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RENCONTRE

Ceysson & Bénétière, deux galeristes dans le vent

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2025 - 1065 mots

François Ceysson et Loïc Bénétière ouvrent des antennes dans le monde entier.

Saint-Étienne, Paris, Lyon, Genève, New York. Ils aiment le raconter pour la énième fois, cela fait partie de leur légende, à la manière de ces multinationales dont l’activité a commencé, en mode start-up, dans un garage : François Ceysson et Loïc Bénétière ont d’abord créé une marque de skate board. On ne naît pas galeristes… Ce fut un long cheminement. Les deux amis de collège, qui entrent dans la quarantaine, sont pourtant encore jeunes. Lorsqu’on les invite à se retourner sur leur trajectoire, alors que l’enseigne est désormais implantée à Saint-Étienne, Koerich (dans la banlieue luxembourgeoise), Paris, Lyon, New York, Genève et bientôt à Tokyo, ils rappellent, bien sûr, le rôle de mentor joué par Bernard Ceysson, le père de François. L’ancien directeur du Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne (MAMC+) venait de quitter l’institution et travaillait en direct avec quelques artistes, en particulier Claude Viallat. Les deux copains sont enrôlés pour monter avec lui des expositions. Le métier rentre. Quand, en 2006, ils ouvrent une galerie doublée d’une maison d’édition à Saint-Étienne, la réussite n’est pas au rendez-vous. Peut-être parce que leur programmation « empirique » (Claude Viallat, Franck Chalendard, Patrick Saytour pour ne citer que les plus connus) manque de ligne directrice.

Sélectionnée par la Fiac en 2010

Ils assurent encore eux-mêmes, en camionnette, le transport des œuvres, quand en 2010 la galerie est sélectionnée par la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) pour son projet de présentation de Supports/Surfaces, ultime et éphémère avant-garde apparue au tournant des années 1970, qu’ils décident de promouvoir. Ils ne sont pas les premiers : en 1998, le Jeu de Paume accueillait, en collaboration avec le Centre Pompidou, une exposition dédiée aux artistes du mouvement (André-Pierre Arnal, Vincent Bioulès, Pierre Buraglio, Louis Cane, Marc Devade, Daniel Dezeuze, Noël Dolla, Toni Grand, Christian Jaccard, Jean-Michel Meurice, Bernard Pagès, Jean-Pierre Pincemin, François Rouan, Patrick Saytour, André Valensi, Claude Viallat). « Ces œuvres […] n’ont jamais perdu de leur incandescence derrière la buée de discours qui a obscurci pour un temps les lunettes des regardeurs », écrivait alors l’historien de l’art Didier Semin dans le catalogue. Las, nul n’est prophète en son pays s’il n’est pas reconnu aux États-Unis. Ceysson père et fils et Loïc Bénétière entreprennent donc de répandre la bonne parole outre-Atlantique, en partenariat avec l’artist-run space Canada, à New York. Et avec succès. Le Musée Hirschhorn notamment acquiert trois œuvres de Daniel Dezeuze, Patrick Saytour et Claude Viallat. « Les œuvres historiques de Support(s) / Surface(s) annoncent, avec quarante ans d’avance, celles des nouvelles stars du marché de la peinture américaine, Sam Falls, Wade Guyton, Jacob Kassay, Oscar Murillo ou Lucien Smith », proclame Stéphane Corréard dans un article publié en 2014 dans Libération, tandis qu’une rétrospective se tient dans la galerie parisienne.

