Les foires « off » essaiment dans le sillage des grands salons. De Bâle à Miami, elles offrent une visibilité à de très jeunes galeries refusées par les foires établies.
En 1863, un groupe de jeunes artistes, notamment Manet et Whistler, exclus du Salon officiel, réclame à Napoléon III un événement qui prendra le nom gracieux de « Salon des refusés ». Un siècle et demi plus tard, la grogne n’a rien perdu de son actualité. Constituées de galeries déboutées des sanctuaires du marché de l’art, les petites foires « alternatives » se greffent aux grands salons, profitant par capillarité des collectionneurs en goguette. Foire militante créée à Cologne en 1992, Unfair a finalement été absorbée deux ans plus tard par Art Cologne. Lancé par Lise Toubon pendant la FIAC de 1996, Austerlitz autrement fut en revanche un feu de paille. Stoppée au bout de deux éditions, cette manifestation n’était pas une contre-FIAC, d’autant que certaines galeries siégeaient sur les deux salons. « Les bruits qui couraient à l’époque sur Austerlitz autrement, c’était qu’il fallait en faire partie. Lise Toubon avait invité gratuitement les galeries avec lesquelles elle sentait une affinité. C’était un peu la préfiguration de ce qu’allait être la rue Louise-Weiss », rappelle le galeriste Éric Dupont (Paris). La manifestation comptait des galeries montantes comme Emmanuel Perrotin, Chez Valentin, ou encore Jennifer Flay (Paris). Quant à la Liste, née à Bâle en 1996 en réaction à la sélection drastique d’Art Basel, elle est la seule foire parallèle à s’être tracé un chemin pérenne.
Le concept a pourtant de beaux jours devant lui. Le nombre de galeries a furieusement augmenté ces dernières années, alors que les capacités d’accueil des grandes foires ne sont pas extensibles. Sur les brisées de la Grammercy International Contemporary Fair, inaugurée en 1994 à New York dans un hôtel et transformée en Armory Show depuis 1998, Scope propose depuis deux ans aux galeries de présenter leur travail dans des chambres d’hôtels simultanément aux grand-messes de l’Armory Show et d’Art Basel Miami Beach. En octobre 2004, Scope compte se greffer sur Frieze Art Fair à Londres, n’excluant pas un essaimage en Italie et en Asie d’ici deux ans.
Tarifs alléchants
Ces foires se montent souvent en un tour de main. Il a fallu un an pour mettre en place la première édition de Scope New York (mai 2002), cinq mois pour celle de Miami en décembre 2002, deux mois pour celle de Los Angeles (juillet 2003). Avec ces salons en chambre, le pire côtoie le meilleur dans une ambiance brouillonne et légère. Si un tel concept était pertinent à l’heure des galeries en appartement et autres expositions en cuisine, le principe semble daté. La galeriste parisienne Valérie Cueto, qui avait participé à la première édition de Scope Miami et à la dernière de Scope New York, a déclaré forfait cette année, tout comme la galerie müllerdechiara (Berlin). « Un collectionneur m’a dit qu’il trouvait angoissant de se retrouver avec un galeriste dans une chambre d’hôtel. Scope est mal organisée, et n’est plus très hype », estime Valérie Cueto. Bien que sujette aux critiques, Scope attire des légions de petites structures. Elle compte cette année 35 exposants supplémentaires à New York et 20 nouvelles recrues à Miami, notamment la galerie parisienne Les Filles du Calvaire. Mais aujourd’hui pointe à Miami la nouvelle concurrence de la NADA Art Fair lancée par l’association New Art Dealers Alliance (lire le JdA n° 176, 12 septembre 2003). Comme quoi les petites foires ne sont pas plus épargnées que les grandes ! Ces événements proposent aux galeries des tarifs extrêmement attractifs, entre 1 000 et 2 500 dollars (870 et 2 176 euros) pour la NADA Art Fair, de 3 500 à 5 500 dollars chez Scope. Des prix sans commune mesure avec les 7 000 dollars de « Art Positions » ou les 8 000 dollars de « Art Statements » à Art Basel Miami Beach. Malgré une réputation bien assise, la Liste ne réclame que 4 700 francs suisses (2 900 euros) pour les one-man-shows, 5 300 francs suisses (3 292 euros) pour les autres présentations. Des tarifs d’autant plus alléchants que les collectionneurs qui se pressent aux portes des grandes foires accordent toujours une visite à ces événements marginaux.
À trop contester le credo habituel fondé sur la maturité des galeries et des artistes, les foires « off » risquent d’y laisser des plumes. Les plus anciennes comme Unfair ou la Liste ont certes fait preuve d’une acuité visionnaire puisque nombre de leurs participants ont rejoint les travées des grands salons. Un tiers des galeries ayant fait leurs gammes à la Liste siègent aujourd’hui à Art Basel, principalement dans la section « Statements ». Cofondateur et actuel directeur de la Liste, Peter Bläuer avoue que les galeries acceptées à sa foire ont souvent moins d’un an d’existence. Mais n’est pas la Liste qui veut. Qu’en sera-t-il de Scope ou de la NADA Art Fair ? Cette dernière compte parmi ses 40 exposants quelques galeries dépourvues de vitrine comme GO2, qui ne sera inaugurée qu’au printemps prochain. D’autres viennent tout juste d’ouvrir leurs portes comme Daniel Reich et Olivier Kamm/5BE. Difficile de juger de la qualité de ces structures embryonnaires mais non moins avides de reconnaissance. « Les très jeunes galeries sont obligées de participer à ce genre de manifestation pour ne pas s’aliéner des réseaux. NADA est un réseau important », affirme Jeff Gleich de la galerie parisienne G-module. Selon Janet Phelps, maître d’œuvre de la foire, il n’est toutefois pas certain que la NADA persévère à long terme dans l’organisation de salons.
Le problème de la visibilité ne se pose pas tant pour les jeunes galeries, au vu des solutions qu’envisagent les grandes foires – « Perspectives » à la FIAC, « Statements » à Art Basel, « Art Positions » à Art Basel Miami Beach – et des aménagements imaginés à la marge. Le hic se trouve plutôt dans l’après-« Statements ». Une fois qu’une galerie a participé trois ou quatre fois à la Liste et rejoint les régiments de « Statements », que peut-elle faire ? Initiée cette année par Art Basel Miami Beach, « Art Nova » offre un début de réponse pour les galeries fraîchement installées. Mais une cohorte d’enseignes âgées d’une dizaine d’années peine toujours à pénétrer dans le Saint des Saints. Peut-être serait-il temps d’inventer de nouveaux concepts de foire pour ces structures d’âge et de taille intermédiaires ?
- SCOPE MIAMI, du 4 au 7 décembre, TownHouse Hotel, 150 20th Street, Miami Beach, tél. 1 305 534 3800, www.scope-art.com - NADA ART FAIR 2003, du 4 au 7 décembre, The Lincoln, 1691 Michigan Avenue, Miami Beach, www.newartdealers.org
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Cherche foire désespérément
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°181 du 21 novembre 2003, avec le titre suivant : Cherche foire désespérément