PARIS
Le milieu de l’art s’est épris depuis la Documenta de Cassel de 2012 de cette poète et essayiste d’origine libanaise qui peint, depuis soixante ans, des toiles de petit format aux couleurs acidulées.
Paris. Son salon est rempli de tapis persans, de kilims et de souvenirs personnels dont une photo de son père, officier d’état-major de l’Empire ottoman qui fut le condisciple de Kemal Atatürk à l’école de guerre. Volubile, Etel Adnan parle avec une assurance tranquille et sans chercher ses mots, de poésie, de peinture et des guerres qui ont enflammé et enflamment encore le Moyen-Orient.
À 93 ans, elle a conservé cette forme d’impatience pleine d’énergie que ses proches lui ont toujours connue. À l’image de ses petits tableaux colorés résumant en quelques traits rythmés et aplats chromatiques la beauté physique du monde, celle des collines, des montagnes et des fleuves, Etel Adnan fait un avec l’univers. « Elle est toujours en osmose avec son environnement », souligne Simone Fattal, sa compagne, peintre, éditrice, sculptrice et céramiste. « Les peintures d’Etel jouent le rôle qui était celui des icônes pour les croyants. Elles dégagent de l’énergie et procurent de l’énergie. Elles opèrent comme des talismans », écrit cette dernière dans le petit livre qu’elle lui a consacré (Etel Adnan, la peinture comme énergie pure, L’Échoppe, 2016).
Il y a quelques mois, Etel Adnan a commencé à écrire ses Mémoires tout en continuant de publier des livres de poésie en anglais dont elle s’empresse, s’arrachant de son fauteuil, de nous montrer deux volumes récents. Night (éd. Nightboat Books, 2016), un recueil sur le thème de la nuit et de la mémoire, et Surgir, qui s’inspire d’Heidegger pour lequel la poésie était le sommet de la philosophie. « Heidegger voit l’être comme un surgissement. L’art est un sentiment de surgissement », souligne-t-elle avant d’ajouter : « J’ai une place dans la poésie américaine. Je connais presque tous les grands poètes vivants d’outre-Atlantique. Ils viennent me voir quand ils sont de passage à Paris.»
Cette artiste est aussi une militante pour la paix. Elle a longtemps lutté contre la guerre du Vietnam et en faveur de la cause palestinienne, dans des livres et dans les colonnes de journaux libanais francophones. « Depuis la guerre civile libanaise, je suis devenue pacifiste. Les guerres que l’on mène ne font que préparer d’autres guerres. Il faut trouver d’autres réponses plutôt que de foncer dans le mur tête baissée, se battre autrement. Gandhi nous a montré la voie. La réponse est à chercher également du côté de l’éducation. »
Artiste polyvalente, Etel Adnan est l’auteure d’une œuvre protéiforme et foisonnante : recueils de poèmes, romans, essais, et pièces de théâtre. Depuis soixante ans, elle peint, dessine et exécute des cartons de tapisserie, en bon artisan.
Le monde est son jardin. Enfant, elle parlait grec avec sa mère, originaire de Smyrne, et turc avec son père, grand amateur de thé et de tapis persans, né à Damas en Syrie. Fille unique solitaire, fascinée par la mer, la nature et les grands horizons, elle dessinait des cartes et parlait aux fleurs. À l’âge adulte, elle a appris le français à Paris puis l’anglais à Harvard et à Berkeley tout en étudiant la philosophie – la philosophie de l’art en particulier – qu’elle enseigna, de 1958 à 1972, à l’Université, au nord de la baie de San Francisco. C’est ici, en Californie, qu’est née sa vocation de peintre. Ses premières toiles – abstraites – inspirées de Nicolas de Staël se composent de carrés, souvent rouges, flottant sur un fond coloré. Par la suite, ses paysages, exécutés de manière énergique, sans repentir et en une seule séance, tendront résolument vers une forme de figuration.
Le mont Tamalpaïs, montagne sacrée pyramidale de 752 mètres de haut, plantée au nord de San Francisco et surplombant le Pacifique, devient son sujet de prédilection qu’elle décline à l’huile, à l’aquarelle ou à l’encre. « Elle devint ma compagne », note Etel Adnan en évoquant sa « Sainte-Victoire » dont elle s’attache à observer, derrière la baie vitrée de son appartement de Sausalito, les changements permanents au fil des jours. Quelques années plus tard, de retour au Liban, elle représentera le mont Sannine, l’une des plus hautes montagnes du pays du cèdre.
Ses toiles de petit format aux couleurs acidulées, sobres et laconiques, résumant d’immenses paysages sur une surface réduite, témoignent de sa joie de vivre et de son regard émerveillé sur la vie. « Il y a une dimension panthéiste dans sa peinture comme dans ses écrits », observe Jean Frémon, le président de la Galerie Lelong & Cie qui la représente depuis quelques années.
Etel Adnan a connu le succès avec ses écrits bien avant d’être encensée pour sa peinture. Avec son roman Sitt Marie-Rose, publié en 1978 et devenu un classique de la littérature de guerre, puis avec L’Apocalypse arabe (1980, éd. Papyrus) qui l’a révélée comme l’un des plus importants écrivains engagés. Ce n’est qu’en 2012, à l’âge de 87 ans, lors de la Documenta de Cassel en Allemagne, que le milieu de l’art a découvert, enthousiaste, son œuvre rayonnante et optimiste. « Heureusement que le succès est arrivé sur le tard. Cela peut être angoissant de réussir trop tôt, insiste-elle. Cela m’a laissé le temps de travailler. J’ai beaucoup écrit et beaucoup voyagé. Il y a toujours eu auparavant des personnes qui ont aimé mon travail comme cet ancien directeur du musée de San Francisco qui avait accroché un de mes tableaux dans son bureau. » Depuis, les expositions se sont enchaînées, notamment à la White Cube Gallery et aux Serpentine Galleries à Londres, au Whitney à New York, à l’Institut du monde arabe à Paris, puis, cet automne-hiver, au San Francisco Museum of Modern Art.
« Quand tout m’ennuie, je vais peindre. C’est la seule chose qui me procure de la joie dans ces moments-là », relève l’artiste qui s’est attelée, cet automne, à peindre une série de petits tondi figurant des oliviers. « J’adore cet arbre. Je n’ai jamais pu avoir de jardin d’oliviers. Avoue qu’ils sont beaux ! », lance-t-elle, l’air espiègle, à son marchand, en lui dévoilant, l’une après l’autre, ses toutes dernières toiles.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Etel Adnan, écrivaine puis artiste à succès
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°513 du 14 décembre 2018, avec le titre suivant : Etel Adnan Écrivaine puis artiste à succès