À l’École nationale supérieure de paysage de Versailles-Marseille on apprend désormais à ancrer la réflexion dans la réalité physique, écologique, géographique et humaine d’un territoire.
Versailles. Une nécessité s’impose : faire la ville autrement pour des raisons tant environnementales qu’économiques et sociales. Aujourd’hui, plus de 50 % de l’humanité réside dans un centre urbain et ce chiffre pourrait atteindre 60 % en 2050. Or la ville contribue de manière majeure aux émissions de gaz à effet de serre et doit donc réinventer son modèle de développement en repensant sa connexion à la Terre et à l’environnement dans ses multiples dimensions. Ainsi, de plus en plus souvent, le paysagiste est invité à intervenir dans l’espace urbain en articulant la nature, le vivant et les réalisations humaines à différentes échelles (grands territoires, communes, quartiers, parcs, jardins).
« Le paysagiste, comme l’architecte et l’urbaniste, travaille dans l’interdisciplinarité. Mais il compose son projet à partir des vides, l’architecte à partir des pleins. À travers l’espace ouvert, il questionne la lisière, le socle, les usages. Il est aussi dans le temps long, rétrospectif et prospectif, souligne Vincent Piveteau, directeur de l’École nationale supérieure de paysage (ENSP). Le paysagiste construit son projet par étapes, propose une maille, une trame. Il apporte aussi une philosophie du terrain vague. Du lieu en attente d’aménagement… ».
École de référence implantée à la fois à Versailles, sur le site du Potager du Roi, et à Marseille, l’ENSP accueille 400 étudiants dont environ 70 obtiennent chaque année le diplôme d’État de paysagiste (grade de master) [1]. Avec une pédagogie centrée sur le projet, l’école ancre la réflexion dans la réalité physique d’un territoire, ses dimensions écologiques, géographiques, humaines, et incite à la fabrication de la ville à partir des dynamiques du vivant. « Il n’y a jamais de solution générique ou simplement technique », pointe Marion Talagrand, paysagiste, urbaniste et enseignante à l’ENSP.
Favoriser l’émergence d’un nouveau type d’espace public
Benoît Barnoud, 30 ans, architecte-urbaniste, lassé du « tout-bâtiment », obtient son diplôme de paysagiste à l’issue d’une formation en apprentissage. « Longtemps l’urbaniste a pensé en priorité le plan des logements, en déduisait le gabarit global des bâtiments, puis l’agencement des bâtiments constituait le tissu urbain. Le paysagiste renverse l’approche et part de la géographie et de l’histoire du territoire. Le projet est envisagé comme un objet en perpétuelle transformation, non comme un objet fini. » Benoît Barnoud collabore désormais avec l’Agence Ter (Paris) pour le projet « Strasbourg Deux-Rives », vaste opération de reconquête des espaces du port à proximité du centre historique de la ville. Son ambition ? Faire coexister la ville et le port, développer une stratégie urbaine fondée sur le socle paysager existant avec ses canaux et ses darses, déployer un réseau de mobilité lente, favoriser l’émergence d’un nouveau type d’espace public à la fois sauvage et extensif, laissé à la libre appropriation des habitants. Bref, inventer un nouveau mode de vie…
Eugénie Denarnaud, 33 ans, après des études de cinéma et d’arabe, choisit l’ENSP pour « apprendre à décrypter le faisceau d’indices qui composent un paysage, qu’il soit urbain ou rural, à lire les différentes couches temporelles qui affleurent, à croiser topographie, géographie, géologie, agronomie, ethnographie, botanique, arts plastiques ». Aujourd’hui, la jeune paysagiste poursuit ses recherches sur Tanger dans le cadre d’une thèse en sciences et architecture du paysage et anthropologie autour d’espaces collectifs qu’elle dénomme « jardins pirates ». Alors que la ville a vu sa taille décupler en quinze ans en raison du puissant développement économique du nord du Maroc, ses habitants se sont approprié des terres arables au pied des immeubles pour les transformer en jardins informels, éphémères et mouvants, à la fois utopies réactives, jardins potagers et d’agrément. Pour Eugénie Denarnaud, ce sont avant tout des espaces de liberté où s’élabore la pensée de la ville de demain, « des lieux d’affirmation d’humanité, hors du temps », qu’il faut préserver.
Laure Thierrée, 38 ans, paysagiste, pensionnaire à l’Académie de France à Rome, estime pour sa part que « le paysage est au cœur du développement durable et d’enjeux sociaux et culturels majeurs ». Son projet, « Le paysage constructeur », concerne le « grand Rome » et prévoit la réalisation d’une cartographie de la matrice paysagère de la ville faisant apparaître ses nombreux espaces de campagne, délaissés, ainsi que la création d’un outil interactif permettant à chacun de consulter la carte, puis d’inventer toutes formes d’occupation citoyenne. « Je ne me considère pas comme une artiste, insiste Laure Thierrée. Je suis une paysagiste ! Je cherche à maîtriser le proche et le lointain. »
(1) 4 écoles publiques délivrent le diplôme d’État de paysagiste dont l’École nationale supérieure de paysage Versailles-Marseille (ministère de l’Agriculture) et les Écoles nationales supérieures d’architecture de Bordeaux et Lille (ministère de la Culture).
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Façonner la ville de demain avec le paysage
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : Façonner la ville de demain avec le paysage