L’offre pour les enfants ne cesse de s’accroître dans les musées parisiens,
quitte à parfois brouiller les lignes entre loisirs et pédagogie
Chaussés de larges lunettes inspirées de celle qu’arborait Keith Haring dans ses autoportraits photographiques, munis d’un livret de jeux, les enfants s’engagent, parents présents mais tenus à distance, dans le jeu de piste du parcours de l’exposition « Les hiéroglyphes de Keith Haring ». Menés par une animatrice, ils explorent ainsi l’univers de l’artiste américain, connu pour ses personnages stylisés, ses sigles et ses graffitis. Et frémissent en regardant une vidéo au cours de laquelle l’artiste est arrêté par la police pour avoir dessiné à la craie dans le métro new-yorkais. Devant la reproduction d’une fresque murale, un enfant s’interroge : « La police l’a arrêté ? » « Pas cette fois-ci », répond l’animatrice. Les enfants goûtent peu la transgression… Discours simple, en prise avec la réalité quotidienne, ponctuation ludique par le biais de jeux impliquant l’enfant, contact avec des œuvres originales – prêtées par des galeries ou des musées –, et possibilité de poursuivre la découverte dans le cadre d’un atelier : tel est le menu proposé tous les mercredis, week-end et jours de vacances scolaires, par le Musée en Herbe, à Paris. Créée en 1975, l’institution a été pionnière en France en matière de sensibilisation des enfants à l’art. Faute de disposer de collections permanentes, son programme, mettant en application une pédagogie active, propose des expositions temporaires enrichies de prêts d’œuvres originales. Aménagé spécialement pour les enfants, il leur offre un espace intimiste, moins intimidant que celui des grands musées parisiens.
Aujourd’hui, le Musée en Herbe est loin d’être le seul sur le créneau des enfants. Progressivement, tous les musées se sont en effet mis au diapason pour soigner ce qui constitue aussi un nouveau public : les enfants, devenus de redoutables prescripteurs dans tous les secteurs de la consommation. Avec le Centre Pompidou en leader – il était le premier à proposer des ateliers spécifiques –, grands et petits musées parisiens proposent désormais aux enfants une offre diversifiée. Visites guidées adaptées, ateliers ou audioguides : le parent soucieux d’éduquer sa progéniture à l’art peut ainsi passer des heures à compiler les programmes d’activités. Cela pour des enfants toujours plus jeunes – certains sont désormais accueillis à partir de 2 ans. Gare toutefois au décalage. Hors du cadre scolaire ou d’une visite en famille bien préparée, il sera toujours difficile, dans un temps limité, d’amener réellement les enfants âgés de moins de 5 ans vers le sujet. Au Musée de la musique, à Paris, l’exposition « Paul Klee, polyphonies » propose ainsi aux enfants de suivre la visite avec un audioguide spécial (à partir de 4 ans). « Le langage est peu adapté aux enfants de cet âge », déplore un parent ayant fait l’expérience. À 4 ans et demi, son fils a vite décroché du commentaire des huit œuvres. L’espace pédagogique, aménagé spécialement à l’issue de l’exposition, connaît en revanche un vif succès. Puzzles tactiles, marionnettes inspirées de celles créées par Klee pour son fils Félix, et visibles dans l’exposition, jeux sonores ou projection lumineuses : les activités ludiques font participer l’enfant et désacralisent le sujet. « Il n’y a toutefois aucun discours sur l’art, les enfants ne font que jouer avec les œuvres. Je ne sais pas ce qu’il en restera : peut-être une sensibilité à l’image ? »
Voir les vraies œuvres
L’esprit est similaire dans la Galerie des enfants du Centre Pompidou, qui décline des expositions temporaires dans un espace adapté aux plus jeunes. « Les enfants s’amusent, mais mieux vaut les emmener voir les vraies œuvres des collections, dont certaines leur parlent immédiatement, comme le Rhinocéros de Xavier Veilhan ou les mobiles de Calder », note une mère de famille. Même remarque, si l’on revient à la Cité de la Musique, où les ateliers d’éveil musical parents-enfants proposent une découverte des instruments de la collection du musée. D’abord présentés puis expliqués et manipulés, les instruments servent in fine à produire un joyeux tintamarre. Pas sûr, toutefois, que l’on apprenne ainsi à jouer de la musique…
