Quel est le point commun entre la Villa Arson, La Vitrine, La Box ou La Maréchalerie ? Toutes ces écoles d’art possèdent une « galerie » où sont invités à exposer des artistes d’envergure internationale.
Choisir une école qui possède un « vrai » espace d’exposition, à l’envergure d’un centre d’art, affichant une programmation distincte de l’école, est-ce vraiment un plus dans la formation ? Lorsqu’on regarde la programmation et l’histoire de ces lieux, la plus-value semble évidente. Alors quoi ? Une école d’art dépourvue d’espace d’exposition autre que ses traditionnelles galeries d’essai dévolues aux travaux des étudiants serait-elle forcément déclassée ? Ce serait bien simpliste. Ces écoles-là, et elles sont nombreuses, déploient de nombreux partenariats avec des structures professionnelles, à l’instar de Bordeaux, où l’école municipale travaille de concert avec le Capc. Workshop, rencontres, conférences, résidences ont toujours constitué des invitations et autant de moyens pour permettre aux étudiants d’élargir l’horizon de leurs études, de se frotter à d’autres pratiques et modes de pensée, de côtoyer, même brièvement, des esprits libres et affranchis des contraintes de l’enseignement.
Bénéficier des échanges avec les professionnels
Mais l’existence d’un centre d’art professionnel à fort rayonnement offre une résonance incomparable et des opportunités indéniables aux étudiants. Mathieu Mercier est prolixe lorsqu’il évoque sa formation à Bourges : « Lorsque j’étais étudiant à Bourges, j’ai essayé au maximum d’assister les artistes qui ont investi La Box. Bill Viola avait inauguré le lieu lorsque j’étais en première année. On peut imaginer le choc lorsque je l’ai suivi pour photographier chaque étape du montage ! Cette proximité avec les artistes a été primordiale et a contribué au plus haut point à ce que j’ai réussi à mettre en place ensuite. J’ai conservé le désir de partager cette approche sur le terrain et j’essaye toujours d’avoir des étudiants pendant mes montages. » Encore faut-il que ces derniers soient suffisamment alertes pour savoir les saisir.
Car il ne faut pas se leurrer, tous ne réalisent pas l’opportunité qui leur est offerte de travailler sur un montage d’exposition, avec des artistes plongés dans la production et des commissaires. D’ailleurs, de tels moments ne peuvent non plus « supporter » trop d’acteurs. L’équilibre n’est donc pas toujours évident à trouver.
Le secret réside aussi dans la présence d’un personnel compétent. L’étudiant en art représentant une main-d’œuvre enthousiaste, on peut croire qu’elle suffit, mais un vrai régisseur est un atout majeur, une clef de voûte. Tout comme la bonne entente du directeur des lieux avec celui de l’école et son équipe pédagogique lorsqu’ils sont distincts comme à la Villa Arson de Nice, par exemple. Là encore, c’est une question d’équilibre. Respecter l’indépendance de la programmation artistique tout en établissant des ponts avec le corps enseignant.
Pour « Double Bind », exposition ouverte en février à Nice, un séminaire a été mis en place pour un groupe restreint d’étudiants et a généré une belle dynamique au sein de l’école. Mais, parfois, le commissaire reste présent dans les lieux sans susciter pour autant une curiosité élevée. Des rendez-vous sont manqués, des occasions, ratées.
Expositions et formations : deux espaces souvent distincts
Trait caractéristique entre des structures bien dissemblables, la quasi-absence des travaux des élèves. Elles se prêtent peu au jeu du galop d’essai, car elles ne sont pas des espaces de formation. Une distinction que le public a parfois du mal à comprendre, curieux de voir comment on apprend à devenir artiste.
Ainsi La Box, à Bourges, s’est-elle ouverte depuis peu aux élèves de l’école. « Pour répondre à un souhait exprimé par le public », les diplômés du DNSEP seront désormais exposés pour une semaine en juillet. Mais nulle trace dans les salles de la Villa Arson de Nice ou de La Maréchalerie de Versailles. Le distinguo est ferme et quasi définitif pour certains.
