La huitième édition de la Biennale internationale d’art contemporain d’Istanbul, qui réunit 85 artistes venus de 42 pays, se déroule jusqu’au 16 novembre dans plusieurs lieux de la ville : l’Antrepo 4 Exhibition Hall, aménagé dans un ancien entrepôt sur les rives du Bosphore, le Centre culturel de Tophane-i Amire, édifié dans un arsenal datant de 1451, la citerne de Yerebatan, bâtie à l’époque justinienne, et la basilique Sainte-Sophie. Son directeur artistique, Dan Cameron, conservateur au New Museum of Contemporary Art à New York depuis 1995, nous livre sa vision de l’événement.
Le titre de la Biennale, “Justice Poétique”, renvoie à l’union idéale de l’éthique et de l’esthétique qui caractérise toute l’histoire de la philosophie. Lors de la présentation de l’exposition, vous avez fait allusion à Amnesty International et à Greenpeace comme des modèles d’activisme auxquels les artistes pouvaient se rapporter. Cette idée peut-elle fonctionner de manière réaliste et non utopique ?
Je ne cherche pas à établir de connexion directe entre l’art et l’activisme. En examinant l’action de Greenpeace, on se rend subitement compte que son importance au sein de la société ne se résume pas seulement à ses actes. Cette valeur relève du principe dont Greenpeace est porteur : la possibilité de modifier, sans répit et de toutes les manières, l’existence, mais aussi la prise de conscience que nous ne sommes pas des pions à la merci du pouvoir. Pour moi, l’art fonctionne sur un mode similaire, comme un exemple d’action positive, car il démontre comment chaque individu, un artiste, peut créer des travaux d’une force particulière au sein de la société, même si cette dernière continue à nous faire croire que notre valeur dépend de ce que nous produisons et consommons. Il y a beaucoup d’artistes au sein de la Biennale qui travaillent avec l’idée de l’activisme.
En quoi l’exposition d’Istanbul est-elle différente des autres biennales ?
La ville d’Istanbul sent qu’elle doit sans arrêt démontrer sa propre contemporanéité et sa nature cosmopolite. Cette tension génère une incroyable énergie qui transforme cette aspiration en réalité. Si nous considérons la Biennale de Venise, je suis parmi ceux qui voudraient voir disparaître l’idée de nationalisme des pavillons des Giardini, mais cela ne suffirait pas à la libérer du poids de la tradition qui m’apparaît toujours plus étouffante. São Paulo, Kwangju et La Havane sont des villes qui ont encore quelque chose à prouver au reste du monde, ce qui est, selon moi, une qualité fondamentale pour le dynamisme et la réussite d’une biennale.
Quelle est votre opinion sur l’édition actuelle de la Biennale de Venise ?
Francesco Bonami a beaucoup d’idées stimulantes, et il a organisé dans le passé des manifestations dynamiques, mais, à Venise, il est resté embourbé dans sa propre méthodologie. L’idée maîtresse du projet s’est fourvoyée et a fini par devenir incompréhensible. En tout cas, l’expérience Bonami représente une évolution agréable, surtout si on la compare à la conception un peu pédante de la dernière Documenta de Cassel et des biennales d’Harald Szeemann.
Pour en revenir à Istanbul, les artistes turcs qui participent à la Biennale et sont connus sur le plan international ne sont pas légion, et la plupart d’entre eux vivent et travaillent en Occident...
Il faut d’abord préciser que les artistes ressentent le besoin de vivre et travailler loin de leur lieu d’origine, et cela ne concerne pas seulement les Turcs. Parmi les artistes sélectionnés pour la Biennale, nombreux sont ceux qui vivent en Turquie : Can Altay, Fikret Atay, Oda Projesi et le duo Cevdet Erek-Emre Erkal. Kutlug Ataman et Esra Ersen naviguent entre la Turquie et d’autres villes ; Ergin Çavusoglu vit à Londres ; la moitié de l’équipe xurban.net est à New York, l’autre à Istanbul.
Quel effet produit sur sa cote la participation d’un artiste à une biennale ?
Une biennale réussie doit, à mon sens, permettre à la majorité des artistes participants de trouver des mécènes attentifs et passionnés pour leurs œuvres. Ce souhait n’est pas un tabou, et je ne crois pas que les commissaires d’exposition doivent se sentir embarrassés de jouer ce rôle d’intermédiaire. Je serais plus préoccupé par la négation de la relation entre les expositions et le marché, car celle-ci se fonderait sur la notion obsolète du commissaire faisant abstraction de l’acte commercial.
Quelles sont, d’après vous, les réalités qui vont avoir un effet sur le marché de l’art contemporain ?
Durant mes recherches pour la Biennale, j’ai développé un vif intérêt pour les pays du Moyen-Orient et pour les Balkans, ces régions qui, entre autres bouleversements, sont en pleine mutation politique. Bien que ces processus soient douloureux et traumatisants, il y a à l’intérieur de ces sociétés une aspiration à la catharsis, et les artistes eux-mêmes perçoivent leur rôle comme une question de vie ou de mort. Pour les commissaires d’exposition et les passionnés d’art, ce mode de perception est l’occasion d’une réflexion sur notre réalité apparente et paisible, bâtie sur une grande illusion.
8e Biennale internationale d’Istanbul, jusqu’au 16 novembre, lieux divers, tél. 90 212 334 0763, www.istfest.org
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Dan Cameron l’activiste
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Abonnez-vous dès 1 €Parmi les artistes de la Biennale figurent Anri Sala, Pascale Marthine Tayou, Cildo Meireles, Doris Salcedo, Bruno Peinado, Stephen Dean, Marcel Odenbach, Hiroshi Sugito, Paul Noble, Fiona Tan, Willie Doherty, Uri Tzaig, Monica Bonvicini, Aernout Mik, Monika Sosnowska, Kendell Geers, Zwelethu Mthethwa, Annika Larsson, Surasi Kusolwong, Kutlug Ataman, Ann Hamilton...
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°178 du 10 octobre 2003, avec le titre suivant : Dan Cameron l’activiste