Malgré le succès des dations, le levier des dons en nature est-il assez exploité ? - Et si les musées français lançaient de vastes campagnes de mobilisation ?
En ces temps de restriction budgétaire, dont pâtit l’enrichissement des collections nationales, n’est-il pas temps de développer une politique plus incitative en faveur des dons en nature aux musées ? Certes, la générosité a toujours été un bon moyen pour accroître les collections publiques. Nombreux sont les musées à avoir été créés grâce à des donateurs.
L’ouverture, en 2003, du Musée départemental Georges de La Tour de Vic-sur-Seille (Moselle) n’aurait pas pu aboutir sans la donation d’un ensemble de 82 peintures, offertes par un célèbre historien de l’art français. Au-delà de la volonté de laisser une trace, donner par à-coups à des établissements existant demeure une tradition. Aux yeux de certains collectionneurs peu soucieux de spéculer – il en existe encore –, se séparer de ses œuvres au profit d’un musée est un gage de pérennité pour des ensembles parfois constitués pendant toute une vie. Les musées l’ont bien compris.
Ainsi Jean Cassou (1897-1986), lorsqu’il était directeur du Musée national d’art moderne, à Paris, était un adepte du « thé chez les veuves » d’artistes pour enrichir les collections de son établissement. Tous les conservateurs s’attachent à tisser des liens et à séduire les collectionneurs, avec plus ou moins de talent. Pierre Rosenberg, l’ancien président du Musée du Louvre, aurait alpagué un collectionneur, rencontré par hasard chez un encadreur, s’invitant ensuite chez lui pour jauger sa collection et inciter au don… La question est donc affaire de réseau, mais aussi de savoir-faire.
L’éternelle crainte du fisc
2009 a été marquée par quelques libéralités notables. Ainsi du Musée des beaux-arts de Strasbourg, qui s’est vu offrir onze peintures, pour une valeur totale estimée à près de 1,3 million d’euros. Les neuf tableaux flamands et les deux toiles italiennes, dont un Portrait d’homme en buste du Tintoret, ont été légués à sa mort, en 2008, par Ann L. Oppenheimer, fille d’un industriel de la région. À Reims, c’est la veuve du peintre Léonard Foujita (1886-1968), elle-même décédée en 2009, qui a légué trois tableaux au Musée des beaux-arts, déjà détenteur d’un fonds relatif à l’artiste. Les dons peuvent aussi intervenir du vivant des collectionneurs. Le Palais des beaux-arts de Lille a reçu une cinquantaine de sculptures des XIXe et XXe siècles de la part des collectionneurs Yannick Pellegrin et Philippe Laporte, deux habitués du musée lillois.
Le même établissement a bénéficié dernièrement du don de quarante médailles des années 1880 à 1930, offertes par Jacques et Élisabeth Foucart, tous deux conservateurs au Musée du Louvre, et qui avaient déjà fait bénéficier le musée de leurs libéralités.
Si ces exemples ne sont pas exhaustifs, une certaine prudence persiste en la matière, alimentée par l’éternelle crainte du fisc. Dans l’Hexagone, la tradition de discrétion des collectionneurs reste bien ancrée dans les habitudes. Le système de la dation, qui permet de s’acquitter de l’impôt en nature, et qui a fêté ses quarante ans en 2009, a rencontré un succès relatif. Malgré les nombreuses candidatures, la sélection opérée par Bercy est drastique et les dations ne peuvent concerner que des ensembles de très haute qualité. Depuis l’origine, seuls 58 % des dossiers ont été validés.
La valeur libératoire a cependant été estimée à 809 millions d’euros depuis 1972, date de la première dation, soit une moyenne de plus de 20 millions d’euros par an, transactions effectuées principalement dans le cadre du règlement de successions. « Pour les vingt-cinq dernières années, en tenant compte de l’érosion monétaire, la moyenne du montant des dations venues enrichir les musées représente 70 % du montant des crédits d’acquisition », explique-t-on au ministère de la Culture. La dation reste donc un levier non négligeable pour les musées.
En matière de dons et legs, certains blocages administratifs continuent de subsister. Conformément à la loi « musée » de 2002, les offres de libéralités sont soumises à l’avis d’une commission régionale ou interrégionale d’acquisition, placée sous la responsabilité du directeur régional des Affaires culturelles compétent. Celle-ci peut refuser des offres, trop contraignantes en termes d’exigences des donateurs, ou jugées peu intéressantes en termes de qualité. Dans le cas des legs, des désaccords entre héritiers peuvent aussi faire achopper des projets.
