Unesco

Diversité culturelle : les États-Unis K.O.

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 18 novembre 2005 - 768 mots

Malgré les menaces des Américains, l’Unesco a adopté la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, le 20 octobre à Paris.

 PARIS - Ils auront tout essayé : lettre de pression adressée par la secrétaire d’État, Condoleezza Rice, à ses homologues ministres des Affaires étrangères, menaces de retrait de l’institution internationale, refus de voter un budget pour lequel ils contribuent à hauteur de 22 %, multiplication des amendements (28 au total)… Mais leurs gesticulations auront été vaines. Par 148 votes favorables sur les 154 pays représentés, contre quatre abstentions (Australie, Nicaragua, Honduras et Liberia) et deux votes négatifs (États-Unis et Israël), l’Organisation des Nations unies pour l’éducation et la culture (Unesco), réunie à Paris dans le cadre de sa 33e Conférence générale, a tranché en faveur de ce texte d’une trentaine d’articles qui entérine la reconnaissance juridique de la singularité des biens culturels. Y sont affirmés quelques principes fondamentaux : reconnaissance de la nature spécifique des activités culturelles, réaffirmation du principe de souveraineté des États en matière de politique culturelle, non-subordination de la convention aux autres traités internationaux, soutien aux industries culturelles des pays en voie de développement.
Portée par la France et le Canada, l’adoption de cette Convention aura été menée tambour battant, en deux ans, quand certains documents normatifs mettent plus de dix ans à voir le jour. Si le processus a été introduit en 2003 auprès de l’Unesco, son origine remonte à l’époque où la France bataillait pour préserver son « exception culturelle » en matière d’audiovisuel et de cinéma, lors des négociations de l’accord général sur les tarifs douaniers (GATT) en phase finale du cycle de l’Uruguay (1993). Depuis, il s’agissait de préserver ce statu quo. Rejoints par le Canada sur le principe plus rassembleur de « diversité culturelle », les Français appelaient en 2002 à Johannesburg, par la voix du président Jacques Chirac, à l’établissement d’une convention internationale posant le principe en termes juridiques. Habilement, le ministre de la Culture de l’époque, Jean-Jacques Aillagon, incitait en parallèle l’Union européenne (UE) à parler à l’unisson. Ce choix s’est révélé stratégique à l’heure d’une présidence tournante de l’UE aux mains des Britanniques, contraints de jouer le jeu contre les États-Unis.

Vin et café compris
Revenus au sein de l’Unesco après vingt années d’absence, ces derniers ont tenté de nuire au processus. « Les Américains ont exaspéré tout le monde, ils ont été maladroits et excessifs et sont apparus très arbitraires sur un sujet qui attire a priori la sympathie », note Pascal Rogard, directeur général de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) et président de la Coalition française pour la diversité culturelle, qui réunit cinquante et une organisations professionnelles. Lors des débats de la Conférence générale, Louise Oliver, la représentante de Washington, a tenté un dernier baroud d’honneur, semant le trouble chez les Australiens et les Japonais. « Nous étions très impatients de participer à ce processus, a-t-elle lancé à l’assemblée lors de l’examen en commission, mais la rapidité a prévalu sur la qualité et le consensus. La porte a été fermée à la négociation et nous sommes restés sur le seuil à frapper à la porte. » Selon Louise Oliver, le texte constituerait une menace contre les cultures minoritaires et la libre circulation de l’information, mais surtout, l’absence d’une définition de la notion de diversité culturelle permettrait de faire passer pour des biens culturels des produits agricoles porteurs d’identité, tel le vin français ou le café de Colombie. « Cet argument n’a aucun fondement, rétorque le conseiller d’État Jean Musitelli, l’un des quinze rédacteurs du texte. Les Américains n’ont vraisemblablement pas lu le texte. Plusieurs articles donnent une série de définitions. Il est évident que nous ne sommes pas dans un contexte académique mais plutôt opérationnel : nous avons cherché à créer des mécanismes utiles ciblés sur le lien entre culture et commerce afin d’avoir un véritable impact à l’OMC. »

Ratification
Pour entrer en vigueur, le texte devra désormais être ratifié par trente États. « Nous n’avons aucun doute sur la ratification, indique Pascal Rogard. Vis-à-vis de leur opinion publique, les États pourront difficilement reculer après un vote favorable à l’Unesco. Mais le combat n’est pas fini : il faut qu’un maximum d’États ratifient la Convention pour conforter son poids médiatique et politique. » Si la guerre n’est donc pas encore gagnée, cette manche constitue un indéniable succès diplomatique pour le Canada et la France. Mais aussi pour l’Unesco, laquelle – au grand dam des Américains qui pariaient sur l’atonie de sa bureaucratie – retrouve un peu de son lustre en s’imposant face à l’OMC.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°225 du 18 novembre 2005, avec le titre suivant : Diversité culturelle : les États-Unis K.O.

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