Bibliothèque. À la veille de cet été les augures scrutaient avec attention les premières interventions publiques de Françoise Nyssen.
Le 15 juin dernier elle en surprit plus d’un en faisant du « réseau des bibliothèques et médiathèques » le « fer de lance de la reconquête culturelle du pays ». Paroles d’éditrice ? On me permettra de penser que cette annonce ministérielle renvoie à un enjeu beaucoup plus profond.
Il y a un demi-siècle un chercheur du nom de coureur cycliste, Jean Hassenforder, commençait une série d’études comparatives sur l’état des bibliothèques en Occident. Il en ressortit une carte impressionnante : si l’on recensait les différents critères mis en jeu (mètres carrés, livres possédés et prêtés, lecteurs inscrits, horaires d’ouverture…) un contraste saisissant apparaissait entre l’Europe du Nord, gorgée de livres, et l’Europe du Sud, affamée ; entre les pays anglo-saxons et les autres. Troublant ? Pas tant que ça. La clé du mystère était évidemment religieuse.
Que disent les fondateurs du protestantisme ? Que le fidèle doit avoir accès directement et personnellement, sans la médiation d’un clergé et d’une langue morte, à la parole du Sauveur. On traduira donc la Bible en langue vulgaire – ce qui, au passage, a sauvé l’identité culturelle de plusieurs peuples qui ont fait le choix de la Réforme – la Finlande, par exemple, ou la Lettonie, comme a été sauvée la langue galloise, et définitivement anéantie la chance du gaélique irlandais. Et puis, dans la foulée, on a ouvert des milliers de bibliothèques. Et insensiblement, de génération en génération, l’amplitude des livres offerts s’est élargie : des textes sacrés aux textes profanes, du didactique au romanesque, du conformisme au non-conformisme, voire au sulfureux…
Encore aujourd’hui, pour un étudiant français, se retrouver dans une bibliothèque universitaire américaine, c’est se retrouver au paradis. Richement pourvue, ouverte parfois 24 heures sur 24, et, d’abord, en « accès direct ». L’« accès direct » ! C’est du pur Luther : accès direct à la Parole, au Savoir émancipateur. Rien d’étonnant à ce que la formule de la « lecture publique », qui a révolutionné à partir des années 1930 le monde des bibliothèques du « Sud », soit venue des pays du « Nord ».
Alors, oui : on sait que la France a, depuis les années 1960, mis les bouchées doubles. Indice d’un statut intermédiaire entre « Nord » et « Sud » ? Indice, surtout, de la prise en charge par une nouvelle génération de collectivités locales des enjeux de la démocratie culturelle – et quel outil plus démocratique que la médiathèque, face à l’image élitiste persistante du musée ou de la galerie ? La construction d’une nouvelle médiathèque est même devenue un must du mécénat municipal, comme en témoignent les réussites de Limoges (Pierre Riboulet) ou de Poitiers (Beaudouin/Giacomazzi).
Il y a une autre dimension à cette question. Ce n’est pas aux lecteurs du Journal des Arts qu’on apprendra que les différents secteurs culturels ne sont pas dans la même situation au regard du mécénat public. La lecture ou le théâtre ont dans ce pays partie liée avec le pouvoir politique. Et quel est aujourd’hui, sous ce rapport, le contre-modèle absolu ? Les arts plastiques. Ici les politiques cautionnent (achats, commandes, formation…), mais le vrai régulateur, c’est le marché, de surcroît désormais « global ». Les impressionnistes en surent quelque chose, eux qui furent sauvés par les marchands et leurs clients.
Mais ceci est une autre histoire, dont on trouvera bien l’occasion de reparler un de ces jours. Par exemple lors d’une autre prise de parole, non de Françoise Nyssen, mais de François Pinault ?
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De Martin Luther à Françoise Nyssen
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°484 du 8 septembre 2017, avec le titre suivant : De Martin Luther à Françoise Nyssen