Le Musée Mathurin Méheut (1882-1952) de Lamballe (Côtes-d’Armor) a été récemment confronté à un problème d’ordre successoral. Créé grâce à un legs de la veuve et de la fille de l’artiste et ouvert en 1972, le musée a dû rendre, en 2008, la moitié de sa collection, soit près de 5 000 œuvres au total, à des héritiers qui s’étaient estimés lésés de leur part réservataire. L’affaire s’est soldée par une conciliation après sept années de tractations.
Exemple outre-Atlantique
Au-delà de ces aléas, le dispositif du don est-il suffisamment exploité par les musées ? Obnubilés par la recherche de mécénat financier pour boucler le budget de leurs expositions, certains d’entre eux ont peut-être négligé cette voie. Or, la loi de 2003, si elle favorise le mécénat des entreprises, a aussi prévu un certain nombre de dispositifs fiscaux incitatifs à la générosité en nature (lire l’encadré). Plus décomplexés, les Anglo-Saxons pratiquent ce sport avec un certain talent. L’exemple le plus récent nous vient de Montréal, au Québec. Structure associative autofinancée à 55 %, le Musée des beaux-arts ne bénéficie pas de budget d’acquisitions en propre.
Quelque 800 000 dollars sont récoltés annuellement, en moyenne, pour continuer à enrichir le musée, notamment par le biais d’un dîner de gala. Mais les dons de collectionneurs sont également un moteur pour le musée. Pour fêter dignement les 150 ans de l’établissement, sa directrice, la Française Nathalie Bondil, a décidé d’innover en lançant une grande campagne de dons. Quelque 200 œuvres intéressant le musée ont été repérées dans des collections privées. Une grande campagne vient d’être lancée avec l’objectif d’obtenir « 150 œuvres, pour 150 ans ». L’ensemble fera l’objet d’une publication et le gala annuel aura lieu au milieu des nouvelles acquisitions. Au Canada, le don d’œuvres d’art est aussi largement défiscalisé, l’évaluation étant menée par une commission des biens culturels – à la charge des donateurs.
Dans le cas de cette initiative québécoise, le succès réside dans son caractère événementiel. L’idée pourrait judicieusement inspirer les musées français, à l’exemple du dîner de la Société des amis du Musée national d’art moderne qui a permis d’acheter, en 2009, des œuvres de Wall, Parreno et Convert, ou de celui des Amis du Musée d’art moderne de la Ville de Paris qui a conduit à l’achat de pièces d’Oehlen et Molinero.
Même si l’accent n’a pas souvent été mis sur ce point, la loi du 1er?août 2003 favorise également les dons manuels et les donations d’œuvres des particuliers.
→ Le don manuel?: déductible à 66?%
Les particuliers qui font des dons (œuvres ou somme d’argent) aux organismes reconnus d’intérêt général bénéficient d’une réduction d’impôt égale à 66?% du montant du don, dans la limite de 20?% du revenu imposable. Si le montant du don est supérieur, l’excédent peut être reporté sur les quatre années suivantes.
→ Le legs et la donation?: exonérés de droits de mutation
Le legs est une disposition testamentaire prise par un particulier. La somme léguée au musée est exonérée des droits de mutation. La donation est, en revanche, accompagnée d’un acte notarié qui peut prévoir des dispositions spéciales quant à la conservation ou la présentation des œuvres. Elle est exonérée des droits de mutation et permet, comme les dons manuels, une réduction d’impôt de 66?%, dans la limite de 20?% du revenu imposable.
→ La donation avec réserve d’usufruit
La donation avec réserve d’usufruit permet au donateur de transmettre une œuvre, tout en la conservant pendant la durée déterminée par l’usufruit. Le musée ne recevra l’objet qu’à terme.
→ La dation
Soumise à l’agrément des ministères des Finances et de la Culture, la dation offre l’occasion à un particulier de régler en totalité ou en partie l’impôt sur la fortune (ISF), ou les droits de succession, en nature avec des œuvres et objets d’art.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°325 du 14 mai 2010, avec le titre suivant : Cherche généreux donateurs