L’année 2011 aura été marquée par une pluie de records en matière de fréquentation des grands musées parisiens. L’universitaire François Mairesse analyse ce phénomène.
L'oeil : Comment interprétez-vous cette série de records enregistrés par les musées ?
François Mairesse : La France est le pays qui a le plus investi en matière de musées, notamment dans la capitale, ce qui est aujourd’hui un atout majeur en termes d’industrie touristique. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la France est la première destination touristique mondiale. Mais il faut, à mon sens, également établir une corrélation entre ces chiffres et la mise en place de politiques tarifaires nouvelles, notamment la gratuité, qui a été instaurée dans certains établissements, comme ceux de la Ville de Paris, qui affichent eux aussi un pic de fréquentation. Cela démontre qu’en période de crise, réfléchir à une politique tarifaire adaptée, c’est-à-dire modérée, constitue aussi un vecteur d’attractivité pour les musées. Le tarif du Louvre (10 euros) reste assez raisonnable en regard de celui d’autres grands musées étrangers, mais aussi de certains grands parcs d’attractions et même du cinéma. Les familles peuvent donc envisager la sortie au musée comme un loisir abordable.
L’œil : Cela signifie-t-il que le musée est un refuge en temps de crise ?
F. M. : Il est sûr que cette hausse de fréquentation n’est pas due uniquement aux touristes, même s’ils sont nombreux dans les musées. Mais dans ce contexte, il faut aussi relever une autre tendance lourde : les grands musées deviennent de plus en plus grands. Ces musées « superstars » se détachent des autres. Ils ne sont qu’une cinquantaine dans le monde, dont certains en France, mais s’inscrivent aussi dans une logique différente : celle d’oligopoles qui dominent un secteur.
L’œil : Dans ce contexte, le musée devient-il davantage un lieu de loisir que de culture ?
F. M. : En tout état de cause, il est, et cela depuis le XIXe siècle, considéré comme un lieu de sortie. Mais il n’est pas impossible que se développe aujourd’hui une attitude plus proche des loisirs, qui entraîne le développement d’un certain nombre de comportements et parfois même une montée des incivilités.
L’œil : Finalement, le tourisme n’érode-t-il pas aussi les musées ?
F. M. : Le tourisme érode le musée dès lors que se développe une pratique de consommation du musée. S’il existe encore des « pèlerins » qui s’y rendent par amour de l’art, et n’abîment pas le musée, la consommation culturelle peut être partiellement nuisible. Elle implique aussi une gestion complexe et coûteuse, qui est loin d’être financée par le seul biais des billets d’entrée.
L’œil : Pour soutenir cette tendance, faut-il donc continuer à investir dans les musées ?
F. M. : Il faut faire attention, car il existe quand même une certaine saturation, cela alors que la demande ne pourra pas augmenter indéfiniment. L’euphorie n’est donc pas de mise. Pour l’instant, cette fréquentation s’inscrit dans le cadre d’un fort développement du tourisme, avec l’arrivée de visiteurs venant de pays très peuplés qui deviennent plus riches. À titre d’exemple, les Brésiliens, qui ont aujourd’hui un fort pouvoir d’achat, représentent la deuxième population touristique étrangère du Louvre. Mais un jour où l’autre, le musée peut passer de mode. Il faut donc rester vigilant, d’autant que de nombreux établissements sont aujourd’hui précarisés. Ces records ne sont donc pas un signe de victoire pour les musées.
UNE PLUIE DE RECORDS
Si le Louvre reste en tête en 2011 avec 8,8 millions de visiteurs, Versailles en annonce pour sa part plus de 6 millions. Loin devant le Centre Pompidou (3,6 millions), qui connaît pourtant une hausse, Orsay (2,9 millions) ou encore le Musée du quai Branly (1,3 million).
27 MILLIONS
C’est le nombre total de visiteurs des musées français en 2011, soit une hausse de 5,5 % par rapport à 2010. Cette hausse atteint 5,5 % dans les monuments nationaux, soit 9 millions de visiteurs, dont 80 % de touristes.
« La gratuité est une excellente chose, mais le principal problème n’est pas la hausse de fréquentation des musées. Il faut savoir quels sont les publics que l’on souhaite toucher.»
Henri Loyrette, président du Louvre, dans Le Journal des Arts, le 29 juin 2001, quelques mois après sa prise de fonction.
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Entretien : François Mairesse
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Abonnez-vous dès 1 €François Mairesse enseigne l’économie de la culture et la muséologie à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris III.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°643 du 1 février 2012, avec le titre suivant : Entretien : François Mairesse