Reste que jusqu’en 2017, « les gens ne se bousculaient pas au portillon (de la galerie) », se souvient Jean Claude Gandur. Le collectionneur suisse a eu vent en 2015 d’une vente aux enchères d’œuvres d’artistes de Supports/Surfaces, organisée chez Piasa par Bernard Ceysson. Il achète quelques pièces, apprend l’existence de la galerie et se rend rue du Renard. Une longue relation de confiance commence alors. La Fondation Gandur, dont le musée doit ouvrir à Caen en 2026, détient dans sa collection des dizaines d’œuvres de Pierre Buraglio, Vincent Bioulès, Marc Devade, Noël Dolla, Jean-Pierre Pincemin, Patrick Saytour, Claude Viallat… « Les prix ont considérablement augmenté, assure Jean Claude Gandur, mais la galerie m’a toujours fait de bonnes conditions, car au fil du temps j’ai constitué un ensemble conséquent d’une centaine de pièces, sans doute le plus important dans les mains d’un privé. » La caution « Fondation Gandur » est devenue entretemps un faire-valoir institutionnel pour la galerie. « Les prix ont été multipliés par cinq depuis 2006, et peuvent monter jusqu’à 500 000 euros », évalue le duo.

Si la galerie les montre beaucoup sur les foires, les artistes de Supports/Surfaces, ne reflètent pas son identité, plutôt « l’une de ses quatre jambes ». Un autre pilier repose sur le socle des œuvres de Frank Stella et de Bernar Venet, même si ce dernier a intégré la galerie Perrotin en 2023 : « Nous continuons à le montrer dans notre espace de Luxembourg où nous disposons de 1 200 m2 : c’est pour cette surface d’exposition rare dans une galerie que Venet et Stella nous ont rejoints, car nous avons la capacité d’exposer leurs pièces monumentales. » L’œuvre protéiforme de Gloria Friedmann, les wall paintings et les bas-reliefs de Tania Mouraud, la rétrospective de l’œuvre d’ORLAN ont également tiré profit de cette très grande superficie.

Des dîners réputés

La troisième jambe de la galerie, ce sont les successions d’artistes tels que Roger Bissière, ou Jean Messagier. Enfin la partie contemporaine, qui compte essentiellement des artistes en milieu de carrière (Wilfrid Almendra, Mounir Fatmi, Nicolas Momein, Aurélie Pétrel…) est aujourd’hui la moins musclée. « Nous vendons très bien tous ces artistes, notamment Lionel Sabatté qui a fait Chambord en 2023 », affirment néanmoins les deux associés.

Depuis deux ans, les dîners de Ceysson & Bénétière sous la verrière de La Samaritaine, au restaurant Voyage, comptent parmi les réceptions les plus somptueuses de la Semaine de l’art.« Avant on les organisait dans un restaurant chinois de Belleville », sourit Loïc Bénétière. Sympathique mais moins glamour. Le secret de leur développement exponentiel ? C’est la fidélité de leurs collectionneurs, et leur nombre : « Certains viennent chez nous depuis vingt ans et nous avons constitué à 80% leur collection. »À ces « quelques centaines » d’afficionados et à tous les autres, ils promettent une « énorme attention mise à leur service, pour éliminer tous les problèmes, logistiques, techniques et financiers ».

Leur assurance les autorise désormais à prendre des risques. En créant une résidence d’artistes à La Chaulme, en Auvergne. En investissant un ancien hangar viticole du domaine de Panéry, près d’Uzès. Ou de façon plus audacieuse, en ouvrant à Tokyo : le chantier a pris du retard, mais ils espèrent inaugurer la galerie dans le courant du premier semestre 2025.

Le contexte économique de ces derniers mois est moins porteur qu’il ne l’a été ? « Il faut travailler deux fois plus », répondent-ils. Et faire des choix douloureux, comme celui de ne pas participer à la dernière édition d’Art Basel Miami. Sur ce point, on les sent moins à l’aise, mais le constat est énoncé d’une seule voix : « Nous avons préféré participer à NADA (une foire satellite) cette année. »

1980
Naissance de François Ceysson.
1981
Naissance de Loïc Bénétière.
2006
Ouverture de la galerie Ceysson & Bénétière rue de la Mulatière, à Saint-Étienne.
2008
Ouverture au Luxembourg (Wandhaff).
2009
Ouverture d’une antenne rue du Renard à Paris.
2012
Ouverture à Genève.
2017
Ouverture à New York.
2021
Ouverture à Lyon et inauguration à Saint-Étienne d’un nouvel espace de 1 500 m2.
2025
Ouverture à Tokyo.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Ceysson & Bénétière, deux galeristes dans le vent

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