Le processus de création
Que dire, enfin, des goûters d’anniversaire au musée ou des visites en costume dans les collections, loisirs purs ou pédagogie active ? Du fait d’une multiplication de l’offre, les lignes tendent en effet à se brouiller. Avec une difficulté réelle pour certains établissements, celle de garder une cohérence entre le propos pédagogique et les collections. Et certaines s’y prêtent plus ou moins naturellement, comme aux Arts décoratifs, où le loisir créatif autour des matériaux et techniques trouve plus logiquement son sens. D’où certaines critiques récurrentes : et si les ateliers des musées faisaient davantage office de garderies que de lieux d’apprentissage ? Une critique que balaie Manon Potvin, chef du service des ateliers et visites-conférences au Musée du Louvre. « Cela requiert au contraire un investissement des parents car les ateliers ne durent que 2 heures au maximum, ce qui ne laisse guère de temps pour faire autre chose. » Une étude qualitative récente sur les activités du Louvre, réalisée par des sociologues et ethnologues à partir d’entretiens menés avec les parents et les enfants, est à ce sujet éclairante. « Un loisir intelligent et concret dans un lieu d’excellence », « du concret à l’abstrait ensemble », « une occasion d’extraire les enfants de la culture de l’écran » sont quelques-uns des commentaires formulés généralement par les parents. Idem avec l’idée de transfert de compétence : « laisser faire par un médiateur plus aguerri ». Pédagogie et loisirs se mêlent donc bien dans l’esprit des parents.
Au Louvre, où l’on travaille sur le sujet depuis 1990, l’affaire est prise très au sérieux. « Il faut six mois pour créer une nouvelle activité », confirme Manon Potvin. Si les thèmes varient, le principe est toujours identique : susciter un va-et-vient constant entre les œuvres originales, l’expérimentation et la technique, entre les salles d’exposition et l’atelier. « Il s’agit de chercher à comprendre les matériaux, les techniques et les savoir-faire, c’est-à-dire la contrainte technique qui oblige à créer, poursuit Manon Potvin. Pour éviter d’avoir un discours trop oral vis-à-vis de visiteurs sans connaissances préalables, nous les faisons entrer de cette manière dans le processus de création. » Une approche qui s’inspire délibérément des théories de Georges Charpak, membre de l’Académie des sciences et Prix Nobel de Physique, qui lança en 1996 l’opération « La main à la pâte » : retourner au laboratoire pour mieux comprendre la science, en l’expérimentant. L’histoire de l’art à proprement parler n’est donc pas nécessairement convoquée. Mais, comme l’écrit le physicien, « un instituteur de bonne volonté qui n’a qu’un livre, sauf miracle, sauf petites exceptions, ne pourra pas aller très loin. Le même maître que vous formez, avec une mallette qui contient tout le matériel pour ses élèves, un bon manuel, un CD-Rom, l’accès à Internet où il peut dialoguer avec des formateurs, c’est tout à fait autre chose : il prend confiance, il a même le droit de tâtonner. » Il n’y a donc pas de secret : il faut des moyens pour proposer un programme alliant rigueur scientifique et sens pédagogique. La faiblesse de l’offre des musées en régions, y compris au sein des plus grands d’entre eux, en témoigne. Beaucoup se contentent de visites guidées destinées aux enfants, faute de pouvoir offrir mieux. Et les musées parisiens le constatent. Lors des vacances scolaires, leurs ateliers sont pris d’assaut par des non-Parisiens. Sur ce point aussi, une ligne de fracture existe dans le monde des musées.
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Dans l’atelier du musée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°359 du 16 décembre 2011, avec le titre suivant : Dans l’atelier du musée