En revanche, Le Fresnoy se consacre chaque mois de juin et de juillet au « Panorama », exposition de ses diplômés « commissariée » par un professionnel prestigieux. L’an dernier, Régis Durand, ancien directeur du Jeu de Paume et du Centre national de la photographie, s’était prêté à l’exercice. Parmi ces établissements, certains se sont choisi un patronyme distinct comme pour entériner leur indépendance vis-à-vis de l’école à laquelle ils sont affiliés. Ainsi La Maréchalerie est un centre d’art contemporain ouvert en 2007, entité de l’École nationale d’architecture de Versailles. Les problématiques de l’in situ, du volume et de l’installation président aux projets strictement monographiques produits sur place et programmés par l’historienne de l’art Valérie Knochel-Abecassis. Emmanuelle Villard, Laurent Pariente, Tadashi Kawamata ou encore les frères Campana ont réalisé des projets impressionnants dans ses murs, secondés par des étudiants en workshop.
À La Box, à Bourges, l’espace, les budgets, la politique éditoriale ne sont pas aussi importants, mais une dizaine d’expositions voient le jour par année, thématiques, collectives, monographiques, brassant artistes français et étrangers. L’initiative la plus remarquée étant l’appel à projet « curatorial » lancé avant l’été et qui réserve un bel éclectisme pointu. Depuis quatre ans, les équipes qui se sont succédé ont fait des étincelles. Cet hiver, c’est une exposition consacrée à la propagande fasciste dans les années 1930 qui a concentré les regards (lire L’œil n° 621). La Box fonctionne aussi avec un programme de résidences qui existe depuis une vingtaine d’années, un véritable tremplin pédagogique et pratique de haute volée.
Une volonté que l’on retrouve à La Chaufferie à Strasbourg. Dernièrement, c’est le graphiste néerlandais d’envergure internationale Harmen Liemburg qui a envahi de son univers prolixe et hirsute le petit espace blanc d’exposition. Le vidéaste turc Fikret Atay a lui aussi exposé ses opus, offrant ainsi aux étudiants une belle diversité. Dirigée par Nicolas Schneider, la programmation, comme dans les autres établissements, est discutée avec l’équipe de l’école, mais veille à son indépendance.
Des rencontres artistes-étudiants au programme pédagogique
L’indépendance est un trait de caractère qui sied particulièrement à Mathilde Villeneuve, qui est en charge de la programmation de La Vitrine, tête de pont de l’ENSPAC de Cergy, mais installée à Paris, dans le XIe arrondissement. Presque dix ans d’existence pour cette vitrine qui vient aujourd’hui palier le manque de structures intermédiaires de présentation de jeunes artistes dans la capitale. « Elle permet de faire le lien entre l’école en banlieue et Paris, où habitent les trois quarts de nos étudiants ainsi que le corps enseignant. »
Reste que les étudiants ne participent que rarement aux montages et doivent être pris par la main. « Quand je suis arrivée, j’ai été étonnée par le peu d’étudiants qui fréquentaient La Vitrine. J’ai du coup mis en place, en concertation avec des professeurs, des invitations régulières des artistes que j’exposais à La Vitrine à venir présenter leur travail et parler de l’exposition aux étudiants à l’école. » Une politique payante : Michel de Broin, Dominique Blais, Simon Boudvin, mais aussi Raphaël Zarka ont ainsi œuvré dans ces lieux modestes et au sein de l’école. Et ce printemps, c’est un ancien étudiant de l’école, Cyril Vade, qui s’y emploiera.
Avec seulement 10 000 euros de budget pour ses expositions (hors loyer et salaires), Mathilde Villeneuve n’opère pas selon la même réalité financière que d’autres « galeries » d’écoles comme Le Fresnoy à Tourcoing ou la Villa Arson à Nice, les « modèles » du genre. « La situation de la Villa Arson me faisait rêver lorsque j’étais étudiant à Bourges, reconnaît Mathieu Mercier. Je n’y ai mis les pieds pour la première fois que dix ans après ma sortie de l’école. Je pense réellement que le succès de ses étudiants était avant tout dû à l’activité du centre d’art. » Dans ces années 1990 qu’évoque l’artiste, la Villa vivait un âge d’or. L’école et le centre d’art étaient dirigés avec maestria par Christian Bernard (l’actuel fondateur et directeur du Mamco de Genève). La synergie entre les deux structures a offert aux étudiants de l’époque des rencontres rares, des moments d’anthologie parfois : Martin Kippenberger en 1990, Elaine Sturtevant en 1992, Erwin Wurm l’année suivante et pléthore d’expositions collectives dont la désormais historique « No Man’s Time » en 1991.
