PARIS
L’autonomisation des musées nationaux a complexifié le rôle des syndicats, lesquels cherchent encore leur place. Ils parviennent à mobiliser leurs troupes sur des revendications spécifiques.
La révélation par voie de presse que des réflexions étaient menées au ministère de la Culture pour l’ouverture sept jours sur sept des musées du Louvre, d’Orsay et du château de Versailles sans que les représentants syndicaux n’en aient été informés au préalable a fait l’effet d’une douche froide le 24 juillet dernier au sein des confédérations. Dans un long communiqué intitulé « Et le Président créa le 7e jour des musées », la CGT-Culture déplorait que François Hollande, qualifié de « champion du dialogue social » par le syndicat, n’ait pas pris contact avec les personnels et leurs représentants pour les informer de sa réflexion aux allures de décision. Depuis, d’un établissement à un autre, la procédure de concertation diffère. Lors d’un comité technique organisé le 19 novembre, réunissant représentants syndicaux et administration, Jean-Luc Martinez, président-directeur du Louvre, a présenté les résultats du premier volet de l’enquête menée sur l’impact en charge de travail de l’ouverture sept jours sur sept sur les différents départements et directions du musée. Un second volet est prévu, consacré à ses conséquences en termes de budget et d’effectifs.
Les comités techniques
Du côté d’Orsay, où la mesure ne doit s’appliquer qu’en 2016, l’administration a choisi pour l’instant, en dépit de la demande des représentants syndicaux du musée, de différer le débat. Au château de Versailles, la prudence est de rigueur dans les discussions, de même qu’au ministère de la Culture où le sujet n’a pas été mis à l’ordre du jour du comité technique ministériel du 14 novembre. « Pas davantage qu’à celui du 17 octobre au cours duquel on a parlé pendant trois heures de la réforme territoriale pour dire qu’il n’y avait pas d’information », souligne Michèle Ducret, secrétaire générale de la CFDT-Culture. Et Frédéric Maguet, secrétaire général du SNAC-FSU [Syndicat national des affaires culturelles-Fédération syndicale unitaire], de noter : « Conseil d’administration ou comité technique : la question du “pourquoi” est quoi qu’il en soit systématiquement évacuée pour traiter du “comment”. Ce qui n’est pas suffisant. Le projet du MuCEM [Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille] n’a jamais pu par exemple être abordé sur sa réelle opportunité scientifique et politique. Il s’agissait uniquement de mettre la chose en musique. Il en va de même pour le déménagement des réserves du Louvre à Lens [Pas-de-Calais]. Ce n’est pas parce que le sujet est passé deux fois au conseil d’administration du Louvre qu’il y a eu concertation, malgré le changement d’envergure du projet. »
Cécilia Rapine, secrétaire générale adjointe de la CFDT-Culture, constate de son côté : « En termes de travail syndical, la période 2007-2014 a été un long chemin de croix. Nous sommes aujourd’hui davantage écoutés dans les comités d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) où nous arrivons à faire avancer les choses, que dans les comités techniques et les conseils d’administration. » De fait, la rénovation du dialogue social entamée sous la présidence de Nicolas Sarkozy a entraîné des changements importants dans les comités techniques, non sans conséquence sur la qualité du dialogue social. Les instances ne sont plus paritaires. Les représentants de l’administration se réduisent désormais à trois ou quatre personnes, parmi lesquelles le chef de l’établissement, qui se retrouvent face à tous les représentants syndicaux, seuls à voter pour ou contre ce qui leur est proposé. « Ce qui fait perdre le sens du dialogue », remarque Franck Guillaumet, secrétaire adjoint de la CGT-Culture. « On peut voter “contre” dix fois, ils nous écoutent car ils n’ont pas le choix, mais ils ne modifieront pas leur décision », ajoute Frédéric Sorbier, secrétaire de la CGT-Culture au Musée d’Orsay.
