28 novembre, Fondation Mona Bismarck, 34 avenue de New York, 75116 Paris, tél. 01 47 23 38 88, tlj sauf lundi et jf 10h30-18h30, dimanche 14h-18h. Catalogue, éd. Adam Biro, 288 p., 280 F. - LA PAROLE DU FLEUVE, HARPES D’AFRIQUE CENTRALE, jusqu’au 17 octobre, Musée de la musique, 221 avenue Jean-Jaurès, 75019 Paris, tél. 01 44 84 45 45, du mardi au jeudi 12h-18h, vendredi-samedi 12h-19h30, dimanche 10h-18h, fermé le lundi. - LE MÉMORIAL, UN CHEF-D’ŒUVRE D’ART ABORIGÈNE, jusqu’au 31 octobre, Musée olympique, 1 quai d’Ouchy, Lausanne, tél. 41 21 621 65 11, tlj 9h-18h, jeudi 9h-20h. Catalogue, 145 p. - INDIAN SUMMER, LES PREMIÈRES NATIONS D’AMÉRIQUE DU NORD, 23 septembre-26 mars, Musée du Cinquantenaire, 10 parc du Cinquantenaire, Bruxelles, tél. 32 2 733 77 35, tlj sauf lundi 10h-17h, jeudi 10h-22h. Catalogue, 320 p., 890 FB. - Et aussi, ARTS DES MERS DU SUD, jusqu’au 15 octobre, Musée Barbier-Mueller, 10 rue Jean Calvin, Genève, tél. 41 22 312 02 70, tlj 11h-17h. Catalogue, éd. Adam Biro, 98 FS.
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Figures libres et imposées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°88 du 10 septembre 1999, avec le titre suivant : Figures libres et imposées