Le 23 octobre sera remis pour la dixième fois le Prix Marcel Duchamp dans le cadre de la FIAC, à Paris n Qui succédera à Saâdane Afif, lauréat en 2009 ?
Solidement installé dans le paysage parisien, le Prix Marcel Duchamp célèbre cette année sa dixième édition, avec une parité homme-femme strictement respectée. Comme il est d’usage, les quatre candidats sélectionnés – Céleste Boursier-Mougenot, Cyprien Gaillard, Camille Henrot et Anne-Marie Schneider – présenteront leurs projets inédits dans le cadre de la FIAC, à la Cour carrée du Louvre. Le nom du lauréat, qui bénéficiera d’une exposition personnelle au Centre Pompidou, à Paris, en juin 2011, sera révélé le samedi 23 octobre à 11 heures.
Céleste Boursier-Mougenot
Avec ses installations, Céleste Boursier-Mougenot fait un peu figure d’enchanteur, de ceux qui créent des surprises tout en donnant le sentiment de produire beaucoup avec peu, même lorsque le dispositif mis en œuvre se révèle complexe. Qui ne se souvient de cette vaisselle produisant une musicalité ténue lors de son entrechoquement sur l’eau d’une piscine ? De ces oiseaux composant des sons en voletant au sein d’un assemblage de cintres métalliques ou en se posant sur des guitares électriques (From Here to Ear, 1999-2008) ? Ou encore de ces aspirateurs jouant de l’harmonica en fonction de ce qu’ils détectent de leur environnement (Harmonichaos, 2000-2006) ? Depuis toujours, l’artiste s’intéresse à l’examen, dans leur déplacement et comportement, des capacités d’autonomie des composantes de l’œuvre d’art, qui par l’action ou le mouvement qu’elles génèrent donnent à celle-ci substance, nature et teneur. C’est la traduction d’un projet de recherche au long cours, sur lequel il travaille depuis deux ans déjà, que propose l’artiste au Prix Marcel Duchamp. Avec Transhumance, Céleste Boursier-Mougenot s’attelle à la transposition de procédés de composition musicale – élaborés dans le cadre de travaux antérieurs – au déplacement silencieux de quatre végétaux dans l’espace d’exposition. Pilotée grâce à un réseau de capteurs reliés à un ordinateur, et donc nullement déterminée précisément, la déambulation des plantes adopte un caractère aléatoire et d’autant plus poétique qu’elle impose la surprise sans s’imposer de parcours prédéfini. Tout en faisant, au final, abstraction de la très technique « machinerie » qui lui donne corps. Cette installation constitue, en outre, une réflexion sur les mouvements d’hybridation dans le monde contemporain, qui tendent à se généraliser en atteignant toujours plus de domaines. De même que sont métaphoriquement abordées ici les problématiques posées par une mobilité croissante mais de plus en plus automatisée, alors qu’encadrement et surveillance des déplacements deviennent toujours plus aigus et poussés.
Cyprien Gaillard
Cyprien Gaillard serait-il un nouvel Hubert Robert ? Depuis quelques années déjà, l’artiste, qui voit du « sublime » dans l’esthétique de la destruction, s’emploie à une réflexion sur la nature du paysage, à travers l’examen de la ruine notamment. À l’instar de son illustre aîné, il est interpellé par le caractère romantique de ces motifs perdus dans une temporalité élargie, de même que le caractère documentaire qui naît de ses explorations ne le laisse pas indifférent. Entre films ou photographies donnant à voir des destructions de barres d’immeubles ou des tas de gravats, des assemblages de clichés Polaroid figurant des édifices anciens et modernes regroupés selon des caractéristiques visuelles ou géologiques (Geographical Analogies), c’est sur la fragilité de la construction que se focalise l’artiste, dont les questionnements prennent forme dans une esthétique léchée et séduisante, souvent empreinte d’une touche de nostalgie romantique propre à ravir l’œil. Chez Cyprien Gaillard, l’intérêt exprimé pour la ruine et le caractère anthropique se traduit notamment par un recyclage des formes et des symboles. Ainsi cette allée menant au château d’Oiron s’est-elle vue recouverte de gravats de béton provenant de la destruction d’une tour d’habitation d’Issy-les-Moulineaux. Questionner la place de l’homme dans la nature et dans son environnement urbain, interroger l’interaction entre nature et architecture, reconsidérer la place de la ruine dans le monde contemporain, apparaissent ici comme autant de problématiques évoquant en des termes proches les préoccupations d’un Robert Smithson dans les années 1960. Par-delà, c’est à une réflexion sur le passage du temps, les transformations et/ou mouvements d’aller-retour qu’il induit que se penche l’artiste. Sa contribution publiée en 2009 dans le magazine Artforum ne s’intitulait-elle pas « Relocaliser le passé » ? Le projet de Cyprien Gaillard, pour le Prix Marcel Duchamp, reste nimbé du plus grand mystère…