Durant ces grandes heures ont été formés des Philippe Ramette, des Tatiana Trouvé, des Pascal Pinaud, favorablement marqués par cette programmation œcuménique. Lorsqu’on ausculte le palmarès des années 2000 sous la direction de Laurence Gateau, on se dit que certains ont pu croiser dans le dédale architectural niçois Paul McCarthy, Mark Lewis ou Simon Starling. Depuis 2006, sous la houlette d’Éric Mangion, de jeunes commissaires – de Vincent Pécoil à Sébastien Pluot – ont été invités pour des projets thématiques.
La Villa Arson n’est certes pas la seule à offrir pareil fonctionnement à ses étudiants puisque Le Fresnoy affiche une programmation ambitieuse dans le domaine des images – souvenons-nous de l’extraordinaire souffle visuel que fut « C’est pas du cinéma ! » en 2002 ou de l’ode à Fabio Mauri en 2003 – et que l’ENSBA parisienne alterne histoire de l’art et prospective, mais elle demeure emblématique. L’exposition en cours magistral en quelque sorte !
Aux confins de la campagne poitevine, un centre d’art en milieu scolaire a vu le jour en 1995 sous l’égide du ministère de l’Agriculture. Dans une sorte de communion transgenre de la culture et de l’agriculture, Rurart a mis en place une programmation pointue d’art contemporain. De taille modeste, cet espace de production invite des artistes spécialisés dans les processus du vivant et les œuvres en mutation, en parfaite logique avec son contexte éducatif. Ainsi, ce printemps, Michel Blazy, maître en pourriture, livre « Excroissance », une exposition qui grouille d’activité.
Un public de scolaires
Arnaud Stinès, directeur de Rurart, est lucide quant aux enjeux d’une telle implantation : « Nous recevons environ cinq mille visiteurs par an, dont la moitié est un public scolaire. Si la programmation se concentre sur les questions qui traversent le monde contemporain, il n’est pas évident que ces questions fassent toujours écho chez les jeunes. Néanmoins, je peux dire que l’on voit des jeunes qui viennent voir les expositions sans être forcément accompagnés de leurs enseignants, sans être " traînés ", pieds et poings liés, dans un centre d’art. »
L’ouverture qu’apporte Rurart est une indéniable plus-value, quinze années d’expérience, les expositions de Caretto && Spagna, d’Eduardo Kac, de Pascal Bernier et bien d’autres sont là pour en attester.
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Des cours d’expositions à destination des futurs artistes
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Abonnez-vous dès 1 €Les galeries universitaires ne sont pas nombreuses, celles qui affichent une programmation d’une réelle envergure artistique le sont encore moins. La galerie Art & Essai du campus de Rennes-Villejean est à ce titre une belle réussite, tout comme la galerie Michel-Journiac de l’université Paris I à l’Institut Saint-Charles.
La première alterne durant l’année des manifestations effectuées en partenariat avec le Frac Bretagne et le master métiers et arts de l’exposition de Rennes 2. Cette année, c’est Valérie Jouve qui sera programmée du 4 mars au 9 avril dans un projet monté par les étudiants de la formation professionnalisante. Celle-ci jouit justement d’une renommée forte depuis sa création sous l’appellation MST en 1992, acquise grâce au projet pratique qui vient valider la deuxième année du cursus. Depuis quatre ans et un opus dédié à John M. Armleder, le master n’œuvre plus que sur des expositions monographiques.
La galerie Journiac de Paris I
Une spécialisation trop resserrée que ne goûte pas la formation de Paris I, positionnée sur le même créneau. Elle a opté pour le modèle rennais et propose à sa quinzaine d’étudiants de plancher sur un projet collectif de leur cru qui s’ancre dans la programmation de la galerie Journiac. En mars, « Déjà-vu » se penchera ainsi sur les commentaires que véhiculent des œuvres de Fischli && Weiss, Denis Darzacq ou encore Robert Breer. La galerie Michel-Journiac accueille aussi quatre projets monographiques retenus par deux enseignants maison qui bénéficient modestement de 9 000 euros par an pour faire œuvrer des artistes comme Mark Dion ou Jan Kopp. Le reste du temps, les étudiants et professeurs s’y investissent librement.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°622 du 1 mars 2010, avec le titre suivant : Des cours d’expositions à destination des futurs artistes