Gouvernances éclatées
La multiplication et la montée en puissance des musées devenus établissement public, ou constitués dès leur création sous ce statut tels le Centre Pompidou, le Musée du quai Branly ou le MuCEM, a tout autant complexifié les actions syndicales dans la gouvernance des musées que le paysage syndical. « Les gouvernances éclatées ont conduit à des sociologies de personnels différentes d’un établissement à un autre », relève Frédéric Maguet. La décision du Quai Branly de sous-traiter à une société extérieure l’accueil, le nettoyage et la sécurité induit, de la part de ses personnels, des rapports à l’établissement différents de ceux que connaissent Orsay ou le Centre Pompidou. Idem pour le MuCEM où le syndicalisme ne dispose pas de la même base que le Musée du Louvre. Il est à Marseille plus un syndicalisme d’agents de maîtrise, de cadres parfois de contractuels qu’un syndicalisme centré sur les questions d’accueil, de surveillance et de médiation, ici assurées par des sociétés extérieures.
Le poids des syndicats dans les commissions administratives paritaires (CAP) chargées des carrières individuelles des agents et propres à chaque corps de métier s’est également déplacé avec la montée en puissance des établissements publics, dotés d’une autonomie en matière d’emploi. Au CAP des conservateurs de musées par exemple, les représentants syndicaux peuvent désormais se retrouver dans des séances où un dossier sur deux a été retiré de l’ordre du jour, un bon tiers du corps des conservateurs étant aujourd’hui employé en dehors du ministère de la Culture, la plupart des membres des deux autres tiers relevant des établissements publics. Les possibilités d’actions au sein des CAP ont ainsi glissé progressivement vers les comités d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail et les comités techniques.
Les divers coûts des conflits
Face à ces glissements de cadres et d’actions du dialogue social, il ne faudrait pas pour autant en conclure à la réduction de la place et du rôle des syndicats dans la gouvernance des musées ; ce serait oublier l’impact de leurs communiqués, prises de parole ou actions. Les directions des musées connaissent les conséquences de ces interventions sur l’image de leur institution ou de leur président. Certes, le taux de syndicalisation enregistré au ministère de la Culture, estimé entre 6 et 8 % (aucune donnée n’existe pour les musées), est faible, même s’il rejoint celui enregistré dans les autres secteurs au niveau national, faisant de la France le moins syndiqué des pays de l’OCDE. Il n’en demeure pas moins que la prudence est de rigueur dans les institutions quand il s’agit de contrer ou démentir les propos des syndicats. Dans l’histoire récente des conflits, certains ne furent pas sans conséquences financières.
En octobre 2011, lors de la réouverture du Musée d’Orsay, la grève d’une durée de six jours d’une partie du personnel dénonçant un manque d’effectifs aura coûté plus de 50 000 euros par jour de manque à gagner sur la seule billetterie. La fronde du personnel des Archives nationales, portée par l’intersyndicale CFDT-CFTC-CGC-CGT contre le projet d’implantation de la « Maison de l’histoire de France », et soutenue par des historiens, conservateurs, intellectuels de renom et des figures politiques, eut raison de ce projet enterré par Aurélie Filippetti après sa nomination au ministère de la Culture. De même que le bras de fer engagé par la CGT-Archives avec la direction bloque toujours le réaménagement du quadrilatère.
Rudesse des rencontres
Seul le conflit social engendré par la révision générale des politiques publiques (RGPP), induisant le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux qui avait conduit en 2009 à la fermeture pendant trois semaines du Centre Pompidou et d’autres institutions muséales, s’est soldé par un échec pour les syndicats après plusieurs réunions au ministère. Frédéric Mitterrand rapporte, dans La Récréation (2013, éd. Robert Laffont), la rudesse des rencontres au ministère, en particulier les apostrophes du secrétaire général de la CGT-Culture, Nicolas Monquaut (juin 2004-octobre 2010) : « Enfin, à quoi servez-vous Monsieur le ministre ? À rien, vous ne servez à rien. Je ne vois pas pourquoi on perd son temps à vous parler. Vous êtes inutile, complètement inutile. » Douze jours après, l’ancien ministre écrit dans son journal : « À force d’entrer dans des considérations techniques très détaillées qui ne changent pas l’essentiel du conflit, on trouve des prétextes de satisfaction d’amour-propre qui permettent aux syndicats de sortir la tête haute sans rien avoir obtenu. » Pour conclure le 17 décembre 2009 : « Reprise du travail au Centre Pompidou. Il n’y a pas de quoi pavoiser. Je repense à tous ces films italiens qui racontent la fin amère d’une grève, la solidarité des travailleurs, le cynisme des patrons. »
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Des syndicats en quête de dialogue
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°425 du 12 décembre 2014, avec le titre suivant : Des syndicats en quête de dialogue