Pionnière de l’industrie de la mode, Eleanor Lambert, aujourd’hui âgée de quatre-vingt-dix-sept ans, a joué un rôle essentiel dans la création de plusieurs grandes institutions new-yorkaises. Elle a non seulement promu le costume au rang de pièce de musée, mais a aussi travaillé au lancement du Metropolitan Museum of Arts Costume Institute. Elle évoque son parcours jalonné de grandes rencontres.
Dans le monde de l’art et de la mode, Eleanor Lambert est une figure légendaire. Selon Harold Koda, conservateur du Metropolitan Museum of Arts Costume Institute, “elle a perçu le rapport existant entre l’art et la mode. Encore aujourd’hui, elle reçoit des appels du monde entier et continue de mettre les gens en contact”. En effet, ses relations avec les fondateurs, directeurs, conservateurs et artistes lui ont permis de soutenir la création d’institutions new-yorkaises telles que le Whitney Museum of Art, le MoMa ou la Art Dealers Association of America (Associations des marchands d’art d’Amérique). De plus, elle a beaucoup œuvré pour la promotion de “Save Venice”. Selon Beatrice Guthrie, ancienne directrice et membre du bureau de US Charity, chargé de la restauration de monuments à Venise, Eleanor Lambert leur “a véritablement permis d’acquérir une renommée internationale”. Nous avons rencontré cette native de l’Indiana, désormais âgée de quatre-vingt-dix-sept ans, autrefois étudiante au Chicago Art Institute et toujours à la tête de son agence, Eleanor Lambert Ltd, au cœur de Manhattan.
Comment êtes-vous arrivée dans le milieu de l’art ?
L’art a été la grande idée du siècle et je m’y suis intéressée avec passion. À mon arrivée à New York, en 1932, j’ai travaillé à mi-temps chez Breath of Avenue, un fabricant de papier peint à la mode, qui me versait le confortable salaire de dix dollars par semaine. Le reste du temps, je secondais Franklin Spear, un agent littéraire. Il était souvent en contact avec des personnaliltés célèbres tels Mary Pickford et Douglas Fairbanks afin d’obtenir leur avis sur ses publications. Dans le monde des arts plastiques, personne ne jouait ce rôle et j’ai voulu apporter aux artistes la même présence dans la presse que les vedettes de cinéma. Franklin Spear m’y a encouragée. J’ai donc rendu visite à une dizaine de galeries de la 57e rue, et leur ai proposé de la publicité pour dix dollars par semaine. Je n’avais aucun concurrent et tous les marchands ont accepté mes conditions.
Avez-vous participé à la création du Whitney Museum of Art ?
Gertrude Vanderbilt Whitney avait une collection d’art moderne de plus de cinq cents pièces, comprenant des œuvres de George Bellows, Edward Hopper et Maurice Prendergast. En 1929, elle a proposé une donation au Metropolitan Museum of Art. Lorsque l’institution a refusé, elle a décidé, deux ans plus tard, d’ouvrir, à Greenwich Village, un musée uniquement dédié à l’art américain. Ce nouveau lieu a aussitôt remporté un grand succès. Ce n’est qu’en 1954 qu’il a déménagé sur la 54e rue. La première directrice, Julian Force, a choisi comme commissaires d’exposition des artistes tels que Edmund Archer, Karl Free et Herman More. Ma participation à cette aventure s’explique, en partie, par mon patriotisme. Pendant la guerre, j’ai aidé Mary Lasker, philanthrope et collectionneuse, ainsi que plusieurs femmes de notoriété, à organiser une exposition qui rapporterait des fonds. Nous avons persuadé plusieurs galeries, dont Wildenstein et Knœdler, de nous prêter certaines de leurs plus belles pièces. L’événement a atteint l’ampleur de l’Armory Show.
Vous avez représenté de grands artistes : George Bellows, Jackson Pollock, Thomas Hart Benton et Isamu Noguchi.
J’ai été fascinée par Jackson Pollock lorsque je l’ai vu créer l’un de ses drippings. J’ai réuni quelques amies, Rosamund Pilcher et Clare Booth, et je leur ai demandé de faire quelques commandes à Isamu Noguchi. Il a réalisé deux bustes pour moi, l’un en plâtre et l’autre en bois. Je l’ai payé 150 dollars. Des années après, je lui ai demandé s’il pouvait m’en faire un bronze, mais cette période de son travail ne l’intéressait plus.
Comment avez-vous introduit la mode dans les musées ?
En 1937, Irene Lewisohn, qui travaillait dans l’industrie de la mode, a laissé une collection de costumes anciens de grand intérêt. Certains de ses amis ont jugé indispensable de les conserver. Nous avons trouvé une salle chez Saks, sur la 5e Avenue. Puis, nous avons pensé que le Metropolitan pourrait consacrer une aile à ces costumes, comme il l’avait fait pour les meubles. Ainsi, il nous a proposé de recueillir des fonds pour construire l’aile en question. Il a chiffré le coût à 125 000 dollars, mais nous en avons réuni 315 000. Le musée nous a traitées en professionnelles, nous permettant de suivre chaque étape du projet dont l’architecte était Edward Durell Stone. Mais l’entreprise n’a pas progressé comme nous le voulions. Nous nous trouvions au sous-sol et la moitié de l’espace a été attribuée à la cantine des employés. Cela a fait un beau scandale. En 1959, l’Institut est devenu un département du musée à part entière. Grâce à ses expositions, Diana Vreeland, éditrice de Vogue, a attiré de nombreux spectateurs. Pour “La Gloire du costume russe”, elle avait choisi la robe de dentelle que portait l’impératrice Catherine au moment de son assassinat. Maintenant, l’Institut du costume réunit dans son conseil d’administration des créateurs de renom tells Bill Blass, Donna Karan, Calvin Klein, Ralph Lauren, etc.
Vous avez participé à la renommée de “Save Venice”. Où en sont les projets de restauration ?
Nous avons pour l’instant distribué 12 millions de dollars (87 millions de francs) pour la restauration d’une centaine de projets dont les plus importants sont la façade de la Scuola Grande di San Marco et une chapelle de San Pietro di Castello. Mais quoi que nous fassions, la cité est en péril.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Eleanor Lambert, la pionnière
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°127 du 11 mai 2001, avec le titre suivant : Eleanor Lambert, la pionnière