Camille Henrot
À travers film et objets sculpturaux, le travail de Camille Henrot se déplace entre observation et élargissement du point de vue. L’observation ? Celle du passé, des contextes culturels éloignés, sans cesse entretenue par un goût prononcé pour l’histoire de l’art, l’histoire des formes ou l’anthropologie. L’élargissement du point de vue ? Celui porté sur les domaines précédemment mentionnés, grâce notamment à des créations qui ne rechignent pas à entrer en résistance, à attiser certaines tensions avec l’objet premier de… l’observation ! L’intérêt porté par l’artiste à la mémoire et au passé tient pour beaucoup dans une curiosité sans relâche, qui la voit se comporter telle un détective à la recherche d’indices pouvant éclairer notre rapport à la forme ou à l’image. L’hybridation à laquelle sont soumis les objets passés entre ses mains, outre qu’elle se pose telle une source de croisements et de rencontres, convoque en effet le doute et remet en cause les réflexes de lecture et la structure de pensée qui contraignent le regard et sa capacité d’appréhension des choses. En l’extrapolant, Camille Henrot tente de révéler la part de l’ombre, non sans une évidente dimension interprétative, qui n’est pas non plus sans pointer la possibilité du malentendu dans la réception. Ce que ne renie pas une conception de la culture comme mécanisme de traduction critiquant la notion d’authenticité, à laquelle l’artiste tente de répondre en examinant les possibilités de traduction d’une culture par une autre. Dans le cadre du Prix Marcel Duchamp, l’artiste propose un projet en binôme où se font face film et sculpture : opposés dans leur nature – l’un est fragile et immatériel quand l’autre impose l’aspect d’une matérialité pérenne –, les deux médias sont alliés dans une même tentative de vaincre le temps en entretenant la conservation, si ce n’est la survie, des formes. Tout à son goût pour les figures archétypales, Camille Henrot convoque ici celle de la chute, en tentant de décortiquer comment la forme culturelle d’un rituel océanien, mettant en scène la chute, a pu être réinterprété par l’industrie occidentale des loisirs.
Anne-Marie Schneider
Chez Anne-Marie Schneider, c’est en premier lieu l’intime qui saute au visage. Pas forcément le sien, mais celui de quiconque accepte de se projeter dans ses compositions morcelées, ces assemblages de feuilles – traitées au fusain, à l’encre, à l’aquarelle, à la gouache… – ou de toiles peintes à l’acrylique, de petits formats toujours, qui contribuent à renforcer une certaine proximité avec le regardeur. L’enfance et l’évocation des histoires qui la peuplent et l’animent, les tensions de l’adolescence, l’émergence de l’âge adulte, la relation à l’autre… Par petites touches juxtaposées, l’artiste laisse entrevoir des bribes de récits qui jamais ne s’achèvent, des fragments de narrations qui jamais ne convergent vers un tout, déniant ainsi tout caractère explicite. Joliment, l’artiste affirme d’ailleurs que « [s]es dessins sont des lettres flottantes sur […] la page blanche » ; une manière efficace de s’engager sur la voie d’une jonction entre réalité sociale et réalité onirique, entre mondes extérieur et intérieur. Son œuvre récente, telles les pièces présentées pour le Prix Marcel Duchamp, fait la part belle au corps à travers l’exposition de fragments et de détails qui acquièrent une présence visuellement différente, si ce n’est nouvelle, dans son travail. Dans la juxtaposition des éléments, et dans leur répétition parfois, surgissent l’univers de l’enfance et la complexité d’appréhender le monde, par le biais du double et de la rencontre notamment. Avec des gammes chromatiques restreintes, le travail se voit moins graphique que par le passé, de par l’usage en particulier d’un mélange devenu récurrent de gouache et d’encre déposé en aplats plus ou moins monochromes. Sa manière actuelle se fait à l’inverse plus picturale, tant sur la feuille que sur la toile, nouvellement apparue dans son vocabulaire, et que l’artiste convoque en diptyques ou en triptyques énigmatiques, donnant ainsi au corps une nouvelle présence. Toujours fragile, et bien que plastiquement achevée, l’œuvre d’Anne-Marie Schneider abandonne subtilement ses ingrédients en une suspension qui entretient l’attente… quant à une possible conclusion qui ne viendra jamais.
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Et de dix !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°332 du 8 octobre 2010, avec le titre suivant : Et de dix !